"Lorsque les politiciens restreignent nos droits dans le but de "nous protéger", la liberté est perdue".

Et, un peu plus loin, "Et pire que tout, lorsque la peur devient notre quotidien, nous abandonnons volontairement la liberté contre une promesse de sécurité, comme si la liberté n'était pas la base même de la sécurité". Oh, bien sûr, j'ai choisi ce passage pour illustrer mon billet, parce qu'il illustre parfaitement, je trouve, notre roman du jour. Mais, aussi, j'imagine que vous vous en rendez compte, parce que cela résonne avec des débats qui agitent notre société depuis quelques mois... Pourtant, le livre dont nous allons parler est une uchronie et pourtant, comment ne pas faire de passerelles avec l'histoire contemporaine ? Attention, ce billet est consacré au tome 2 d'une trilogie et lire le premier volet est indispensable, je le précise. Cette trilogie, c'est "les Brillants", de Marcus Sakey, dont le deuxième volet, "Un monde meilleur", vient de sortir à la Série Noire. Un tome central qui éclaire le lecteur sur les acteurs principaux de cette histoire, mais révèle aussi de nouveaux enjeux. Et Sakey va loin, très loin, dans ce deuxième volet qui augure d'un dénouement de haute volée...

Les événements révélés à la fin du premier tome ont précipité la chute du président Walker. Une procédure d'impeachment a mis un terme à son mandat et son vice-président, Lionel Clay, est devenu le locataire du Bureau Ovale de la Maison Blanche. Lui qui ne voulait déjà pas de la vice-présidence, le voilà aux commandes d'une Amérique au bord du chaos.
Jamais, depuis les événements qui ont mené à la Guerre de Sécession, les Américains n'ont été aussi divisés. L'apparition de ceux qu'on appelle "les Brillants", au début des années 1980, a d'abord été pris à la légère, car ils ne représentaient qu'un pour cent de la population, mais, désormais, arrivés à l'âge adulte, la perception qu'on a d'eux n'est plus la même. Et la révolte gronde.
Un projet de loi, l'Initiative Surveillance et Contrôle, est en gestation pour ficher et doter de puce les Brillants, voire les rassembler dans des lieux précis où l'on pourra ainsi les maîtriser... Un projet controversé mais qui gagne sans cesse du terrain, au grand dam des Brillants, en particulier ceux qui ont déjà choisi de lutter contre l'Etat fédéral.
Il y a ceux qui vivent dans la Nouvelle République de Canaan, qui occupe une partie de l'Etat du Wyoming, rachetée par Erik Epstein, l'homme le plus riche du pays. Et puis, il y a ceux qui, dans le sillage du charismatique et mystérieux John Smith, ont choisi une lutte plus radicale. D'ailleurs, voilà que le début de la présidence Clay est marqué par une vague d'actes très violents.
Un groupe qui s'est baptisé "les Enfants de Darwin" attaque des camions et brûle vif les chauffeurs. Et puis, cette organisation, soupçonné d'être partisane des Brillants les plus radicaux, et pourquoi pas, de John Smith lui-même, réussit à faire le blocus de trois villes importantes du pays : Fresno, en Californie, Tulsa, dans l'Oklahoma et Cleveland, dans l'Ohio.
Plus aucun camion de ravitaillement ne parvient dans ces importantes cités, où la panique gagne rapidement. Des scènes impensables aux USA, magasins vidés de leurs contenus, réserves dignes d'un temps de guerre, début de pénurie, pillages... Une montée des tensions qui menace de dégénérer en violences bien plus sérieuses...
A Washington, Nick Cooper, personnage central de cette trilogie, agent du DAR, une agence secrète chargée de surveiller les Brillants, et à l'origine des révélations qui ont abouti à la chute du président Walker, reçoit une proposition qui le laisse pantois : devenir conseiller spécial du nouveau président Clay. Lui, le Brillant au service de l'Etat...
Lui, qui, depuis ses récentes mésaventures, ne sait plus vraiment à qui se vouer, tant ce qu'il a découvert a érodé sa confiance envers le pouvoir officiel mais aussi envers celui qui se présente comme une alternative, John Smith... Mais, la situation est si dégradée qu'il se dit que cette position de premier plan l'aidera à y voir plus clair. Il ne va pas être déçu...
