J'ai un peu repoussé cette chronique pour cause d'avis changeant ; pourtant, j'ai beaucoup de choses précises à dire au sujet de ce curieux et fascinant roman.
De quoi s'agit-il ? C'es l'histoire d'un garçon et une fille et un garçon. Minute. Ça me rappelle un truc...
On retrouve les mêmes archétypes. Aïe aïe aïe, ça s'engage mal ! MAIS NON. La force de ce roman, c'est qu'il ne s'agit pas d'une dynamique classique, où la fille doit choisir entre les deux garçons. C'est un triangle où tout le monde s'aime (un vrai triangle, quoi), et où personne ne fait vraiment de choix.
Maintenant que j'ai votre attention...
Miranda, dite " Mira ", adolescente dépressive, n'est pas à l'aise dans sa peau. L'année passée, elle a joué d'un peu trop près avec l'idée du suicide et a été internée quelques semaines à l'hôpital psychiatrique, où elle a rencontré Sebastian, dit " Sebby ". Sebby est un adolescent orphelin qui va de foyer en foyer et semble danser sur la fine ligne des délits pardonnables par la société (vols à l'étalage, sexe homosexuel dans des lieux publics...). C'est aussi un garçon solaire et bourré d'humour, qui cache ses plaies. Ces deux-là sont inséparables, et c'est tout à fait par hasard qu' ils font entrer dans leur monde un garçon lunaire et timide, très craintif : Jeremy.
Je n'ai pas envie d'en dire tellement plus, ce livre tient de l'expérience à vivre : trois adolescents abîmés par la vie se rencontrent et trouvent dans leur présence mutuelle un cocon précieux où reprendre pied afin d'affronter l'extérieur. Chacun croit que les deux autres peuvent le sauver.
C'est un roman young-adult assez " adult ", porté par des thématiques dures et des sujets tendancieux, et pourtant indubitablement adolescent dans son esprit, son cadre, ses dialogues. Fans of the impossible life me laisse sur une impression mitigée.
Les plus :- Les deux garçons, à l'opposé du spectre astral, sont des personnages très réussis. Le personnage de Jeremy, son isolement, son besoin d'affection fébrile, fonctionne à merveille ; quand Sebby nous fascine par son côté tapageur, c'est Jeremy qui nous touche.
- L'évolution des relations. Celle, prudente, de la relation de Jeremy avec Mira et Sebby (qui débarquent dans sa vie comme des comètes), se fait à pas mesurés. Son arc est cohérent et réussi. Mira qui, elle, sur un an, fait un aller-retour à l'hôpital psychiatrique, semble avoir moins évolué. La trajectoire sombre de Sebby, bien que peut-être un peu précipitée, est intelligible et subtilement réaliste : on sent dès les premières scènes où on le voit seul qu'il est un personnage capable du meilleur comme du pire pour lui-même.
- Le style est sans emphase mais fin ; simple, mais travaillé. L'inhabituelle et étonnante polyphonie (Elle / Je / Tu) donne une vraie pulsation à l'alternance des chapitres. La focale se fait progressivement sur Jeremy, qui est le seul à raconter à la première personne du singulier. Les passages sur Mira sont au " Elle ", à la fois intimes et plus distants, et ceux sur Sebby portés par un " Tu " aliénant et accusateur. C'est plutôt cool.
- Les thématiques dures sont contrebalancées par une légèreté et un humour jeune, frais, jamais lourd. Le rythme est celui de la vie quotidienne, au début un peu lent, mais bien entretenu par la suite.
- La sensualité adolescente est extrêmement bien rendue, et ce de façon plutôt intelligente, sans voyeurisme, sans exagération, mais tout naturellement dans les regards échangés et lors des soirées, électrisées et alcoolisées, où tout semble possible. Et une exploration de la sexualité et de la bisexualité finalement assez rare. En outre, dans une littérature ado où l'on nous sert constamment des triangles amoureux, c'est le premier de ma vie que j'ai trouvé réellement intéressant. Parce que c'est l'histoire d'un garçon et d'une fille, et d'un troisième garçon qui est amoureux des deux premiers. Et là, tout de suite, cela crée une dynamique unique, à la fois intime, douce et brûlante.
Les moins :
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Le début du roman, qui se concentre sur Mira, est (comme elle), sensiblement plaintif et pesant. L'héroïne semble ne rien supporter du quotidien, à part Sebby, et une conversation de trente secondes avec des filles de sa classe à la cafétéria l'envoie se réfugier à l'infirmerie pour le reste de la journée. Elle semble faible et lâche (les reproches que lui font ses parents et sa sœur, et qu'elle vit mal), un rien geignarde, et on a dans un premier temps beaucoup de mal à s'attacher à elle. Les récits du point de vue d'un adolescent dépressif ou en rébellion doivent réussir le tour de force de les rendre attrayants au lecteur, par identification ou fascination, et ce n'est pas le cas ici.
Il faut attendre de voir Mira d'un point de vue extérieur (celui de Jeremy), pour lui trouver les qualités que lui, perçoit : de l'humour (elle est très pince-sans-rire), de l'imagination (elle a un esprit créatif et artistique). Cette opposition est très bien faite et intéressante : la dépression n'est pas nécessairement visible de l'extérieur... - Les thématiques " lourdes " sont multipliées : la dépression des adolescents, la vie en foyer d'accueil et la pente glissante de cela représente, l'homosexualité et son acceptation, le harcèlement scolaire, le suicide, la drogue douce et dure. Tout cela contribue à tisser une toile de fonds assez dense et sombre au roman, qui lui donne parfois un aspect un rien exagéré. (En outre, Jeremy est gay, ses parents son gays, Sebby est gay, Rose la nouvelle amie du groupe, est lesbienne : chaque nouveau personnage que Mira rencontre est homo, ce qui est légèrement improbable*).
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Les destinées des personnages, inachevées et assez négatives, créent de la frustration. À la fin du roman, les sorts de Mira (mal en point) et Sebby (très mal barré) laissent le lecteur dans une atmosphère plus pesante que jamais (malgré le personnage positif de Jeremy).
[Je ne gâche rien en vous disant cela ; je pense qu'il vaut mieux être averti.]
Bilan ? Un roman plein de bons moments, féériques et fantaisistes, mais frustrant. Et, personnellement, une lecture un rien plombante. Néanmoins, on a une bonne voix d'auteur, un univers personnel et des personnages mémorables.
Aux amateurs de John Green et David Levithan, je dis go, tout en gardant à l'esprit qu'on est moins dans l'humour décapant, et davantage dans l'intime et les trajectoires de vie qui se croisent.
Bonne lecture,
Fans de la vie impossible, de Kate Scelsa, chez Gallimard Jeunesse, 2016, 368 pages
* Ça m'a rappelé mon époque de consommation effrénée de fanfiction XD (où, même dans un monde où l'homosexualité est mal vue, bizarrement, tout le monde était gay)