Avant tout, un petit mot sur l'histoire de ce roman, parce que ce n'est pas encore extrêmement courant. Son auteure est toute jeune (15 ans, 14 lors de son écriture, si mes sources sont à jour) et s'est fait connaître sur Wattpad, la fameuse plate-forme littéraire. C'est le succès qu'elle y a rencontré auprès des jeunes (ou moins jeunes?) lecteurs qui lui a permis d'être repérée par Michel Lafon et d'être publiée (comme ce fut le cas pour Anna Todd et ses After).
Ce roman m'intéressait parce que je pensais, au vu de son résumé, qu'il pourrait m'être utile au boulot. A l'heure où nos ados usent et abusent des réseaux sociaux sans toujours savoir avec qui ils sont en contact, à l'heure où on tente de leur faire prendre conscience des risques qu'ils peuvent encourir, je me disais que le thème était intéressant et actuel. Et le fait qu'il soit écrit par une ado me branchait également.
A l'arrivée, je ne suis pas entièrement convaincue.
Sans doute notamment parce que Morgane Bicail est très jeune, et que cela se sent. Entendons-nous bien : elle écrit "bien" en ce sens que c'est relativement fluide et agréable à lire, quand je pense à son âge et que je compare aux copies de mes élèves. Mais ça reste maladroit, et non dénué d'un certain nombre de clichés. C'est assez peu réaliste, aussi. On nous vante une jeune fille intelligente, libre, un peu rebelle, mais qui n'hésite pas une seule seconde avant de plonger tête la première dans ce qui pourrait tout aussi bien s'avérer un traquenard. Elle et Lui (oui, c'est son p'tit nom, mais vous pouvez l'appeler l'Inconnu, aussi) nous sortent d'entrée de jeu du " bébé", du " babe" et du " chérie" toutes les trois phrases. Peut-être suis-je trop vieille pour trouver cela naturel? (Là, vous êtes censés me rassurer en me certifiant que je suis toujours aussi jeune et fraîche, que c'est la jeunesse d'esprit qui compte et pas l'espèce de truc qui ressemble à une ride et que je me suis découvert au coin de l'oeil. Et que d'ailleurs courir après les mômes, ça conserve. Pardon, je m'égare). Bref, tout ça pour dire que ça m'a paru manquer de naturel, que quelque chose clochait.
J'avoue aussi avoir été un peu interloquée, voire mal à l'aise, par quelques-uns des messages envoyés par Lui, dès le début du roman, et qui ont directement fait naître dans mon esprit l'image d'un Christian Grey des bacs à sable (pour ce que j'en connais, c'est-à-dire pas grand chose) : cette façon de préciser qu'il choisit des filles pour leur physique (oui, d'accord, il ne va pas opter pour le laideron de service, je vous l'accorde), mais surtout qu'il impose ses règles et que le jeu stoppera dès lors qu'elles ne seront pas respectées par Aly, sa jalousie voire sa possessivité (alors qu'ils ne se sont jamais vus, rappelons-le), son silence lorsqu'il a quelque chose à lui reprocher, pendant qu'elle se désespère et lui envoie des messages à la chaîne. Ce rapport s'établissant entre ces deux ados avait pour moi quelque chose d'un peu malsain, d'autant que la demoiselle avait 14 ans en l'écrivant.
Si l'identité de l'Inconnu (en italique dans le texte, toujours) est restée une surprise jusqu'à la fin (mais j'avoue que je n'étais pas spécialement motivée à me creuser la cervelle), on voit par contre clair assez tôt dans ses motivations, ce qui contribue encore davantage à relâcher le suspense quant à cette identité. Cela dit, j'ai trouvé qu'elle nous tendait à un moment une fameuse perche, du genre qui vous fait soupirer "Non, elle ne va quand même pas nous faire ce coup-là...", mais elle évite heureusement cette entourloupette, ce qui est tout à son honneur. Elle a également eu l'heureuse idée de rédiger certains chapitres du point de vue de Lui, pour casser un peu le rythme, parce que sans cela, ç'aurait été très monotone. C'est en réalité beaucoup plus gentillet que ce que laissait entendre la 4ème de couverture.
Je pense en fait que l'auteure a été éditée trop tôt. Qu'elle doit encore travailler et être appuyée, à la fois sur le plan de l'intrigue et de la construction des personnages, pour ne pas simplement "écrire joliment". Je lui reconnais le grand mérite de s'être lancée (et bravo à elle), mais son texte aurait vraiment mérité d'être retravaillé et mûri avant de le publier. Il y a une idée, il y a un talent certain pour l'écriture, elle a visiblement trouvé un public qui la suit, mais on sent trop le manque de maturité. J'imagine que maintenant qu'elle a mis un doigt dans la machine, elle ne pourra que continuer à tracer sa voie. Bon vent à elle, en tout cas !
Merci aux Editions Michel Lafon et à Camille pour cet envoi, qui m'a en outre permis de me pencher davantage sur le sujet "Wattpad".