Si Le Buveur est un roman, il est aussi grandement autobiographique. En 1944 Hans Fallada divorce, mais un épisode violent en août contre son ex-épouse entraîne son incarcération pour trois mois, où il rédige en secret une "confrontation intensive avec les humiliations et les crises personnelles des années passées". Le roman qui ne sera finalement publié qu’en 1950, après la mort de Fallada, est une partie de ce manuscrit.
Le narrateur, Erwin Sommer, la quarantaine, est propriétaire d’un magasin de produits agricoles qui marche bien, dans une petite ville de province. Il est marié avec Magda depuis une quinzaine d’années mais le couple n’est plus ce qu’il avait été. Une négligence professionnelle puis un court voyage à Hambourg pour rattraper le coup lui font découvrir l’alcool, et lui qui ne buvait jamais tombe dans ce piège addictif. Le roman va s’attacher à transcrire la descente aux enfers d’Erwin Sommer.
Pour le lecteur, le bouquin est en deux parties, même si elles ne sont pas concrètement signifiées. Il y a l’avant et l’après incarcération. Personnellement, j’ai préféré l’avant. Le ton est enjoué, on s’amuse à suivre cet Erwin, pas très futé et naïf, pas vraiment bosseur, faible de caractère mais ces traits de sa personnalité se lisent en creux car le narrateur ne se voit évidemment pas comme tel, ou bien lors de rares moments de lucidité qui ne durent pas. Puis l’alcool devient drogue dont il ne peut se passer, l’argent du ménage et l’argenterie, tout va partir en bouteilles de schnaps. L’engrenage fatidique est en marche, les mauvaises rencontres, l’entreprise qui périclite, la lutte d’influence avec Magda qui s’avère très « compétente » et selon les mots, plus tard, d’un médecin, « votre femme, dans votre couple, est celle qui mène et qui domine. » Erwin devient paranoïaque, aveugle à la situation, se croyant plus malin que tout le monde. Il va connaître la prison pour tentative d’assassinat sur sa femme, puis l’incarcération en maison de santé. Le bouquin est alors extrêmement plaisant à lire, plein d’humour, voire comique (en exagérant un peu, limite Laurel & Hardy dans certaines situations !)
La seconde partie est beaucoup plus classique – du moins à le lire aujourd’hui ( ?) – la vie en prison, les combines, les vexations, la dureté de la vie, on connait nous avons déjà lu cela. Par ailleurs le sevrage semble passé sous silence ou du moins se dérouler naturellement, sans que l’auteur, bizarrement, s’y attarde… C’est moins drôle évidemment, mais on ne tombe jamais dans l’horreur, je l’ai dit le ton de l’ouvrage est léger et même en prison, l’humour (forcé) subsiste, « nous sommes nourris de bonne eau bien chaude… »
La dernière page du roman est très belle, même si elle est très symbolique du caractère définitivement déraisonnable de ce pauvre Erwin Sommer. Un personnage qui ne nous restera, grosso modo, jamais vraiment antipathique… mais comme c’est aussi lui qui a écrit le bouquin… Un fort bon roman au demeurant.