Décidément, ces temps-ci, je suis particulièrement attiré par l'Afghanistan. Euh, littérairement parlant, pour le tourisme, on attendra encore un peu... Notre livre du soir ne se déroule d'ailleurs pas uniquement dans ce pays et, contrairement à "Aime la guerre !" ou "Pukhtu", dont nous avons parlé ces derniers mois, il est essentiellement un décor. Car, et le titre choisi pour le billet l'indique, c'est une histoire d'amitié qui va nous occuper, entre deux hommes inséparables alors que tout, ou presque, devrait les séparer. "Le bout du monde", paru aux éditions Lattès en ce début d'année, est le deuxième roman de Marc Victor, qui s'est fait connaître auprès des amateurs de série comme co-créateur de "Kaboul Kitchen", dont deux saisons ont déjà été diffusées sur Canal+. Mais, attention, si la série joue avec les code de la sitcom et propose un résultat assez loufoque, ici, c'est une histoire teintée de nostalgie et de spleen que l'on découvre, même si l'humour n'est jamais très loin...
A l'été 2002, Pascal Beck atterrit à Kaboul, ville qu'il va découvrir comme humanitaire, alors que le terrible régime des Talibans est tombé. Au bout de deux ans passé dans ce pays si particulier qu'est l'Afghanistan, il laisse tomber son ONG et décide d'ouvrir un restaurant, qu'il baptise "le bout du monde" et qui devient rapidement le lieu où les expatriés viennent faire la fête.
En plus, on y mange (plus ou moins bien) des plats qui rappellent le pays, et il y a même une piscine ! Mais, Pascal est le genre d'homme à vite se lasser de tout... Quelques années ont passé et déjà il se laisse aller dans une espèce de langueur monotone. Il se replie sur lui-même, assurant la bonne marche de l'établissement, mais évitant le plus possible le contact humain.
Il délègue de plus en plus à un de ses employés, un Afghan du nom d'Enayat, et commence sérieusement à lui laisser carrément la gérance de l'établissement, parce que l'envie de refaire ses valises et d'aller ailleurs, encore une fois, commence à le tenailler. Où, il n'en sait encore rien, mais ce sera sans doute encore un pays loin de la France, où il n'a jamais trouvé sa place...
Et puis, un jour, on vient apprendre à Pascal que son meilleur ami a disparu. Corto da Costa et lui se connaissent depuis 35 ans et les bancs de l'école. Ensemble, ils ont tout vu et tout connu, les vacances dans les Pyrénées, dans la résidence secondaire des Beck, le Cambodge, lorsque Pascal, reporter installé sur place, lui a fait la courte échelle pour qu'il le rejoigne...
C'est Pascal qui a mis le pied à l'étrier de Corto pour qu'il devienne à son tour photo-reporter. Un métier dans lequel va se plonger Corto à corps perdu, jouant les têtes brûlées et prenant un maximum de risques tandis que Pascal, déjà, se lassait de cette vie, de ce boulot, de ce pays... De tout, quoi. Mais pas de son amitié pour Corto.
Pourtant, à part cette difficulté à trouver leur place en France et à aimer découvrir des contrées lointaines, les deux hommes n'ont pas grand-chose en commun. Ni physiquement, ni dans leurs centres d'intérêts, ni dans leurs passions, ni dans leur état d'esprit, ni dans leurs relations aux autres... Et pourtant, pour Pascal, cette amitié ne peut être qualifiée que d'indéfectible.
Même dans leurs relations aux femmes, ils diffèrent. Et pourtant, ils ont côtoyé et fréquenter les mêmes, depuis Valérie, lorsqu'ils étaient ados, jusqu'à Pia, à Kaboul. Là où Pascal, peu sûr de lui, pourrait être du genre à s'attacher, quand Corto, éternel séducteur au charme dévastateur, évite tout ce qui pourrait entraver sa liberté...
Apprendre qu'il a disparu n'éveille toutefois pas tout de suite d'inquiétude chez le restaurateur. Il connaît son ami, il sait qu'il est impulsif et capable de prendre des risques s'il sent que ça vaut le coup. Il avait en vue un reportage auprès des rebelles Talibans, alors peut-être a-t-il eu un tuyau à suivre en urgence.
Mais, cela ne ressemble pas à Corto de partir sans rien dire à personne, seul et sans laisser d'indication sur l'endroit où il veut aller et les personnes qu'il entend rencontrer. Alors, au fil des jours, au fil des semaines sans nouvelle, Pascal commence à se poser des questions. Mais pas au point, pour l'instant, de remuer lui-même ciel et terre.
