"Allez, qui c'est les plus forts ? Évidemment c'est les Verts !" (Monty).

Par Christophe
J'écris ce billet au lendemain d'une élimination peu glorieuse face à Bâle en Europa League, mais il y a 40 ans, tout le pays connaissait une épidémie de fièvre verte, soutenant, en tout cas pour ceux qui aimaient le football et un peu au-delà, l'équipe de Saint-Etienne dans son épopée européenne, jusqu'à la finale perdue à Gasgow, vaincu par le Bayern de Munich et les poteaux carrés... Le livre dont nous allons parler ce soir parle évidemment de foot, mais de bien d'autres choses encore, en nous plongeant au coeur de cette année 1976, lorsque le Chaudron de Geoffroy-Guichard, chauffé à blanc (enfin, à vert), a transmis sa chaleur à une ville, une région, un pays... "Un printemps 76", paru chez Stock, est signé par Vincent Duluc, journaliste à l'Equipe, quotidien sportif pour lequel il suit pourtant le rival de toujours, Lyon. Mais, il y a 40 ans, il était un adolescent amateur de foot qui a rêvé devant les exploits des Rocheteau, Larqué, Bathenay, Curkovic... Et tout cela a peut-être suscité sa vocation future...

En 1976, Vincent Duluc est collégien. Un collégien qui s'ennuie, tant en classe qu'en dehors de l'école, vivant dans une région assoupie. Fils de profs, il habite alors Bourg-en-Bresse, à quelques encablures de Lyon, berceau d'une bonne partie de la famille, mais pas de son père, originaire, lui, de Saint-Etienne.
Cette saison-là, les Verts, qui écrasent le championnat de France depuis plusieurs années, connaissent un parcours européen fantastique. Copenhague et les Glasgow Rangers n'ont pas pesé lourd, puis est venu l'exploit contre le Dinamo Kiev de la star et gaucher magnifique, Oleg Blokhine. Une victoire sur Eindhoven a enfin ouvert les portes d'une finale européenne à ce club désormais légendaire.
Ce parcours, finalement, Vincent Duluc en parle peu. Ce n'est pas tellement son propos, même si, dans la dernière partie, on suivra à travers ses yeux de jeune téléspectateur, cette finale qui reste ancrée dans les mémoires hexagonales (et un peu chauvines) pour les deux tirs sur les poteaux qui s'ils n'avaient pas été carrés, n'auraient pas empêché les Verts de marquer... Le nez de Cléopâtre des footeux...
Avec, à la clé, une incroyable anecdote que je ne vais pas vous livrer ici, mais qui ne fait que renforcer le goût amer que ressentent toujours les "meilleurs supporters", quatre décennies après ce match. Pas de quoi, pour autant, entamer la fierté d'une ville à qui le football a permis de prendre des revanches, mais aussi d'apparaître sur les cartes de l'Europe.
Car, tout est là : une ville minière et ouvrière, aux murs noirs, vivant encore à l'ère du paternalisme industriel, à travers la famille Guichard, fondatrice de Casino, pouvait faire la nique à d'autres, bien plus huppés, fortunés (même si on est alors loin du foot business actuel) et souvent condescendants. En commençant par le voisin lyonnais.
Vincent Duluc nous emmène au coeur de cette ville, dans les années 70 qui annoncent déjà la fin d'une ère, lorsque le charbon français sera jugé pas assez compétitif, trop cher, dépassé... Lorsque la Manu, cette institution locale, commencera à battre sérieusement de l'aile jusqu'à la fermeture au début du XXIe siècle...
Oui, en 1976, Saint-Etienne aborde une période de turbulence et c'est bien le foot qui maintient l'espoir. On a peu d'endroits en France où le club de foot fait à ce point corps avec sa ville. Marseille, Lens, sont les noms qui viennent naturellement avec Saint-Etienne. Et Vincent Duluc décortique parfaitement cette symbiose.
