Souvenirs de lecture 32 : Cécile Alix
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Cécile Alix qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
CA : Tous les livres que je lisais adolescente m’ont touchée, ils étaient le sésame, la porte ouverte sur la lumière, l’émerveillement de chaque instant, le grand voyage, l’intime et l’infini, l’infime aussi… Un recueillement, une extase et un frisson délicieux, celui des émotions libres d’aller de la page à mes yeux. D’eux, les auteurs qui les avaient écrites, à moi qui les lisais. Les livres étaient (et sont encore) ma plus grande liberté.Deux livres me viennent spontanément à l’esprit, « Lettres de l’Oiseleur » de Jean Cocteau et « Le pays sous l’écorce de Jacques Lacarrière »
« Les lettres de l’Oiseleur », c’est la correspondance de Jean Cocteau. Il parlait comme il respirait, écrivait comme il parlait. On ne connaît pas son talent d’épistolier, hormis ses lettres à Gide, à Marais, à sa mère, ou à Anna de Noailles. Il disait « J’aime l’encre quand elle commence à vivre » et il faisait vivre ses lettres. Il peignait plus vrai que vrai et, à travers ce qu’il décrivait, je découvrais l’écorché vif que son théâtre ou sa poésie, vive et brillante, ne laissait pas deviner. Il était le personnage central de cette correspondance et mettait son cœur à nu. Courts billets ou longues missives, son courrier étaient autant d’appels et de cris désespérés. Et dans mon âme romantique d’adolescente, ils trouvaient leurs échos. Et il était drôle, caustique aussi ! Je me souviens qu’il nommait affectueusement l’Académie française « notre bonne mère poule » ! (La couverture du livre paru aux éditions du Rocher était très belle, toute de papier bleu et rose indien…)
Jacques Lacarrière se glisse dans la peau d’un insecte sous l’écorce végétale au tout début de ce récit singulier qu’est « Le pays sous l’écorce ». Puis il devient loir (et apprend à parler loir), grue (en en aimant une), éphémère, lombric, criquet, axolotl, même ! Et tant d’autres, insectes ou animaux divers… il vitsous l’ombrelle d’une méduse, se caméléonise avec le caméléon, assiste aux amours de l’escargot, à la danse d’une araignée, fuit la mante dévoreuse, tente de converser avec une mouche, s’embrase avec un vers luisant, etc, etc. ! Il ne décrit pas l’être animal, il est l’animal. Il en détaille le moindre mouvement, le plus infime souffle, et le langage. C’est un livre incroyable, une sorte de zoologie-fiction située dans notre monde, à l’inverse des fables de la Fontaine (où ce sont les animaux qui parlent notre langage, et non l’homme qui aboie ou rugit pour se faire comprendre du chien ou du lion.) « Le pays sous l’écorce » explore cette deuxième voie : le narrateur s’initie, au fur et à mesure de son exploration, au langage propre à chaque espèce animale rencontrée. « C’est le récit d’une quête et d’une initiation et aussi la concrétisation d’un rêve et d’une question d’enfant à laquelle, à l’époque, nul ne répondit : « Que deviennent les fourmis quand elles disparaissent sous la terre ? » Eh bien, trente ou trente-cinq ans plus tard, je suis allé voir sous la terre ce que les fourmis y faisaient. » Voici ce qu’en disait l’auteur.
Ce texte, d’une philosophie fine et nuancée, nous porte à réfléchir sur notre condition humaine, sur nos sens et l’écoute que nous leur portons, sur le sol qui nous accueille : sommes-nous à l’unisson de la Terre ? Nous est-elle familière ?Quand on achève « Le pays sous l’écorce, on ne sent plus tout à fait homme », il nous donne conscience de notre animalité…on cherche l’écorce qui nous abrite, on rêve de déployer nos ailes et d’écouter… de dire « chut » et d’écouter…Et quelle écriture ! Quel talent dans l’expression !