Ensuite, le jeu des rumeurs s'enclenchent, une des grandes spécialités locales à Kaboul. Et si Corto avait été enlevé ? Et s'il était passé au Pakistan ? Et s'il était mort, mauvaise rencontre ou vengeance d'un cocu trop susceptible ? Et s'il avait trouvé sa voie spirituelle, dans le soufisme ou, au contraire, dans un islam radical encore en vogue dans certaines régions d'Afghanistan ?
J'ai aimé le voyage que cette lecture m'a permis de faire, sans bouger de mon canapé. J'ai aimé partir dans les Pyrénées, au Cambodge et dans les pays de cette région, puis en Afghanistan et au Pakistan. "Le bout du monde" est un roman dépaysant, même si, à mes yeux, ce n'est pas le point central du livre, mais un aspect secondaire.
Le véritable axe de ce roman, c'est cette amitié qui unit Pascal et Corto depuis tant d'années. Une complicité qui fait que, malgré leurs différences, malgré leurs caractères presque opposés, malgré leur perpétuelle bougeotte, ils ne sont jamais restés bien longtemps éloignés l'un de l'autre au cours de ces décennies.
Corto, le littéraire, a sans doute une responsabilité dans le côté globe-trotter de son ami, lui qui lui a fait lire Kipling ou Conrad, dans leur jeunesse. Mais, au fil du roman, on ressent la fascination qu'inspire Corto à Pascal. D'une certaine façon, le premier est tout ce que le second aimerait être et n'est pas.
Corto, sans réelles attaches, risque-tout, reporter de guerre comme si sa vie en dépendait, semble brûler la chandelle par les deux bouts, quand Pascal semble moins déterminé, se laissant porter à chaque étape de sa vie, sans véritable but dans l'existence et prompt à sombrer dans une mélancolie annonciatrice d'un nouveau départ imminent.
Exactement l'état dans lequel il se trouve lorsque s'ouvre le roman, passant ses journées à roupiller, ou presque, tout en expliquant qu'il fait la comptabilité du "Bout du Monde", et délaissant sa clientèle, qu'il fuit. Un ermite, oui et non, car il me semble surtout que Pascal est un solitaire qui déteste la solitude.
Kaboul, son resto, la communauté des expats, humanitaire, journalistes, diplomates, espions, tout ça l'ennuie de plus en plus, mais il ne choisit pas d'aller s'installer dans les montagnes afghanes, à l'écart de tout, non, il reste dans ce bureau/chambre de la fenêtre duquel il peut surveiller tout cela. Et, de toute manière, qu'importe, tant qu'il peut vivre par procuration à travers les aventures de Corto.
Au fil des chapitres, au gré des flashbacks qui nous font revivre les 35 années d'amitié des deux hommes, on appréhende mieux cette relation qui, du point de vue de Pascal, semble fusionnelle. A moins qu'il ne s'agisse d'une forme de dépendance. Car, en matière d'amitié, c'est quelque chose qui peut se produire.
De Corto, que sait-on ? Ce que l'on apprend à travers les souvenirs de Pascal, qui est le narrateur du roman. Absent, et pour cause, puisqu'il a disparu, Corto ne donne jamais son point de vue, ne raconte pas ses propres souvenirs... Attention, je ne suis pas en train de dire que l'amitié que nous relate Pascal est un mirage, voire un mensonge.
Non, ce sont des amis, mais après tant d'années, peut-être cette amitié a-t-elle duré. Car, oui, il y a une possibilité expliquant la disparition de Corto que Pascal n'a pas envisagée. Pas une seconde : que celui-ci ait décidé de vivre sa vie, qu'il ait trouvé une voie dans laquelle Pascal n'a plus sa place. Attention, sans spoiler le roman, je vais m'aventurer dans des recoins délicats, soyez prévenus.
Le dénouement du roman m'a laissé un temps perplexe, je le reconnais. Pas de manière négative, juste parce que je ne m'attendais pas à cela. Les réponses aux questions qu'on se pose, concrètement, n'ont finalement aucune importance. Le sujet du livre est ailleurs et, bien que le voyant se profiler au fil des pages, puisqu'on découvre certains indices troublants, on arrive aux dernières pages en étant fortement troublé.
