Une mère vient de mourir, sans crier gare. Elle laisse derrière elle son mari et ses deux petits garçons. Une fois la famille et les amis retournés à leur vie, le père se retrouve "aussi vidé qu'un pendu", hagard.
Les gamins, eux, n'arrivent pas à comprendre que le monde ne se soit pas arrêté de tourner.
Ils sont où les pompiers? Ils sont où le bazar et le boucan d'un événement comme ça? Ils sont où les inconnus qui viennent nous aider, qui crient et qui nous lancent des trucs de secours fluorescents pour essayer de nous calmer et de nous sauver?
Un soir, on sonne à la porte de l'appartement londonien où vit la famille effondrée. Un immense corbeau, doté de parole, se présente au père et lui déclame, sans ambages: " Je ne partirai pas tant que tu auras besoin de moi. " Il vient voler au secours du père et de ses fils. Il vient les aider à faire leur deuil. Sa mission ne sera accomplie qu'une fois la douleur apaisée et le goût de vivre revenu.
Dans ce roman choral, les voix du père, des gamins (une seule voix pour les deux) et du corbeau prennent la parole à tour de rôle. Ce choix narratif allège la lourdeur du propos et apporte un grand dynamisme au texte.
La présence du corbeau déstabilise, c'est vrai. Mais cette présence amène dans son sillon un humour ravageur et contagieux. À la fois insolant, tyran, psychologue et fou du roi, le corbeau empêche les personnages - et le lecteur - de sombrer dans une tristesse sans fond.
J'aime les romans qui bousculent, qui sortent des sentiers battus. Mais au départ, j'avoue avoir eu du mal avec les chapitres qui mettent en scène le corbeau. C'est à la deuxième lecture (oui, dès la dernière page tournée, j'ai recommencé à le lire!) que j'ai pu apprécier toute sa verve et m'imprégner de sa voix unique, chantante.
Le style de Max Porter est vif, gorgé de poésie. Il secoue la langue, la malaxe comme de la pâte à modeler. À ce titre, la traduction de Charles Recoursé est un véritable tour de force. Rien de larmoyant entre ces pages, rien qui remue les tripes. Ça se passe à un tout autre niveau.
Un roman? Une fable moderne? Un long poème en prose? Tout ça à la fois. Un roman déroutant, audacieux, aussi poignant qu'hilarant. Un roman salutaire , qui apporte un regard différent sur le deuil: un regard frais et revigorant. Ça, ça se prend toujours bien.