De Creede, dans le Colorado, à El Paso, Texas. John Bernard Books a mis neuf jours à faire le chemin à cheval, le fessier amoché, collé sur un coussin volé dans un bordel. Une méchante trotte quand des douleurs à l'aine grugent son homme.Depuis la dernière fois qu'il y a mis les pieds, la ville lui est devenue méconnaissable. C'est qu'en ce début du 19e siècle, la ville fait son entrée dans la modernité.Ça doit faire longtemps que vous n'avez pas regardé un calendrier, Books. On est en 1901. Les jours anciens sont morts et enterrés et vous ne le savez même pas. Vous pensez que cette ville est juste un endroit comme les autres où faire régner une terreur de tous les enfers. Un enfer, c'en est un. Bien sûr qu'on a encore des saloons, des filles et des tables de jeu, mais on a aussi l'eau courante, le gaz, l'électricité et une salle d'opéra, on aura un tramway électrique d'ici l'année prochaine et on parle même de paver les rues. On a tué le dernier crotale dans El Paso Street il y a deux ans, dans un terrain vague.Qu'est-ce que Books vient faire en ville? Il vient rencontrer le docteur Hostetler, qui lui a sauvé la vie une fois, pour avoir un deuxième avis au sujet du cancer de la prostate qu'un autre docteur lui a diagnostiqué. Il loue une chambre dans la pension de la veuve Bond Rogers et de son fils Gillom - de la mauvaise graine en devenir, celui-là. Le docteur Hostetler est catégorique. Le verdict est sans appel: il ne reste à Books que quelques semaines à vivre.En ville, la rumeur que le roi de la gâchette est dans les parages se répand comme une trainée de poudre. Ça se met à cogner à la porte de la chambre de Books. Les vautours rodent: un journaliste veut écrire une série d'articles sur lui, un photographe aimerait le prendre en photo, un croque-mort veut régler son enterrement, une ancienne flamme veut l'épouser pour porter son nom, un brocanteur veut racheter tous ses effets personnels pour les revendre à fort prix. Cette gang d'hypocrites veut tirer de l'argent ou de la célébrité de la mort prochaine de Books. S'il y a quelque chose que Books méprise, c'est bien les hypocrites…Aspirant à voir leur nom entrer dans l'Histoire en tuant cette figure légendaire, quelques tireurs de bas-étages sont déterminés à tuer Books. Mais même à l'agonie, l'homme entend bien garder sa réputation de roi de la gâchette.À mesure que le cancer progresse et le fait souffrir, Books gagne en humanité. Bond Rogers en sera témoin en trouvant l'Homme qui se cache derrière la légende. En mettant ses préjugés en sourdine, elle voit au-delà de sa mauvaise réputation et découvre un homme bon, attentionné et vulnérable. Son fils, lui, idolâtre le tireur, qui tentera de l'enligner dans le droit chemin. Sentant sa dernière heure arrivée, Books n'attendra pas que la mort vienne le surprendre lâchement dans son lit. Il se prépare, règle toutes ses affaires et orchestre sa mort, à sa façon. Il mourra dans un grand coup d'éclat, à la hauteur de sa réputation.Avec Le tireur, Glendon Swarthoutsigne un western crépusculaire poignant, beau comme un coucher de soleil de fin du monde. Le tireur, c'est la fin d'un mythe, la fin d'une époque. Comme dans Homesman, l'écriture de Swarthout est sèche, épurée, d'une grande sobriété. Les dialogues sont incisifs et mordants, l'humour grinçant.Swarthout me touche dans sa façon de présenter des hommes bourrus, rustres et grossiers, et de les transformer, au contact d'une femme, en hommes bons, attentionnés, sensibles. Il a le don de faire sortir le meilleur des hommes! C'était le cas avec Briggs dans Homesman. C'est le cas ici avec Books.Au-delà d'un roman sur la mort d'un cowboy solitaire, Le tireur est un grand roman sur la maladie et l'impuissance qui l'accompagne, sur l'hypocrisie et le désir d'être célèbre. Un roman sombre, d'une grande, très grande humanité.Le tireur, Glendon Swarthout, Gallmeister, «totem», 208 pages, 2012.★★★★★