Une amitié peut-elle prendre fin ? Voilà une des questions centrales, au final. Non, pas de manière brutale, sur un coup de tête, après une grosse engueulade, par jalousie, pour une histoire avec une femme... Non, s'achever comme une vie s'achève. Une amitié peut-elle mourir de sa belle mort ? Voilà ce que nous (se) demande Marc Victor.
Je biaise, en posant le problème de cette façon et, de mon point de vue, de ce que je comprends du livre, mais c'est ma lecture, elle peut différer d'un lecteur à l'autre, c'est tout le contraire : ce dénouement, c'est peut-être la plus belle preuve d'amitié dont on puisse rêver. Sur le coup, Pascal ne le comprend pas, ne l'accepte certainement pas. Je suis certain qu'il réalisera, avec le recul. Mais ce n'est pas dans le roman...
35 ans que ces deux-là sont inséparables, ou presque, que leurs trajectoires sont plus que parallèles, elles se confondent. D'un pays à l'autre, d'une expérience à l'autre, d'une histoire d'amour à l'autre, la complicité a été totale... Et puis, Pascal réalise que ce n'est peut-être plus le cas, que Corto lui a caché des choses, qu'il le tient à l'écart...
En prenant ses distances, en rompant leur parcours communs, Corto fait un geste d'une immense noblesse : vis ta vie, enfin, vis pour toi, par toi, trouve ta voie comme je l'ai trouvée ! Voilà ce qu'il dit, implicitement à son ami de toujours. Cette indolence, ce refus des responsabilités, en tout cas, des plus enquiquinantes, cela doit cesser.
Pascal doit enfin quitter l'adolescence et devenir adulte, pour que le reste de sa vie ne soit plus englué dans cette indécision permanente, dans cette fuite sans fin... Voilà le geste d'amitié pure que Corto fait : briser l'amitié pour libérer son ami de cette dépendance et le pousser, même malgré lui, à voler de ses propres ailes, sans toujours avoir cette référence à lui.
Je le redis, c'est une lecture très personnelle de ce livre, on doit pouvoir argumenter complètement à l'inverse. Mais Corto est une véritable Arlésienne et on n'aura pas son avis sur la question. Et pourtant, il aurait été bigrement intéressant. Tant sur les 35 années d'amitié avec Pascal que sur cette disparition et sur les choix de vie qu'il a sans doute faits.
Un dernier mot, il concerne l'auteur, Marc Victor. Il y a, dans "le bout du monde", une bonne part autobiographique. Il est Toulousain, comme Pascal, a été journaliste, comme lui, a vécu en Afghanistan et y a tenu un restaurant, "l'Atmo", dont on imagine qu'il est le modèle de celui qu'on trouve dans le livre.
Mais Marc Victor est-il complètement Pascal ? Je ne saurais le dire, et on s'en moque, de toute manière. De ce livre, ressort une grande mélancolie, une forte nostalgie, aussi. Et, s'il n'y a pas dans ce roman le même type d'humour que dans "Kaboul Kitchen", il flotte une douce ironie qui donne lieu, régulièrement à de savoureux échanges et à des situations amusantes.
L'auteur n'oublie tout de même pas le cadre de son livre. Ce pays qui rend fou, comme on dit. L'Afghanistan si complexe, si violent, si dangereux... On l'oublie presque, dans la première partie du livre, quasiment enfermés que nous sommes dans le bureau/chambre de Pascal et dans ses souvenirs, également.
Mais, lorsqu'il se secoue enfin et se déplace, qu'il se rend également au Pakistan, rappel que l'Afghanistan n'est pas, et de loin, la seule poudrière de la région, on remet avec lui les pieds sur terre. Le livre se déroule en 2007-2008, selon les éléments qui nous sont donnés. Et le(s) conflit(s), les rivalités politiques, idéologiques, sont très fortes, les alliances se renversent en un rien.
La deuxième partie du livre, hors du cocon, est, sous cet angle, très différente de la première et de l'impression de fête (et même, par certains côtés, de débauche) que laisse la vie au "Bout du Monde". La tension croît en même temps que son inquiétude pour ses proches, et pas seulement pour son meilleur ami (eh oui, je ne vous ai pas tout dit, ah ah ah !).
Pascal poursuit une quête qui, si elle n'est pas impossible, reste complexe, car il ignore sans doute ce qu'il cherche lui-même. Sous des latitudes et dans des cultures radicalement différentes de celles de ses origines, il s'épanouit... Un temps. Pascal est un insatisfait, un capricieux, un garçon qui se lasse vite de ses nouveaux jouets.