LLH : En quoi ces livres ont-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
CA : La correspondance de Cocteau (comme les diverses que j’ai lues) m’a donné envie d’écrire… du courrier ! Elle m’a surtout appris (c’était la première que je lisais) qu’il ne faut être négligeant en rien dans l’écriture et qu’une lettre doit se rédiger avec autant d’attention qu’un roman… que la lettre est celui qui l’écrit, qu’il se livre tout entier, sans le vouloir souvent, dans les mots, dans la forme, dans le fond de ce qu’il envoie à l’autre. La lettre, c’est un don, un don de soi, et comme tout cadeau, il se doit d’être le plus beau possible J’ai toujours apporté beaucoup de soin à mon courrier… qu’il soit électronique ou de papier !Le livre de Jacques Lacarrière m’a donné une idée moderne du style, du fait que ce qui prime, c’est la recherche que l’on fait du sien, en s’inspirant de celui des autres, forcément, mais en tendant à la singularité, jusqu’à la rencontre avec le sien propre, celui qui s’accorde naturellement, fluide et facile, avec sa personnalité. Il m’a donné le goût de la liberté dans l’écriture et de la recherche de cette liberté. C’est le travail de toute une vie ! L’écrivain, est un ouvrier qui durant toute son existence, polit, parfait, lustre son style pour que celui-ci puisse voler. Libre.
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
CA : Je lis actuellement une autre correspondance, celle de Camille Claudel… Lire une correspondance, c’est toujours teinté d’un peu de gêne… on entre dans l’intime, sans autorisation de l’auteur. Là, dans celle de Camille, on est saisi par la simplicité, la candeur et la légèreté de celle que l’on nous a souvent montrée sombre puis folle… elle était pleine d’envies, Camille, pleine de grâce et de légèreté, féminine et futile, drôle souvent, et forte, fière, et toute à son œuvre. J’aime découvrir ses sculptures avec son propre regard, j’aime qu’elle m’en dévoile la genèse… Bien sûr, elle perd la raison, mais dans toutes ses lettres, je lis surtout l’expression d’une passion, celle de son art.J’ai lu dernièrement « La dernière nuit du raïs » de Yasmina Khadra… récit de l’existence, de la naissance jusqu’aux derniers instants, de Mouammar Kadhafi. Un livre qui a soulevé quelques polémiques et que j’ai profondément aimé. Il a été reproché à l’auteur d’avoir été trop « tendre » avec Kadhafi (le raïs) d’en avoir donné une image trop humaine. Je trouve que c’est justement cette humanité du monstre qui le rend encore plus immonde… « Humain trop humain » disait Nietzsche ! Et c’est exactement ça ! Le crime est humain ! Faire torturer son prochain, celui d’à côté qui est de notre espèce, c’est exclusivement humain ! Dans ce chant du cygne du tyran libyen, Yasmina Khadra nous plonge au cœur même de l’inhumaine humanité d’un dictateur (et par là-même de tous les dictateurs), il nous propose de comprendre comment la mégalomanie prend matière et réussit à atteindre le pouvoir suprême… Khadra n’humanise pas le personnage de Kadhafi, il nous rappelle tristement, terriblement, sauvagement, que Kadhafi était humain… oui.
Biographie :
Cécile Alix vit le jour au sommet d’un Populus lasiocarpa, plus communément nommé peuplier de Chine, le 6 septembre 1972. C’est une cigogne qui, passant, saisit au vol le délicat ballot et le déposa dans un chou. La jeune Cécile fut découverte par le vieux Fernand, jardinier gascon auquel appartenait la Brassicacée sus-citée. Fernand l’initia avec application à la culture du poireau nain et de la pastèque chilienne, ainsi qu’à l’observation attentive des étonnantes mœurs du Cuculus canorus.Dès qu’elle fut en âge de voler de ses propres ailes, Cécile décida de faire le tour du monde. Elle ouvrit donc tous les livres qui se trouvaient à sa portée, continents aux rives infinies, océans aux profondeurs inouïes. Ainsi elle rencontra l’amour et la connaissance de la planète qui avait bien voulu la voir naître et de ceux qui l’occupaient. De retour de sa folle épopée, qui dura une bonne vingtaine d’années, elle s’installa dans un atelier au sommet d’un étrange donjon et consacra son temps à la rédaction de toutes les histoires glanées durant son voyage… histoires qui se déclinèrent en albums illustrés, en romans, en saynètes diverses de littérature dite « pour la jeunesse », « Car, précise la facétieuse auteur. Car je n’aurais pas eu l’idée d’écrire pour la vieillesse. »
Encore un grand merci à Cécile Alix pour son temps et sa gentillesse.
Le dernier roman de Cécile, Allô Papi ici la Terre aux éditions Magnard Jeunesse a été chroniqué sur ce blog, en voici le lien : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2016/03/allo-papi-ici-la-terre.html