La table est mise pour cette chronique familiale qui débute en 1932, lors d'une fête foraine, et se termine quarante ans plus tard, lors du couronnement de la reine des betteraves, une nouvelle et étrange fête agricole.Le destin des enfants Adare est raconté tour à tour. Les trois orphelins vont faire leur vie à distance les uns des autres, ils prendront de l'âge et se recroiseront ici et là.Le pique-nique des orphelins regorge de personnages. Aussi, l'arbre généalogique en début de roman est d'un précieux secours. Troisgénérations se croisent au fil des pages. Certains portraits sont saisissants: Russell, l'Indien revenu amoché de la guerre de Corée, cloué à son fauteuil roulant à la suite d'un AVC; Sita, la fidèle amie qui, en s'embourgeoisant, sombre dans la folie.D'autres, par contre, tombent à plat, comme Karl, le courailleux représentant de commerce, ou Dot, née de l'union de Karl et de Celestine, une «grande perche chippewa» qui donnera du fil à retordre à sa mère. Ici, les vies tourmentées des uns déteignent sur celles des autres. Beaucoup d'ambitions déçues, de jalousie mal placée, de tendresse vite rabrouée, de relations amoureuses qui tournent dans le beurre, d'abandons sans remord. Beaucoup de solitude aussi. Je ne choisis pas la solitude. Qui donc la choisirait? Elle me vint comme une sorte de vocation, exigeant un effort que les femmes mariées ne peuvent imaginer. Parfois, même maintenant, je les regarde comme un chien sauvage regarderait par la fenêtre ses congénères domestiqués, enviant la régularité de leur existence tout en méprisant le plaisir vil qu'ils ressentent sous la main du maître.L'écriture de Louise Erdrich est d'une grande sobriété, sans fausse note. Dommage que la construction du roman fasse l'impasse sur de longues périodes de temps. Certains épisodes auraient eu avantage à être approfondis. J'avoue être restée perplexe devant quelques situations pour le moins improbables: la fuite de la mère qui abandonne ses enfants sur un coup de tête, le nourrisson qui se fait kidnapper sans que son frère et sa sœur ne partent à sa recherche, ou encore le fait qu'à la descente du train, le grand frère abandonne sa soeur à son sort. Reste cette impression que Louise Erdrich s'est attachée à plusieurs de ses personnages, mais en a négligé d'autres, préférant les laisser dans les limbes. Dommage, ça aurait pu aider à mieux cerner leurs gestes et motivations. Ouais, bon: il n'en reste pas moins qu'un moins bon roman de Louise Erdrich demeure un très bon roman! Et Le pique-nique des orphelins n'est que son deuxième roman. Il a été publié pour la première fois en français en 1988, sous le titre La branche cassée. Albin Michel le réédite aujourd'hui avec une nouvelle traduction, signée Isabelle Reinharez.Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, Albin Michel, 480 pages, 2016.★★★★★
La table est mise pour cette chronique familiale qui débute en 1932, lors d'une fête foraine, et se termine quarante ans plus tard, lors du couronnement de la reine des betteraves, une nouvelle et étrange fête agricole.Le destin des enfants Adare est raconté tour à tour. Les trois orphelins vont faire leur vie à distance les uns des autres, ils prendront de l'âge et se recroiseront ici et là.Le pique-nique des orphelins regorge de personnages. Aussi, l'arbre généalogique en début de roman est d'un précieux secours. Troisgénérations se croisent au fil des pages. Certains portraits sont saisissants: Russell, l'Indien revenu amoché de la guerre de Corée, cloué à son fauteuil roulant à la suite d'un AVC; Sita, la fidèle amie qui, en s'embourgeoisant, sombre dans la folie.D'autres, par contre, tombent à plat, comme Karl, le courailleux représentant de commerce, ou Dot, née de l'union de Karl et de Celestine, une «grande perche chippewa» qui donnera du fil à retordre à sa mère. Ici, les vies tourmentées des uns déteignent sur celles des autres. Beaucoup d'ambitions déçues, de jalousie mal placée, de tendresse vite rabrouée, de relations amoureuses qui tournent dans le beurre, d'abandons sans remord. Beaucoup de solitude aussi. Je ne choisis pas la solitude. Qui donc la choisirait? Elle me vint comme une sorte de vocation, exigeant un effort que les femmes mariées ne peuvent imaginer. Parfois, même maintenant, je les regarde comme un chien sauvage regarderait par la fenêtre ses congénères domestiqués, enviant la régularité de leur existence tout en méprisant le plaisir vil qu'ils ressentent sous la main du maître.L'écriture de Louise Erdrich est d'une grande sobriété, sans fausse note. Dommage que la construction du roman fasse l'impasse sur de longues périodes de temps. Certains épisodes auraient eu avantage à être approfondis. J'avoue être restée perplexe devant quelques situations pour le moins improbables: la fuite de la mère qui abandonne ses enfants sur un coup de tête, le nourrisson qui se fait kidnapper sans que son frère et sa sœur ne partent à sa recherche, ou encore le fait qu'à la descente du train, le grand frère abandonne sa soeur à son sort. Reste cette impression que Louise Erdrich s'est attachée à plusieurs de ses personnages, mais en a négligé d'autres, préférant les laisser dans les limbes. Dommage, ça aurait pu aider à mieux cerner leurs gestes et motivations. Ouais, bon: il n'en reste pas moins qu'un moins bon roman de Louise Erdrich demeure un très bon roman! Et Le pique-nique des orphelins n'est que son deuxième roman. Il a été publié pour la première fois en français en 1988, sous le titre La branche cassée. Albin Michel le réédite aujourd'hui avec une nouvelle traduction, signée Isabelle Reinharez.Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, Albin Michel, 480 pages, 2016.★★★★★