Désormais, mis au pied du mur par le départ de son meilleur ami, il va devoir se poser les bonnes questions sur son avenir. Définir enfin ce qu'il attend de l'existence et quitter l'immaturité. Et cette démarche existentielle passera sans aucun doute par la réponse à une question qu'on trouve telle qu'elle dans le livre ; "Mais pourquoi allez vivre à l'autre bout du monde ?"
A l'été 2002, Pascal Beck atterrit à Kaboul, ville qu'il va découvrir comme humanitaire, alors que le terrible régime des Talibans est tombé. Au bout de deux ans passé dans ce pays si particulier qu'est l'Afghanistan, il laisse tomber son ONG et décide d'ouvrir un restaurant, qu'il baptise "le bout du monde" et qui devient rapidement le lieu où les expatriés viennent faire la fête.
En plus, on y mange (plus ou moins bien) des plats qui rappellent le pays, et il y a même une piscine ! Mais, Pascal est le genre d'homme à vite se lasser de tout... Quelques années ont passé et déjà il se laisse aller dans une espèce de langueur monotone. Il se replie sur lui-même, assurant la bonne marche de l'établissement, mais évitant le plus possible le contact humain.
Il délègue de plus en plus à un de ses employés, un Afghan du nom d'Enayat, et commence sérieusement à lui laisser carrément la gérance de l'établissement, parce que l'envie de refaire ses valises et d'aller ailleurs, encore une fois, commence à le tenailler. Où, il n'en sait encore rien, mais ce sera sans doute encore un pays loin de la France, où il n'a jamais trouvé sa place...
Et puis, un jour, on vient apprendre à Pascal que son meilleur ami a disparu. Corto da Costa et lui se connaissent depuis 35 ans et les bancs de l'école. Ensemble, ils ont tout vu et tout connu, les vacances dans les Pyrénées, dans la résidence secondaire des Beck, le Cambodge, lorsque Pascal, reporter installé sur place, lui a fait la courte échelle pour qu'il le rejoigne...
C'est Pascal qui a mis le pied à l'étrier de Corto pour qu'il devienne à son tour photo-reporter. Un métier dans lequel va se plonger Corto à corps perdu, jouant les têtes brûlées et prenant un maximum de risques tandis que Pascal, déjà, se lassait de cette vie, de ce boulot, de ce pays... De tout, quoi. Mais pas de son amitié pour Corto.
Pourtant, à part cette difficulté à trouver leur place en France et à aimer découvrir des contrées lointaines, les deux hommes n'ont pas grand-chose en commun. Ni physiquement, ni dans leurs centres d'intérêts, ni dans leurs passions, ni dans leur état d'esprit, ni dans leurs relations aux autres... Et pourtant, pour Pascal, cette amitié ne peut être qualifiée que d'indéfectible.
Même dans leurs relations aux femmes, ils diffèrent. Et pourtant, ils ont côtoyé et fréquenter les mêmes, depuis Valérie, lorsqu'ils étaient ados, jusqu'à Pia, à Kaboul. Là où Pascal, peu sûr de lui, pourrait être du genre à s'attacher, quand Corto, éternel séducteur au charme dévastateur, évite tout ce qui pourrait entraver sa liberté...
Apprendre qu'il a disparu n'éveille toutefois pas tout de suite d'inquiétude chez le restaurateur. Il connaît son ami, il sait qu'il est impulsif et capable de prendre des risques s'il sent que ça vaut le coup. Il avait en vue un reportage auprès des rebelles Talibans, alors peut-être a-t-il eu un tuyau à suivre en urgence.
Mais, cela ne ressemble pas à Corto de partir sans rien dire à personne, seul et sans laisser d'indication sur l'endroit où il veut aller et les personnes qu'il entend rencontrer. Alors, au fil des jours, au fil des semaines sans nouvelle, Pascal commence à se poser des questions. Mais pas au point, pour l'instant, de remuer lui-même ciel et terre.
Ensuite, le jeu des rumeurs s'enclenchent, une des grandes spécialités locales à Kaboul. Et si Corto avait été enlevé ? Et s'il était passé au Pakistan ? Et s'il était mort, mauvaise rencontre ou vengeance d'un cocu trop susceptible ? Et s'il avait trouvé sa voie spirituelle, dans le soufisme ou, au contraire, dans un islam radical encore en vogue dans certaines régions d'Afghanistan ?
