« Assister à ma propre disparition est dérangeant et désagréable. Personne ne fugue pour voir ses proches réagir. On fugue justement pour ne plus plus se préoccuper de rien. Pour ne pas avoir à affronter les raisons et les conséquences de son départ. »
Anouk a quatorze ans et ne supporte plus d'être devenue le souffre-douleur de son ex-meilleure amie, qui prend un plaisir sadique à la ridiculiser devant tout le collège. Un soir de décembre, l'adolescente quitte la maison avec son sac à dos et son banjo. Fuguer, pour tout oublier. Et puis, c'est le couac. Anouk, n'envisageant pas de dormir dans la rue, rentre en catimini chez elle et décide de se cacher dans le grenier où elle compte faire semblant d'être partie pour de bon. C'est peut-être excitant de jouer au Robinson sous son propre toit, mais Anouk n'avait pas prévu la réaction de ses proches - son père fou d'inquiétude et sa petite sœur malheureuse comme les pierres. Malgré tout, la jeune fille campe sur ses positions et se calfeutre dans son placard, témoin impuissante de la détresse de sa famille, partagée entre l'envie de les rassurer et ce besoin inexplicable de se couper du reste du monde pour réfléchir, avancer, comprendre, trier, grandir, ne plus paniquer. Bref, ce très court roman de 115 pages est juste une petite perle de douceur et de tendresse (qui a aussi broyé mon cœur de maman, rien qu'à l'idée de vivre pareille situation). On finit par saisir les intentions d'Anouk, adolescente à fleur de peau, qui se sent paumée dans sa famille qui n'entre pas dans la norme, avec une mère, climatologue passionnée par sa carrière, qui part six mois de l'année sur une île, un père accro au boulot et une frangine inscrite à la semaine dans une école de danse... En clair, Anouk se sent seule, abandonnée, complètement larguée. Fuguer, c'est aussi son cri d'alerte, un SOS pour réclamer de l'attention et renouer avec les siens, le temps que chacun partage ses envies, ses manques et son amour.
J'ai trouvé ce roman très beau, très doux, très touchant (pas très réaliste, mais qu'importe...) car l'histoire cherche avant tout à rassurer et esquisse un portrait original et attachant d'une “famille biscornue et rafistolée, une famille joyeusement bizarre” qui finit par raccommoder ses petits bobos dans un grenier désormais rempli d'histoires. C'est sincèrement une très, très jolie lecture, rythmée comme de la musique jouée sur un banjo, avec de la sensibilité, de la débrouille et de l'innocence. Une découverte exquise et émouvante.
Rouergue / Mars 2016