Opération Sweet Tooth, par Ian McEwan

Par Clarabel

Au début des années 1970, Serena Frome, une jeune anglaise, fille de pasteur, étudiante en mathématiques à Cambridge, fait la rencontre d'un éminent professeur, qui va la modeler intellectuellement, avant de la recommander aux services secrets du MI5. Son idylle se termine douloureusement et, pour oublier son chagrin, Serena travaille d'arrache-pied pour décrocher sa première mission : l'opération Sweet Tooth, qui consiste à encourager de jeunes écrivains, en subvenant à leurs besoins financiers, pour qu'ils publient des écrits dont les idéologies concordent avec celles du gouvernement britannique. Tout ceci dans la plus grande discrétion, naturellement. La cible de Serena s'appelle Tom Haley, une plume prometteuse et pleine de talent, mais à l'univers assez sombre et torturé. La jeune femme tombe néanmoins amoureuse de ses nouvelles, avant de connaître le personnage... et de succomber de nouveau au charme de l'intellectuel. C'est une récurrence chez cette héroïne, belle et vaniteuse, qui reconnaît son attirance pour la même figure masculine dominatrice. Et fatalement, en tombant amoureuse de son client, la jeune femme compromet sa mission...

Serena n'étant toutefois pas une figure très attachante, son histoire ne nous touche pas davantage, aussi admirablement écrite et fascinante soit-elle. Dans ce roman d'amour, sur fond d'espionnage, l'auteur tente d'exploiter une nouvelle palette de sensations, où les relations semblent plus douces, plus délicates et à la sensualité plus nuancée, mais l'ensemble sonne faux, froid, imperméable aux émotions. L'auteur se sert aussi de la littérature comme un outil de manipulation - l'univers sulfureux de Haley rappelle celui de McEwan - la cruauté et la perversité s'étalent dans toute leur splendeur. Les femmes, aussi, sont traitées comme de simples objets jetables, dans une société qu'on devine désœuvrée, en quête de nouveaux ennemis (la guerre froide s'étiole, mais les premières frictions en Irlande du Nord apparaissent). C'est donc un roman pour le moins troublant et poignant... mais tellement déconcertant. J'en sors quelque peu perplexe. 

Folio / Octobre 2015 ♦ Traduit par France Camus-Pichon pour les éditions Gallimard