Ancienne libraire devenue journaliste, c’est avec un grand plaisir que j’ai reçue l’invitation de Fatma à écrire pour son blog Dingue de livres. D’autant plus que je venais de finir un ouvrage qui me tenait à coeur et dont j’ai eu très peu l’occasion de parler : Agatha Christie, le chapitre disparu de Brigitte Kernel.
Cet ouvrage revient sur une énigme de la reine du crime encore jamais résolue : celle de sa propre disparition. En décembre 1926, alors qu’elle vient de publier l’un de ses plus habiles romans, Le meurtre de Roger Ackroyd, Agatha Christie se volatilise laissant comme principaux indices, son véhicule accidenté dans les brumes du bord d’un lac, the silent pool, son manteau, ses papiers d’identité et un poudrier.
Plusieurs jours durant, des milliers de personnes sillonnent les alentours à sa recherche tandis que la presse imagine nombre de scénarios : suicide, enlèvement, meurtre, mise en scène… Dix jours plus tard, le musicien d’un groupe de jazz la reconnaît dans un hôtel, où elle est enregistrée sous un faux nom, celui de Mrs Neel – on le saura plus tard c’est le nom de la maitresse de son mari qui vient justement de demander le divorce. Tout le monde se précipite… Mais le mystère resta entier. La version officielle fut perte de mémoire. Son autobiographie ne mentionne même pas cet épisode.
C’est dans ce creuset que Brigitte Kernel installe son récit. Elle s’empare de la première personne du singulier et imagine ce qu’aurait pu être le chapitre manquant de l’autobiographie d’Agatha Christie. Elle retrace le parcours de la disparue en imaginant ses pensées et les raisons qui l’ont poussée à agir si follement. Si la forme du journal intime apparaît d’abord comme un choix judicieux, une certaine platitude ressort de cette contrainte narrative. Ajouté à cela un style plutôt simple… Et je dois bien avouer que je me suis parfois ennuyée.
Mais ma curiosité a pris le dessus. Je voulais comprendre, savoir, découvrir de nouveaux indices et tenter d’imaginer avec l’auteur ce qui a pu se passer. Et ce récit riche en détails a su la nourrir. C’est bien une journaliste et qui l’a écrit, informée et imprégnée de l’œuvre de la romancière y compris la plus intime parue sous le nom de Mary Wesmacott (notamment Loin de vous ce printemps). C’est ce qui rend ce roman passionnant.
Malheureusement, il semble approcher la vérité, en même qu’il défait le mythe. Tout est plausible, l’énigme se résout sous les yeux du lecteur, sans qu’il n’ait d’effort à fournir. Et l’histoire finit par perdre de son intérêt. D’autant que le personnage d’Agatha dépeint en filigrane est plutôt décevant : une bourgeoise londonienne éperdue d’amour pour un mari qui la trompe… Le génie créateur et fantasque apparaît pris au piège d’une intrigue qu’elle n’aurait pas créée, alors qu’on la sait capable d’une anticipation telle qu’elle a écrit des années avant sa propre mort, la fin d’Hercule Poirot, pour assure des jours tranquilles à sa descendance.
Sa propre disparition est une des plus belles intrigues que la romancière n’ait jamais créée et je ne suis pas sûre que ce roman lui rende hommage. Quitte à lever le voile, peut-être aurait-il mieux valu une oeuvre documentaire qui laisse au lecteur le choix de son fantasme. Qu’on ne se méprenne pas, je suis heureuse d’avoir lu ce livre que j’ai dévoré mais parmi les variations créées autour de cette disparition ma préférence revient à Agatha, un film singulier de Michael Apted avec Vanessa Redgrave et Dustin Hoffman. Improbable mais beaucoup plus en phase avec l’œuvre de la romancière, reine du crime et maître du mystère.
Editeur : Flammarion
Date de parution : janvier 2016
Nombre de pages : 240
Prix : 18 euros
L’auteur : Brigitte Kernel
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