Natsuo Kirino, née en 1951 à Kanazawa au Japon, est l'auteur de nombreux romans policiers qui l'ont fait remarquer comme un des talents les plus prometteurs de sa génération. Elle a commencé à écrire en 1984 et n'a cessé depuis lors de remporter prix sur prix. Son œuvre a été traduite dans 28 pays et plusieurs de ses livres ont également été adaptés au cinéma. Natsuo Kirino vit à présent à Tokyo. Le Vrai monde est paru chez nous en 2010.
Dans la banlieue de Tokyo, quatre amies adolescentes,Toshiko (« se donne des airs cool et détachés, mais elle a bâti une Grande Muraille autour de son cœur »),Terauchi (« une fille plutôt mignonne, mais elle a une voix ultra grave et cool »), Yuzan (« je ne peux pas avouer à mon père que je suis lesbienne »), et Kirarin (« des quatre filles de notre bande, je suis la seule à ne pas être vierge »), passent leur mois d’août dans une école de bachotage. Un matin, Toshiko entend un fracas dans la maison de ses voisins et quelques heures plus tard apprend que leur fils, surnommé « le lombric » (« un grand maigrichon aux épaules tombantes, avec de petits yeux sinistres »), a disparu et qu’il est fortement soupçonné d’avoir assassiné sa mère à coups de batte de base-ball. Les quatre jeunes filles vont s’attacher à aider dans sa fuite le jeune assassin, pour des raisons propres à chacune d’elles…
Si le roman est catégorisé thriller et que le résumé ci-dessus en donne la trame narrative générale, ne pensez surtout pas qu’il n’est que cela - la forme n’est qu’un moyen pour l’écrivain. Il s’agit en fait d’un excellent roman, très profond, sur la société japonaise d’aujourd’hui (du moins de celle de 2003, date de parution au Japon du bouquin) et de sa jeunesse adolescente. L’enquête policière et tout ce qui est sensé aller avec, est vite mis de côté, Natsuo Kirino préférant peindre les sentiments et les caractères des cinq jeunes, quatre filles très différentes les unes des autres, gravitant autour d’un garçon qui les attirent inexorablement et en partie à l’insu de son plein gré, dans une spirale destructrice qui fera des dégâts irréversibles.
Roman choral où chaque protagoniste prend la parole successivement, dévoilant progressivement le caractère et la psychologie des unes et des autres, révélant les souffrances morales intérieures ou existentielles de ces jeunes, l’exaltation idéaliste de l’adolescence pour l’attrait du rebelle et l’excitation induite. Mais ce sont aussi ces plans de coupe, nous montrant une société mercantile (« Quand on se balade dans Tokyo, tout ce qu’on voit, c’est des gens qui essaient de nous vendre des trucs ») assommée d’informations en continu diffusées par les chaines de télévision. A moins que ce ne soient les pervers qui vous tripotent dans le métro sous l’œil indifférent des voyageurs ou bien un travelo qui vous agresse dans un quartier « chaud » de la ville. Le réquisitoire est féroce, les parents en prennent gros pour leur grade et si tous les ados ne tuent pas leurs géniteurs, tous y pensent à un moment ou un autre.
L’écriture colle parfaitement au sujet et à ses personnages, rapide et dans le ton de ses jeunes héros, leurs pensées les plus intimes sonnent justes (même si elles agacent) et l’écrivain glisse dans son texte des références culturelles nippones, l’aspect martial de l’écrivain Mishima étant une sorte de référence inconsciente pour « le lombric » dont on suit avec effroi l’aggravation progressive du délire psychologique ou bien encore, peut-être ( ?), cette allusion aux « mondes flottants » (Concept taoïste enseignant la relativité de toute chose) quand l’une des filles hésite entre revenir dans son monde d’avant et celui dans lequel elle vient de s’engager (« Ce n’est pas un sentiment de liberté, ni rien de ce genre. C’est juste que je ne veux pas rentrer. Je veux continuer à flotter quelque part entre les deux. »)
Vous l’aurez compris, thriller certes, mais comme le dit un des personnages de Natsuo Kirino, « les romans sont plus proches de la vraie vie, c’est comme s’ils montraient le monde après en avoir épluché une couche, une réalité qu’on ne pourrait pas voir autrement. Ce que je veux dire, c’est qu’ils ne sont pas superficiels. » Un message parfaitement transmis et reçu cinq sur cinq.