A Cleveland, le professeur Ethan Park travaille pour une société de pointe, l'Institut de Génomique avancée, créé par un scientifique de génie, Abraham Couzen. Avant même que les événements graves qui frappent la ville ne débute, Park était déjà dans l'inquiétude. En effet, Couzen a disparu et tout laisse penser qu'il a été enlevé. En ce qui concerne la raison de cet enlèvement, Park a sa petite idée, mais qui a pu le perpétrer ? Là, il n'en sait rien...
Voilà le contexte dans lequel commence ce deuxième tome, qui pourra paraître débuter assez lentement à certains, mais qui ne fais ensuite qu'aller crescendo dans la tension et dans l'action. Jusqu'à un final aussi flippant que spectaculaire... Un deuxième tome qui n'apporte pas toutes les réponses à toutes les questions, mais permet d'y voir tout de même plus clair.
Lionel Clay est devenu président malgré lui, il ne souhaitait pas occuper ces fonctions et n'en a sans doute pas l'étoffe. Il faut dire que l'exécutif a été sérieusement pris de court par les événements liés au DAR et à l'attentat du Monocle. Vouloir Cooper à ses côtés, c'est un signe d'apaisement dans la tempête mais l'initiative ne fait pas que des heureux...
Au gouvernement comme dans d'autres sphères politiques influentes, certains ne cachent même plus leur volonté de tout faire pour régler la question des Brillants une bonne fois pour toutes. Les Faucons de Washington sont là et tout sera bon pour justifier le déclenchement d'une guerre pour asseoir l'autorité de l'Etat, quitte à jouer avec la démocratie et les institutions...
Avec "les Enfants de Darwin", ces bellicistes tiennent peut-être l'élément qui manquait à leurs ambitions. L'occasion de reprendre la main en toute transparence, au contraire des manigances de l'ex-président Walker, à l'origine d'un scandale sans précédent... Mais à quoi sont réellement prêts ces hommes ? Un coup d'Etat qui ne veut pas dire son nom ? Le sacrifice d'Américains innocents ?
De l'autre côté, si John Smith parcourt le pays pour vendre son autobiographie et peaufiner son image publique de rebelle face à l'arbitraire d'Etat, Nick Cooper, lui, connaît le vrai visage de l'homme et sait que tout cela n'est qu'un écran de fumée, la partie visible d'un projet qui n'a rien de pacifiste et est certainement tout aussi néfaste pour le pays que ce qui se trame à Washington.
Bref, voilà Nick Cooper dans la plus inconfortable des positions : celle de l'homme qui porte et agite, en vain, un drapeau blanc entre deux camps qui n'attendent plus qu'une chose, en découdre. Pourtant, il reste un infime espoir d'éviter l'implosion du pays et Nick Cooper croit le connaître. A lui de jouer. Vite. Car il y a urgence : la situation à Cleveland est en train de sérieusement empirer...
La lecture de ce tome 2 me laisse une bizarre impression... D'abord, par les références répétées, dans la première partie du livre, à la montée du nazisme. Le passage que je cite au début de ce billet est suivi par la citation du fameux poème du pasteur Niemöller, "quand ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste..."
Rappelons que "les Brillants" est une uchronie : on sait, par certains éléments disséminés dans la narration que l'Amérique dans laquelle sont apparus ces Brillants, des personnes possédant des capacités nouvelles que n'ont pas les Normaux, qu'on leur oppose, n'est pas l'Amérique que nous connaissons. Ainsi, pas de Guerre Froide, de Guerre du Vietnam ou d'attentats du 11 septembre...
En revanche, le système politique, lui, reste identique, avec un président qu'on devine très isolé, détenant sur le papier une phénoménale puissance, mais, dans les faits, soumis à des lobbys, des ententes secrètes impliquant certains membres de son gouvernement ou de son entourage direct, ou encore d'officines qui, parfois, prennent leurs aises avec les lois et la Constitution, comme le fameux DAR.
De là à se dire que "les Brillants" pourrait être une sorte d'avertissement sur les dérives politiques qui pourraient menacer la démocratie et la liberté en Amérique, il n'y a pas loin... Et lorsque l'on regarde, même de loin, les primaires qui ont débuté Outre-Atlantique, on ressent un certain malaise en croisant les doigts pour que ce que raconte Sakey reste le plus longtemps possible de la science-fiction...
Autre cause de la bizarre impression du lecteur que je suis, la partie terrorisme. Si j'avais lu ce tome au même moment que le premier, l'été dernier, sans doute mon regard serait différent. Mais depuis cet automne, comment ne pas être sensible à de tels sujets ? Comment ne pas faire un parallèle avec ce que nous avons vécu et vivons encore ?