J'ai aimé le voyage que cette lecture m'a permis de faire, sans bouger de mon canapé. J'ai aimé partir dans les Pyrénées, au Cambodge et dans les pays de cette région, puis en Afghanistan et au Pakistan. "Le bout du monde" est un roman dépaysant, même si, à mes yeux, ce n'est pas le point central du livre, mais un aspect secondaire.
Le véritable axe de ce roman, c'est cette amitié qui unit Pascal et Corto depuis tant d'années. Une complicité qui fait que, malgré leurs différences, malgré leurs caractères presque opposés, malgré leur perpétuelle bougeotte, ils ne sont jamais restés bien longtemps éloignés l'un de l'autre au cours de ces décennies.
Corto, le littéraire, a sans doute une responsabilité dans le côté globe-trotter de son ami, lui qui lui a fait lire Kipling ou Conrad, dans leur jeunesse. Mais, au fil du roman, on ressent la fascination qu'inspire Corto à Pascal. D'une certaine façon, le premier est tout ce que le second aimerait être et n'est pas.
Corto, sans réelles attaches, risque-tout, reporter de guerre comme si sa vie en dépendait, semble brûler la chandelle par les deux bouts, quand Pascal semble moins déterminé, se laissant porter à chaque étape de sa vie, sans véritable but dans l'existence et prompt à sombrer dans une mélancolie annonciatrice d'un nouveau départ imminent.
Exactement l'état dans lequel il se trouve lorsque s'ouvre le roman, passant ses journées à roupiller, ou presque, tout en expliquant qu'il fait la comptabilité du "Bout du Monde", et délaissant sa clientèle, qu'il fuit. Un ermite, oui et non, car il me semble surtout que Pascal est un solitaire qui déteste la solitude.
Kaboul, son resto, la communauté des expats, humanitaire, journalistes, diplomates, espions, tout ça l'ennuie de plus en plus, mais il ne choisit pas d'aller s'installer dans les montagnes afghanes, à l'écart de tout, non, il reste dans ce bureau/chambre de la fenêtre duquel il peut surveiller tout cela. Et, de toute manière, qu'importe, tant qu'il peut vivre par procuration à travers les aventures de Corto.
Au fil des chapitres, au gré des flashbacks qui nous font revivre les 35 années d'amitié des deux hommes, on appréhende mieux cette relation qui, du point de vue de Pascal, semble fusionnelle. A moins qu'il ne s'agisse d'une forme de dépendance. Car, en matière d'amitié, c'est quelque chose qui peut se produire.
De Corto, que sait-on ? Ce que l'on apprend à travers les souvenirs de Pascal, qui est le narrateur du roman. Absent, et pour cause, puisqu'il a disparu, Corto ne donne jamais son point de vue, ne raconte pas ses propres souvenirs... Attention, je ne suis pas en train de dire que l'amitié que nous relate Pascal est un mirage, voire un mensonge.
Non, ce sont des amis, mais après tant d'années, peut-être cette amitié a-t-elle duré. Car, oui, il y a une possibilité expliquant la disparition de Corto que Pascal n'a pas envisagée. Pas une seconde : que celui-ci ait décidé de vivre sa vie, qu'il ait trouvé une voie dans laquelle Pascal n'a plus sa place. Attention, sans spoiler le roman, je vais m'aventurer dans des recoins délicats, soyez prévenus.
Le dénouement du roman m'a laissé un temps perplexe, je le reconnais. Pas de manière négative, juste parce que je ne m'attendais pas à cela. Les réponses aux questions qu'on se pose, concrètement, n'ont finalement aucune importance. Le sujet du livre est ailleurs et, bien que le voyant se profiler au fil des pages, puisqu'on découvre certains indices troublants, on arrive aux dernières pages en étant fortement troublé.
Une amitié peut-elle prendre fin ? Voilà une des questions centrales, au final. Non, pas de manière brutale, sur un coup de tête, après une grosse engueulade, par jalousie, pour une histoire avec une femme... Non, s'achever comme une vie s'achève. Une amitié peut-elle mourir de sa belle mort ? Voilà ce que nous (se) demande Marc Victor.
