Space Boulettes (Craig Thompson – Editions Casterman)
Violette est une petite fille comme les autres, pleine d’énergie et de vitalité, même si elle s’ennuie parfois parce qu’elle est enfant unique. Son père est bûcheron, tandis que sa mère est styliste dans un petit atelier de confection sur Carapalace, une luxueuse station réservée aux nantis. Leur petite famille ne roule pas sur l’or, mais ce n’est pas grave: ils n’ont pas besoin de grand-chose pour être heureux. Ce qui est beaucoup moins ordinaire par contre, c’est que Violette et ses parents vivent dans l’espace, plus précisément dans une sorte de vaisseau camping-car au milieu d’une banlieue pauvre de la galaxie, loin du niveau de confort de Carapalace. Autrement dit, ce n’est pas forcément un endroit particulièrement sûr, comme va s’en rendre compte Violette lorsqu’elle découvre un matin que son école a été engloutie par des mystérieuses baleines de l’espace. A priori, le fait de ne plus devoir aller à l’école constitue évidemment une perspective réjouissante pour une enfant. Mais hélas pour elle, Violette n’est pas au bout de ses (mauvaises) surprises. Peu après, son père disparaît au cours d’une mission dangereuse liée à ces fameuses baleines, dont les gigantesques diarrhées vertes sont progressivement en train d’engloutir une partie de l’espace. Malgré l’interdiction de sa mère, Violette décide alors de se lancer à la recherche de son père, ce qui va l’amener à vivre des aventures spatiales très périlleuses en compagnie de deux amis un peu spéciaux. L’un s’appelle Elliot: c’est un petit poulet érudit, peureux et asocial, qui se pose des questions existentielles. L’autre s’appelle Zacchée et ressemble à une sorte de haricot. Mais lui aussi est bien solitaire puisqu’il est le dernier survivant de l’espèce des Lumpkins. Ce curieux équipage va prendre tous les risques pour sauver le papa de Violette…
Sur la couverture de « Space Boulettes », les éditions Casterman ont ajouté un autocollant sur lequel est indiqué « Par l’auteur de Blankets et Habibi ». Effectivement, c’est bien le même Craig Thompson qui a signé ces deux romans graphiques très forts: « Blankets » est un récit autobiographique de 600 pages sur la première histoire d’amour de l’auteur, tandis que « Habibi » est un livre envoûtant de 700 pages sur la culture orientale. Mais autant le dire clairement: ceux qui ont été charmés par ces deux BD (et ils sont nombreux!) risquent d’être complètement désarçonnés par « Space Boulettes ». L’auteur américain opte en effet pour un virage à 180 degrés en délaissant les romans graphiques en noir et blanc pour adultes au profit d’une histoire en couleur destinée avant tout aux enfants (même s’il y a clairement deux niveaux de lecture). Avec « Space Boulettes », Craig Thompson renoue avec le petit garçon qu’il était dans les années 80. « Ce livre est un pot-pourri de ce que j’adorais quand j’étais enfant », dit-il. « Star Wars, Les Goonies, SOS Fantômes, E.T., Les Dents de la mer, Alf, Alien, Le Muppet Show, Dr Seuss, Bloom County, Robotech, et l’Atari 2600! Je préfère le côté kitsch, simple et brinquebalant des films des années 80 aux blockbusters modernes et sophistiqués, avec leurs effets spéciaux sans âme. » Effectivement, on sent qu’il a pris un plaisir fou à recréer un univers spatial à l’aspect très vintage, qui lorgne à la fois du côté de Star Wars et de Valérian et Laureline, tout en contenant aussi des références à la Bible et à Moby Dick. Cela dit, le fait de s’adresser aux enfants et de situer son histoire dans un univers imaginaire n’empêche pas Craig Thompson d’aborder des thèmes dans lesquels chacun peut se retrouver: la famille, la crise énergétique, les désastres écologiques et même les classes sociales. « Etant issu d’un milieu ouvrier pauvre, ce qui me touchait le plus dans Star Wars, c’était le côté camionneur de l’espace », raconte l’auteur de Space Boulettes. « Han Solo est une sorte de chauffeur routier, en fait. Luke Skywalker n’est qu’un gamin qui a grandi dans une ferme et qui rêve d’échapper à la vie banale de sa petite ville. Plus que les batailles épiques, c’étaient les détails de la vie quotidienne qui m’intriguaient le plus dans ces films: les jeux de société avec Chewbacca dans l’antre du Faucon Millenium, ou le goût que pouvait avoir la soupe de Yoda. C’est de ça que parle Space Boulettes: d’une famille et d’un groupe d’amis qui n’ont pas de pouvoirs magiques ou d’armes à brandir, mais qui parviennent quand même à sauver une petite partie de leur galaxie. » Au final, cela donne une bande dessinée généreuse et loufoque, sans doute pas aussi profonde que « Blankets » et « Habibi », mais qui devrait certainement plaire aux amateurs de science-fiction à l’ancienne.