On descend à la mine, en lisant ce livre, on plonge dans cet univers si particulier, tellement dur, tellement pénible. Des hommes pour lesquels le foot devient un exutoire, encore plus lorsque les Verts forment la meilleure équipe de France, l'une des meilleures équipes d'Europe. Sans doute n'est-ce pas un hasard si, en cette année 76, c'est un homme qui a connu la mine qui se trouve à la tête du club.
Il s'appelle Roger Rocher. Son nom n'est pas encore entaché par les affaires, celle de la caisse noire, qui mettra un sérieux coup de frein à l'euphorie stéphanoise au début des années 1980. Il est alors le leader de cette équipe, avec ce franc-parler si particulier, ses phrases à l'emporte-pièce et sa mégalomanie débonnaire.
Vincent Duluc dresse un magnifique portrait de cet homme, sans qui l'histoire de ce club, des heures les plus glorieuses aux plus sombres, n'aurait pas du tout été la même.  Un des premiers présidents à faire entrer son club dans le professionnalisme, avec ce que cela peut avoir de danger, de critiquable, mais qui a toujours eu à coeur les destinées de son club.
D'autres personnages-clés de la réussite stéphanoise ont aussi droit à leur portrait : l'homme de l'ombre, Pierre Garonnaire, toujours en retrait et tellement important ; Robert Herbin, l'entraîneur impassible, le Sphinx à la crinière rousse et à l'autorité presque tyrannique ; Jean-Michel Larqué, le capitaine, à la langue bien pendue et pas forcément apprécié de tous, mais respecté...
Et puis, évidemment, Dominique Rocheteau, l'Ange Vert, prodige de 20 ans, qu'un claquage privera d'une place de titulaire pour la finale de Glasgow, absence sans doute très lourde au final. Rocheteau, c'est la star d'une équipe où prime pourtant le collectif. C'est le premier footballeur-vedette de France, avec ce côté rock et don juan qui rappelle une de ses idoles : George Best (sujet du précédent roman de Vincent Duluc).
On pourrait aussi parler des deux étrangers de l'équipe, le gardien, Ivan Curkovic, et le défenseur argentin à la tignasse aussi longue que ses foulées, Oswaldo Piazza... Ils sont plus en retrait, dans ce livre qui, encore une fois, ne se concentre pas uniquement sur les questions sportives, mais nous fait revivre le contexte de ce printemps 76, apogée de la fièvre verte.
Malgré tout, Saint-Etienne ne fait pas l'unanimité, et le football non plus. Certaines élites regardent le phénomène de haut, avec un certain mépris qu'on juge de bon aloi mais qui est aussi celui des classes supérieures pour les classes les plus modestes. Jusqu'à la tête de l'Equipe, d'ailleurs, qui ne se consacre pas encore autant au foot que maintenant et trouve ce sport bien moins glorieux que les disciplines olympiques.
Quarante ans après, cette dimension n'a pas vraiment changé, sans doute à tort, même si le jeu est lui aussi noyé par le fric, les enjeux médiatiques, le chauvinisme, la violence, aussi... Non, tout n'est pas rose (ni plus vert, d'ailleurs) dans ce microcosme devenu plus financier que véritablement sportif. Mais la passion, elle, demeure, même si on la voudrait plus fair-play...
Je ne vais pas le cacher, j'aime le foot, je suis né peu de temps avant ce printemps 76, je n'étais pas assez grand pour être un véritable supporter des Verts et, à l'heure de la finale de Glasgow, je roupillais certainement du sommeil du juste. Mais, incontestablement, j'ai baigné dans cette ambiance à une époque où, rappelons-le, le foot n'avait pas autant d'heures d'antenne à la télé que maintenant, bien au contraire...
Pour Vincent Duluc (qui est un peu plus âgé que moi, mais à peine, si, si...), c'est certainement encore plus net. Amateur de football, joueur lui-même chez les jeunes, à Bourg-en-Bresse, il est forcément attentif à ce que font les Stéphanois. Et il raconte aussi comment il a vécu ce printemps 76. C'est plein de nostalgie, d'histoires amusantes.
