Au pays des peureux, ceux qui osent mettre un pied dehors sont des connards. Des fils de ces putes qui n’ont jamais pris le soin d’adoucir leur voix, d’ouvrir un livre de contes de fées, et de les border de tendresse jusqu’à ce qu’ils trouvent le sommeil. Comme les mamans des peureux le faisaient, juste après avoir préparé le cartable pour le lendemain, juste avant de déposer leurs lèvres et leur vanille sur leur nuit paisible. Et quand les peureux ont, à coup d’histoires qui finissent toujours bien, appris à distinguer les gentils des méchants ; les connards, les yeux grands ouverts sur un matelas posé à même le sol, si bien qu’aucun monstre ne pouvait se glisser dessous, ont appris à ne plus avoir la trouille. Ni du noir, ni du vide, et sûrement pas de la vie. Au pays des peureux, ceux qui osent mettre un pied dehors sont des connards. Et ils nous rassurent, nous, les peureux, ces connards qu’on peut insulter à notre guise, asséner de tous ces coups qu’on n’ose pas foutre au cul de cette vie qu’on ne croque qu’avec modération. Et on les déteste, pour tous ces lombagos qu’on se colle à force de courbettes, pour toutes ces nuits passées au-dessus de la cuvette des waters d’avoir gobé avec le sourire tous ces discours avariés, pour tous ces kilos en trop qu’on accumule à chaque fois que le somnifère ne fait plus effet, pour tout ce plaisir qu’ils prennent au lieu de faire attention.
Au pays des peureux, ceux qui osent mettre un pied dehors sont des connards. Le monde est plein de peureux qui nous ont appris à détester les connards et nous ont nourris de leurs peurs ; et, comme on est des putains de bons élèves, on s’en est même fabriquées de nouvelles. On n’a jamais fini en bouillie sur un passage clouté : on a toujours attendu que le petit bonhomme passe au vert avant de traverser, on ne s’est jamais fait agresser par un détraqué : on a toujours pris le soin d’éviter d’adresser ne serait-ce qu’un regard à un inconnu dans la rue, et la seule chose qu’on peut nous reprocher d’avoir allumée, ce sont les cierges dans l’église du village d’à côté, juste avant d’aller nous confesser. Un je vous salue marie, une série de dix pompes, et dix milligrammes de prozac dans nos cornflakes au petit-déjeuner suffisaient pour que le curé nous acquitte de toutes ces fautes que nos peurs mythomanes s’amusaient à lui raconter. Mais si le curé à moitié beurré le dimanche matin a le pardon facile, la conscience des peureux est intransigeante : elle n’excuse jamais et attend toujours plus. Les peureux accumulent les preuves de soumission comme ils collectionnaient à l’école les bons points et les belles images, le sourire suspendu à leur cœur gonflé d’espoir que les grands soient enfin fiers d’eux, qu’ils collent sous leurs semelles l’étiquette de gentil qui gagne toujours à la fin.
Au pays des peureux, ceux qui osent mettre un pied dehors sont des connards. J’ai appris à détester les peureux à force de tomber sous le charme de tous ces connards qui n’ont pas cette fâcheuse manie qu’ont les gentils de laisser dans l’assiette les croûtes sèches de leurs envies. Qui croquent toujours dedans avec encore assez d’appétit pour réveiller au passage celles que je m’échine à enfouir, sous des sourires qui savent exhiber toutes les dents et s’arrêter avant les gencives, des pantalons assez larges pour faire passer le désir pour de l’ennui, des soupes qui ne trompent jamais bien longtemps ma faim, en attendant que toutes les mamans du monde me collent sous le nez leur vanille et me disent que oui, je suis une gentille petite fille.