Linguadorata, un texte de Clémence Tombereau…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Ne rien comprendre. Oublier. Enfouir dans d’improbables limbes les notions que l’on pouvait avoir. Pas de mots : seulement des sons. Pas de signification autre que leur chant. Pas de clé pour ouvrir leur sens.
Désapprendre et se laisser bercer, et comprendre, pour une fois, l’engouement des foules. La plus belle langue du monde. Pour une fois ils ont raison – pour une fois seulement.

Ce n’est pas une langue : c’est une symphonie. Les mots ne se comprennent pas : ils dansent. Sur un « o » qui se surprend lui-même, sur deux « t » qui s’aiment et qui claquent.

Désapprendre est un art, malaisé. Redevenir l’enfant qui ne sait pas encore parler et ne comprend dans les paroles qu’un enchantement sonore, une valse buccale.

Alors, les voyelles s’emballent, les voyelles s’accrochent à une exhalation fervente, rebondissent sur les tables, prennent leur temps pour s’enfuir, indépendantes des bouches qui les prononcent, des oreilles qui les cueillent sans les comprendre. Les voyelles vivent seules : elles regardent leur ombre au sol, de drôles de ronds, de curieuses volutes qui s’effacent en douceur, des nuages dodus, petits.

Les consonnes, quant à elles, s’entrechoquent, vibrantes et volontaires, elles combattent les voyelles avec leurs poings (la langue contre les dents, les deux lèvres qui s’écrasent en s’embrassant, mordre les mots), comme si la beauté d’un monde s’engouffrait dans les bouches, alambics d’alchimistes, avant d’en ressortir vivante, survivante : la langue italienne, ou la langueur des mots.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)