Je biaise, en posant le problème de cette façon et, de mon point de vue, de ce que je comprends du livre, mais c'est ma lecture, elle peut différer d'un lecteur à l'autre, c'est tout le contraire : ce dénouement, c'est peut-être la plus belle preuve d'amitié dont on puisse rêver. Sur le coup, Pascal ne le comprend pas, ne l'accepte certainement pas. Je suis certain qu'il réalisera, avec le recul. Mais ce n'est pas dans le roman...
35 ans que ces deux-là sont inséparables, ou presque, que leurs trajectoires sont plus que parallèles, elles se confondent. D'un pays à l'autre, d'une expérience à l'autre, d'une histoire d'amour à l'autre, la complicité a été totale... Et puis, Pascal réalise que ce n'est peut-être plus le cas, que Corto lui a caché des choses, qu'il le tient à l'écart...
En prenant ses distances, en rompant leur parcours communs, Corto fait un geste d'une immense noblesse : vis ta vie, enfin, vis pour toi, par toi, trouve ta voie comme je l'ai trouvée ! Voilà ce qu'il dit, implicitement à son ami de toujours. Cette indolence, ce refus des responsabilités, en tout cas, des plus enquiquinantes, cela doit cesser.
Pascal doit enfin quitter l'adolescence et devenir adulte, pour que le reste de sa vie ne soit plus englué dans cette indécision permanente, dans cette fuite sans fin... Voilà le geste d'amitié pure que Corto fait : briser l'amitié pour libérer son ami de cette dépendance et le pousser, même malgré lui, à voler de ses propres ailes, sans toujours avoir cette référence à lui.
Je le redis, c'est une lecture très personnelle de ce livre, on doit pouvoir argumenter complètement à l'inverse. Mais Corto est une véritable Arlésienne et on n'aura pas son avis sur la question. Et pourtant, il aurait été bigrement intéressant. Tant sur les 35 années d'amitié avec Pascal que sur cette disparition et sur les choix de vie qu'il a sans doute faits.
Un dernier mot, il concerne l'auteur, Marc Victor. Il y a, dans "le bout du monde", une bonne part autobiographique. Il est Toulousain, comme Pascal, a été journaliste, comme lui, a vécu en Afghanistan et y a tenu un restaurant, "l'Atmo", dont on imagine qu'il est le modèle de celui qu'on trouve dans le livre.
Mais Marc Victor est-il complètement Pascal ? Je ne saurais le dire, et on s'en moque, de toute manière. De ce livre, ressort une grande mélancolie, une forte nostalgie, aussi. Et, s'il n'y a pas dans ce roman le même type d'humour que dans "Kaboul Kitchen", il flotte une douce ironie qui donne lieu, régulièrement à de savoureux échanges et à des situations amusantes.
L'auteur n'oublie tout de même pas le cadre de son livre. Ce pays qui rend fou, comme on dit. L'Afghanistan si complexe, si violent, si dangereux... On l'oublie presque, dans la première partie du livre, quasiment enfermés que nous sommes dans le bureau/chambre de Pascal et dans ses souvenirs, également.
Mais, lorsqu'il se secoue enfin et se déplace, qu'il se rend également au Pakistan, rappel que l'Afghanistan n'est pas, et de loin, la seule poudrière de la région, on remet avec lui les pieds sur terre. Le livre se déroule en 2007-2008, selon les éléments qui nous sont donnés. Et le(s) conflit(s), les rivalités politiques, idéologiques, sont très fortes, les alliances se renversent en un rien.
La deuxième partie du livre, hors du cocon, est, sous cet angle, très différente de la première et de l'impression de fête (et même, par certains côtés, de débauche) que laisse la vie au "Bout du Monde". La tension croît en même temps que son inquiétude pour ses proches, et pas seulement pour son meilleur ami (eh oui, je ne vous ai pas tout dit, ah ah ah !).
Pascal poursuit une quête qui, si elle n'est pas impossible, reste complexe, car il ignore sans doute ce qu'il cherche lui-même. Sous des latitudes et dans des cultures radicalement différentes de celles de ses origines, il s'épanouit... Un temps. Pascal est un insatisfait, un capricieux, un garçon qui se lasse vite de ses nouveaux jouets.
Désormais, mis au pied du mur par le départ de son meilleur ami, il va devoir se poser les bonnes questions sur son avenir. Définir enfin ce qu'il attend de l'existence et quitter l'immaturité. Et cette démarche existentielle passera sans aucun doute par la réponse à une question qu'on trouve telle qu'elle dans le livre ; "Mais pourquoi allez vivre à l'autre bout du monde ?"