"Les Enfants de Darwin" et leurs méthodes ont, par bien des côtés, des points communs avec d'autres terroristes que nous connaissons trop bien. Ce qui se dévoile au fil des pages de ce livre vient nettement renforcer l'impression, de par les réseaux dormants, le cloisonnement, le projet global qui se déploie, etc.
Et on retrouve aussi un peuple pris entre le marteau et l'enclume, un Etat qui durcit ses positions en mettant en avant sa légitimité et la nécessité d'une action forte, et un groupe terroriste puissant qui entend bien créer le plus de désordre possible. Aucun camp ne se soucie du nombre de victimes que tout cela occasionnera, l'important, c'est le pouvoir !
On comprend ainsi mieux encore l'inconfort dans lequel se trouve Cooper qui sait mieux que tout le monde qu'il n'y a aucune intention positive ni d'un côté, ni de l'autre, mais deux ambitions forcenées prêtes à entrer en collision... Il est bien seul, même si son collègue, l'agent Quinn, ou la mystérieuse Shannon, une Brillante proche de John Smith, pourraient être de précieux renforts...
Nick Cooper s'affirme dans cette situation folle, où on le découvre d'abord dans la position d'un Broady, le personnage central des premières saisons de la série "Homeland", lorsqu'il devient conseiller du président, sans vraiment lui faire confiance ni dévoiler tout ce qu'il sait. Ensuite, on retrouve l'homme d'action, quelque part entre John McClane, Jack Bauer et Wolverine (mais sans les griffes).
Eh oui, il fallait bien dans tout cela un bon vieil archétype, celui du héros sans peur et sans reproche, capable de tout, du meilleur et du pire, si besoin, pour sauver le monde, même malgré lui. Et Cooper ne se ménage pas, loin de là, on le verra. Pour quels résultats ? Difficile à dire, il reste un tome 3 à venir, ce n'est donc pas dans ce livre qu'on aura toute les réponses...
Alors, posons la question autrement : maîtrise-t-il la situation ? Clairement, non, et la situation va sérieusement évoluer entre le début d' "Un monde meilleur" et sa fin. Et la donne n'en sera que chamboulée... Un mot sur le titre de ce tome : on songe évidemment au "Meilleur des mondes", d'Aldous Huxley, ce qui n'a rien de rassurant...
Je suis vraiment curieux de lire le dernier volet, pas uniquement pour savoir comment tout cela va se finir, mais déjà pour voir dans quel contexte il se déroulera, tant il se passe de choses fondamentales dans le dénouement débridé de ce tome-là. Et puis, bien sûr, savoir comment Cooper va sauver ce qu'il reste à sauver...
Un dernier mot : en plus des enjeux politiques, que j'ai largement évoqués ici, on découvre dans ce tome des enjeux scientifiques majeurs. Je suis rapidement passé sur le personnage d'Ethan Park qui est pourtant l'autre personnage central d' "Un monde meilleur". Son rôle se précise au fil des chapitres et l'on comprend mieux qu'il devrait tenir une place plus importante encore dans le dénouement de cette histoire.
Mais, je ne vais pas en dire plus à son sujet. Car cette partie-là est un des éléments centraux de l'intrigue. On se doute bien que Park sait des choses, mais elles n'apparaissent pas tout de suite. Et, par ailleurs, ce que l'on apprend n'est pas non plus encore très clair. Un principe, oui, sans doute, mais pas le pourquoi du comment qui devrait être une des clés du dernier tome.
Comme "les Brillants", "Un monde meilleur" a tout d'un thriller politique assez classique. Mais c'est évidemment le contexte particulier dans lequel les événements se déroulent et donc la dimension uchronique qui fausse les repères du lecteur, qui en fait une série spéciale. Pour autant, cela reste extrêmement efficace, avec un Marcus Sakey qui se lâche carrément dans la dernière partie du livre.
De la science-fiction, oui, parce que l'auteur en a décidé ainsi, mais c'est bien avec nos peurs actuelles qu'il joue, ce qui rend aussi cette lecture très addictive. D'autant que Markus Sakey nous laisse sur un double cliffhanger qui a le mérite de, déjà, planter le décor du volet à venir. Et, en ce qui me concerne, j'ai hâte de voir débouler la suite et la fin de cette série.