Éditeur : JC Lattès – Date de parution : septembre 2015 – 379 pages
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Ce livre est composé de deux parties : le roman, puis l’enquête. L’auteur explique son séduisant projet dès les premières lignes…
« En juin 2012, j’achète sur Internet un lot de 250 photographies provenant toutes d’une même famille. De cette famille, je ne sais rien. Les photos m’arrivent dans une grosse enveloppe blanche quelques jours plus tard. L’enveloppe devient mon trésor. Dans l’enveloppe il y a des gens, à la banalité familière, bouleversante. Je décide de les inventer puis de partir à leur recherche. »
Le roman s’écrit à partir de cette enveloppe de photos. Aucune légende, aucune date, ce sont des photos orphelines. Cette mise en roman comporte trois parties : pour trois femmes, trois générations et trois abandons. Années 80, Laurence, l’enfant abandonnée par sa mère à l’âge de huit ans. Années 70, Michelle, la mère éprise de liberté, ne tenant pas en place. Qui veut vivre vite. Quel qu’en soit le prix. Années 90, Simone, alias mamie Poulet, au seuil de la mort, emporte ses souvenirs avec elle et s’abandonne à la mort.
Dans le roman, les personnages défilent un à un mais palpitent autour de Laurence, l’enfant abandonnée. Elle reste avec son père, le cœur brisé, dans un sentiment de total abandon. Elle passe ses vacances chez mamie Poulet, au camping. Une enfance marquée par l’absence d’une mère. « J’attends que ma vie commence » répète-t-elle.
L’auteur nous livre ensuite le récit de son enquête, sous la forme d’un journal, pour retrouver les personnes-personnages figurant sur les photos. Ces gens dans l’enveloppe qui l’intriguent et qu’elle a inventés. Il en ressort un très bel objet poétique qui se situe à la frontière de la fiction et de la réalité. A mesure que l’auteur rencontre ses Gens dans l’enveloppe, la fiction se fait l’écho du réel, entre étonnement et coïncidences. On la sent attachée à ses personnages, qu’elle protège de guillemets, avant de découvrir qui ils sont en réalité.
Comment la fiction devient recherche de soi. Car c’est aussi sa propre histoire, sa propre famille que la romancière cherche dans le miroir de ces photos.
J’ai beaucoup aimé la démarche de l’auteur, partir à la recherche de ces personnes qui sont devenues personnages grâce à son imagination. Ré-inventer le réel à partir de ces photos, parfois floues, imparfaites, mystérieuses… On découvre de très belles réflexions sur la fiction et les personnages : comment ils naissent, la part de nous-même que l’on y attache en tant qu’auteur. Et sur les souvenirs, la trace laissée par les photos.
C’est un texte très émouvant, qui sonne terriblement juste et qui m’a bouleversée. Isabelle Monnin sait mettre en mots les émotions ; il y a des passages entiers qui font écho en nous et résonnent de façon étonnamment familière, qui nous touchent de façon universelle. Ce livre est un trésor.
Parallèlement à cette mise en roman des photos, il y a la mise en musique par Alex Beaupain… On retrouve un CD à la fin du bouquin. Je l’écoute tout en rédigeant ce billet… Mais je n’en dirai pas plus, je vous laisse le plaisir, si ce n’est déjà fait, de découvrir cette pépite littéraire et artistique. <3"><3"><3
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« Le silence, c’est pour être certaine de bien tout entendre, une arme de sioux. Je regarde le ciel, j’écoute les nuages et la terre. Avec mes petits mocassins à perles, je m’aplatis sur le chemin et je stéthoscope le sol à l’affût de son retour. »
« Nos peaux sont des enveloppes qui entourent ce que nous sommes vraiment et qu’on ne verra jamais. »
« Les idées sont comme les enfants dès les toutes premières heures de leur existence : impossible d’envisager la vie sans elles. »
« Les romans sont des abris où retrouver les disparus. Ecrire c’est construire leur refuge… »
« Faut-il tout conserver pour ne rien perdre ? Où la mémoire commence-t-elle ? A la seconde d’après ? A celle d’avant, qui s’avance inexorablement vers le futur ? Y penser (je veux dire y penser vraiment, entrer dans la grotte de la pensée sans outil ni lampe de poche), c’est comprendre qu’il n’y a rien, pas de nord, pas de sud, ni d’ouest, pas de couleur, pas de passé, ni bleu ni froid, rien, sauf le monde, cette obstination émouvante et vaine qu’a le monde à rester le monde quand les gens sont partis. Il y a la beauté des paysages anciens. »
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12ème roman lu pour le challenge de la rentrée littéraire…