Dix petits nègres, d'Agatha Christie

Par Clarabel

Dix personnes sont conviées par un hôte mystérieux à séjourner sur l'île du Nègre. On trouve ainsi le docteur Armstrong, le détective Blore, Miss Emily Brent, la jeune Vera Claythorne, le capitaine Lombard, le général Macarthur, le sarcastique Anthony Marston, le juge Wargrave, désormais à la retraite, et le couple Rogers, qui sont les employés de maison. Seul manque à l'appel le maître des lieux, un certain U.N. Owen, qui tarde à arriver. Tous ont accepté son invitation à l'aveugle pour plusieurs raisons, beaucoup par curiosité, un peu pour se reposer, souvent par appât du gain, soit pour décrocher un job ou pour s'affilier à un généreux mécène. Mais à peine ont-ils mis un pied sur l'île qu'ils vont réaliser leur erreur. La sanction ne se fait pas attendre et tombe à l'heure du souper : une bande-son sortie de nulle part se déclenche, les accusant d'avoir tous quelque chose à cacher et à craindre. Serait-ce une plaisanterie qu'elle serait du plus mauvais goût ! songent-ils amèrement. Osant à peine se regarder dans le blanc des yeux, tous décident de quitter l'île sans plus attendre. Hélas, la navette a disparu et les contraint à demeurer sur leur rocher, coupé du monde.

C'est donc dans un climat tendu que va se dessiner l'une des intrigues les plus diaboliques de la littérature policière, et qui a depuis inspiré de nombreuses copies. Mais, comme on dit, souvent imitée, jamais égalée. Agatha Christie était une technicienne hors pair, capable de vous retourner prestement les clichés et les codes du genre. Avec son histoire des Dix Petits Nègres, elle impose là une signature devenue culte. Car sur l'île, l'ambiance entre les convives vire à la soupe à la grimace. Comprenant que leur vie dépend d'une vulgaire comptine, ils frémissent d'effroi en voyant leurs comparses s'effondrer les uns après les autres, se regardant en chien de faïence, certifiant que l'instigateur de cette mascarade vengeresse se trouve parmi eux. Leurs plus sombres secrets s'en trouvent révélés. Le climat en devient plus qu'oppressant, et c'est carrément flippant à lire. Même si on connaît déjà les ressorts de l'intrigue, pour avoir lu le livre dans le passé, on se tient à carreau et on se délecte de l'incroyable supercherie qui se trame sous nos yeux.  C'est incontestablement le plus redoutable des romans d'Agatha Christie. 

Le Masque / Bibliothèque idéale d'A.Christie (Novembre 2013) ♦ Couverture par Martin Parr 

Traduit par Gérard de Chergé (Ten Little Niggers, 1939)