Près de la Méditerranée, deux couples louent deux appartements voisins dans une résidence de vacances, les Bourdon et les Laforêt.
D'un côté, Arnaud et Claire, l'un passionné de microphotographie, l'autre férue de sport et de son apparence physique, et s'ennuyant ferme dans son couple, jusqu'à la rencontre par hasard de Simon, un cinquantenaire marseillais au style clinquant qui lui offre son premier orgasme (merci Monsieur).
De l'autre, Vincent et Virginie, le premier devenu accros au trading en ligne et aux sites pornos, frustré de ne pouvoir répondre aux attentes consuméristes de sa femme qui lui reproche infatigablement de ne pas gagner plus, et la deuxième, mal dans sa peau et persuadé que son mari va finir par la tromper étant donné qu'elle se juge absolument repoussante du fait de son surpoids.
Au fil de leur séjour, les apparences vont se craqueler, et les mettre face à leurs contradictions et à l'insatisfaction que leur procure leur vie (rien que ça).
J'avais repéré Le renversement des pôles depuis septembre, parmi la liste des publications de la deuxième moitié de 2015.
C'est donc avec une certaine impatience que je me suis plongée dedans, et mon ressenti est assez partagé.
Les premières pages du roman sont absolument truculentes, l'auteur y démontre un humour féroce dans le portrait brossé de nos quatre protagonistes, on se croirait dans une satire de la classe moyenne française.
Et puis, on rentre dans l'intrigue, et cet humour s'estompe graduellement, il y a bien sûr toujours des touches d'humour ça et là, mais le style sardonique de l'introduction se dilue définitivement et n'est jamais retrouvé dans les mêmes proportions par la suite.
Cet aspect m'a quelque peu déçue, je dois le dire, car j'avais vu dans les premières pages une promesse, qui, n'étant pas tenue, m'a donné un sentiment d'inégalité.
Cependant, en dépit de ce point, l'intrigue ne manque pas d'intérêt par ailleurs, et l'on se plaît à voir évoluer nos personnages comme des souris cobayes dans un labyrinthe sans sortie.
L'auteur dresse des portraits au vitriol : ses protagonistes sont mesquins, faibles, insatisfaits et égoïstes, ils n'hésitent pas à tomber dans les menaces, le chantage (Arnaud face à Claire lorsqu'elle le trompe), ou à blesser leurs proches pour assouvir leurs plaisirs (Claire qui délaisse Arnaud et son fils pour aller coucher avec son amant). Ils ne sont guère courageux (Vincent se cachant pour s'adonner à ses petits vices), leurs préoccupations sont à la fois commune, et parfois un peu méprisables (l'intérêt de Virginie pour les apparences au travers du modèle de sa voiture). Ils sont très humains, dans ce que cela implique de peu glorieux. Il serait facile de s'identifier, tant ils ressemblent à tout le monde, et pourtant, toute ressemblance serait honnie, dans la mesure où il n'y a rien d'admirable chez ces êtres lambda.
On se plaît à détester l'un, puis l'autre, à leur trouver des excuses, c'est une danse cruelle, qui égratigne l'image d'Epinal des couples bercés dans une routine débilitante, révélant les petites compromissions, les bassesses, les déceptions ravalées pour faire bonne figure, la solitude infernale.
Une peinture sociale qui ne manque pas de justesse ni de toupet, prompte à dénoncer la condition du couple moderne, de ces hommes et femmes coincés dans des rôles, des images et des obligations qui leur pèsent et brouillent les pistes du bonheur.
- Vous n'en pouvez plus de ces couples qui pullulent autour de vous, et rêvez secrètement, en aigri que vous êtes, qu'ils se fracassent tous irrémédiablement contre les rochers les uns après les autres, pour que les gens arrêtent de vous agresser en affichant sempiternellement le bonheur ineffable d'être deux.
- Vous êtes un amoureux des bouledogues français. Il y a un dans le roman, et je peux vous dire qu'il a un rôle important.
"L'amour a ceci de commun avec les chambres à air qu'il éclate sans prévenir quand il ne fuit pas sournoisement. [...] Débarrassé de ce présupposé romanesque, l'infortuné trouvera dans la télévision, le bricolage ou le single malt des compensations très valables. Il peut aussi préférer la culture des orchidées ou l'observation des libellules demoiselles au 105 mm." (Best phrase d'incipit ever)
"Pour conjurer les effets délétères du temps, trois fois par semaine elle pédale dans une eau froide sous l'œil faussement inquisiteur d'un coach au crâne rasé. Ni le vent qui balaie le parking l'hiver ni l'odeur suffocante du chlore ne la détournent de ce chemin de Damas tracé par un prophète en slip de bain." (best description de l'aquabike ever)
"Le renversement des pôles est un phénomène récurrent au cours duquel le champ magnétique de la Terre s'inverse. [...] A l'issue de la phase de déplacement, soit le pôle revient à sa configuration initiale et on parle d'excursion, soit il se maintient dans sa nouvelle position, on parle alors d'inversion."