Patrick Modiano : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

patrick modianoPatrick Modiano, né en 1945 à Boulogne-Billancourt, est un écrivain français, auteur d’une trentaine de romans primés par de nombreux prix prestigieux parmi lesquels le Grand prix du roman de l'Académie française et le prix Goncourt. Le 9 octobre 2014, son œuvre est couronnée par le prix Nobel de littérature pour « l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation », comme l'expliquent l'Académie suédoise et son secrétaire perpétuel Peter Englund, qualifiant l'auteur de « Marcel Proust de notre temps ». Son dernier roman, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, paru en 2014 vient d’être réédité en poche.

Jean Daragane, un vieil écrivain devenu solitaire, est contacté par un certain Gilles Ottolini qui souhaite lui rendre son carnet d’adresses perdu dans la rue. Lors de leur rencontre, l’inconnu évoque un monsieur Torstel, dont le nom figure dans le carnet et demande à Jean des informations sur cet homme sur lequel il enquête, mais l'écrivain dit ne pas s'en souvenir. Gilles et sa compagne Chantal Grippay donnent à Jean des photocopies du « Dossier » constitué sur Torstel. En lisant celui-ci, Jean tombe sur le nom d'Annie Astrand. Cela le replonge dans une chaîne de souvenirs, jusqu'alors oubliés.

Patrick Modiano n’écrit pas de polars ou de thrillers mais pourtant… ce roman s’avère presqu’aussi angoissant (genre Berlin Est et Stasi), troublant (« Et sa mère, il ne savait même pas si elle était encore vivante ») et palpitant que les meilleurs de ce genre littéraire, « Il a appris des choses sur vous… par cet ami de la police… ». Je vous épargne les considérations d’ordre psychanalytique qu’on pourrait relever entre ce livre et la vie familiale complexe (euphémisme) de l’écrivain nobélisé, je me suis contenté de le lire comme si je ne savais rien de la biographie de Modiano.

Le roman est très court mais tellement déroutant par sa construction sur plusieurs niveaux de profondeur si je puis dire, qu’il faut rester concentré pour ne pas se perdre – plus que ne le voudrait Modiano – dans cette histoire qui tourne exclusivement sur la notion de mémoire et de souvenirs. Les souvenirs de Jean, quasi nuls dans le présent de l’ouvrage, ceux un peu plus étoffés tout en restant flous quand le récit nous ramène dans un passé pas vraiment trop lointains et ceux de l’enfance qui ressurgissent, sans parler de la remise en mémoire du premier bouquin écrit par Jean Daragone il y a quarante ans. Ajoutez à ce voyage mental spatio-temporel, les souvenirs incertains de quelques acteurs intervenant dans le récit et nous voilà, non plus dans ce thriller évoqué plus haut, mais dans un de ces scénarios de film de SF qui fleurissent sur nos écrans ces dernières années, où le cerveau et ses méandres sont au cœur de l’intrigue.

Jean Daragane remonte le temps comme il peut, et en fil rouge, une interrogation qui le restera jusqu’au bout, qui est Annie Astrand, cette femme qui aurait fait de la prison, qui aurait été pour lui une mère de substitution à une époque et peut-être plus encore, plus tard… ? Modiano n’est pas le premier venu, derrière la forme se cache un fond révélé dans une réplique d’un des personnages : « Ecrire un livre, c’était aussi, pour lui, lancer des appels de phares ou des signaux de morse à l’intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu’elles étaient devenues. »

Je ne suis pas un familier de l’œuvre de Patrick Modiano, les critiques qui l’encensent (je n’aime pas cette unanimité) et lui, difficile à suivre en interviews orales, tout cela m’avait écarté de ses romans jusqu’alors. Avec ce bouquin, je suis prêt à revoir ma position. A suivre donc…