Comme celle qui ouvre le livre, avec ce souvenir, dont on ne sait pas s'il est réel ou s'il a fini par se persuader lui-même qu'il avait vécu de l'intérieur du Stade Geoffroy-Guichard une de ces grandes heures européennes. C'est dire la passion que suscitait le club. Etait-il derrière l'un des buts, dans ces tribunes dites populaires, on revient aux questions de classe ? Oui, certainement.
Difficile de vous parler de ce livre, qui est effectivement un roman, même si ce n'est pas une fiction. On n'a pas un récit construit comme une intrigue ou une trame narrative, mais on retrouve le côté journaliste de Vincent Duluc. "Un printemps 76", c'est un peu un numéro de l'Equipe Magazine entièrement consacré à Saint-Etienne et à ce début d'année fou, fou fou...
Un numéro dont le rédacteur en chef serait un ado de 14 ans, mêlant ses souvenirs, ses passions de l'époque, sa naïveté aussi, mais transmettant sa ferveur rafraîchissante. Ainsi, dans la première partie du livre, on se retrouve dans la vie de cet adolescent, ses préoccupations légitimes : les filles, la musiques, les loisirs, tout, tout, mais pas l'école, non, vraiment pas son truc...
"Un printemps 76" est un livre très musical, chaque chapitre s'ouvre sur une exergue tirée d'une chanson sortie cette année-là. L'un des premiers chapitres est aussi entièrement consacré à ces considérations musicales, entre boums et hit-parades radiophoniques, entre 45 tours et cassettes sur lesquelles on pirate gentiment les tubes diffusés sur les radios périphériques.
Cela peut sembler anecdotique, mais c'est aussi une formidable manière de plonger dans l'époque. Entre les incontournables, qu'on écoute partout, la variété qu'on écoute surtout pour faire plaisir, et plus encore si c'est à une fille qu'on veut faire plaisir et les chansons qu'on écoute parce qu'on aime ça, ce rock progressif, si générationnel.
Voilà comment on se retrouve en quelques pages, de Michelle Torr à Patti Smith, de Gérard Lenorman à Neil Young, de Nicolas Peyrac aux Eagles, et j'en passe. On va aussi écouter les artistes de passage à Bourg-en-Bresse, des événements à ne pas manquer pour rompre la monotonie du quotidien. L'épopée des Verts, c'est tout cela puissance mille.
Enfin, un dernier point, qui concerne le journalisme et en particulier le journalisme sportif. On mesure le monde qui sépare désormais 1976 et notre époque 2.0. Les bouclages de presse écrite qui intervienne avant la fin des matches, le côté rudimentaire des outils à disposition, autant de choses qu'on imagine plus à l'heure des éditions en ligne actualisées en temps réel et en permanence.
Là encore, on a une génération de vieux de la vieille, avec leurs méthodes, leurs savoir-faire, leurs trucs, leur connaissance des hommes et des lieux... J'ai énormément ri à l'évocation de ces interviews entièrement écrites par les journalistes locaux pour faire parler un joueur pas franchement à l'aise devant un micro. Sur le plan de la déontologie, c'est particulier, et pourtant, sans rien trahir.
"Un printemps 76" est bien sûr un livre pour ceux qui ont vécu ces instants, qui aiment le foot, qui ont collectionné les images Panini et les ont échangées à la récré... Mais il n'y a pas que ça, c'est un beau livre sur une époque révolue, à tous points de vue, je pense. Et peut-être avant tout, parce que l'auteur n'est plus l'adolescent qu'il était alors.
Le printemps 2016 approche, on espère désormais que le PSG, boosté aux pétrodollars qataris, succédera à Saint-Etienne (mais aussi à Reims, avant les Verts, à Marseille et à Monaco) en finale de la plus importante des Coupes d'Europe. Ce ne serait pas à Glasgow mais à Milan, les poteaux, on en est sûr, ne seront pas carrés. Et il y aura sans doute autant de joueurs français dans l'équipe qu'il y avait de joueurs étrangers parmi les Verts de 76. Autre temps, autre foot...
Et peut-être une des meilleures raisons de lire "Un printemps 76" et tomber dans un chaudron de nostalgie...