Il fallait bien que cela arrive. A force de toujours nier ou de compter sur la naïveté des siens et des autres, Matt Murdock allait finir par s'attirer des ennuis, avec cette double identité d'avocat le jour, et diable costumé la nuit. C'est désormais chose faite, depuis qu'un grand quotidien de New-York a annoncé la terrible découverte à la une. Mais Matt a encore un atout dans sa manche, le même qu'utilisent en général nos politiciens quand ils se font pincer les mains dans le plat, les doigts pourtant couverts de confitures : tout nier, en bloc, et engager un procès contre tous ceux qui oseront douter de sa bonne foi. Pour autant, il souhaite également continuer dans sa croisade personnelle, en collants rouges, ce qui ne va pas être si facile étant donné l'épreuve qu'il traverse. Paradoxalement, lorsque les lecteurs ont eu vent de l'arc narratif Le procès du siècle, ils ont tout de suite imaginé voir exploser le litige entre Murdock et le Globe devant les médias déchaînés, mais Brian Bendis a pris ses fans de court en ralentissant volontairement l'action et en proposant une triade d'épisodes desquels Daredevil est pratiquement absent. Nous le découvrons dans cinq des soixante-six premières planches, alors que c'est l'aspect procédurier et judiciaire qui prédomine, dans la plus grande tradition des séries américaines du genre. Il s'agit du récit d'un super-héros qui a été pris en flagrant délit de meurtre, sur la personne d'un policier, et ceci avec plusieurs témoins à charge pour corser le tout. Hector Ayala, alias le Tigre Blanc, semble s'être fait piégé, alors qu'il avait remisé son costume au placard depuis quelques années. Luke Cage vient solliciter l'aide du meilleur avocat de la ville, qui traverse donc lui aussi une tempête légale sans précédent. Le présumé Daredevil peut-il défendre correctement un de ses compères masqués, sous la suspicion et les menaces de tout un système qui veut le faire tomber? Le scénariste soigne ses arguments et sa plaidoirie, et le comic-book d'action et de super-héros devient l'espace de quelques mois un drame qui se joue au barreau, et prouve, si besoin est, que Bendis a de la ressource et qu'il est capable d'exceller dès lors qu'il s'agit de faire parler et raisonner les personnages.
Cette introduction, dessinée de manière bien plus claire et traditionnelle par Manuel Gutierrez et Terry Dodson, n'est que l'arbre qui cache la forêt. Car nous replongeons ensuite, cela va de soi, dans le drame tissé précédemment par Bendis et Maleev. La lumière s'éteint à nouveau, et la crasse urbaine reprend ses droits. Au chapitre des caïds de la ville, des rois du crime, voici revenir le Hibou. Et avec lui une nouvelle drogue qui circule, puissante et dévastatrice. Leland Owsley est plus abject que jamais, avec une coiffe ultra identifiable qui le rapproche de l'animal dont il tire son sobriquet. Il est violent, cinglé, retors, loin de la version parfois pittoresque qui nous était présentée dans les années 80. Mais le fait important c'est aussi l'arrivée sur scène d'un nouveau personnage, une certaine Milla Donovan. Aveugle et fragile, elle n'en reste pas moins une femme séduisante et autonome, qui est sauvée in extremis par Daredevil alors qu'elle était sur le point de se faire écraser par un camion. Une première rencontre mouvementée, mais qui débouche rapidement sur une relation inédite et inévitable. Milla n'est pas stupide et elle sait de suite qui se cache derrière le masque, tout comme désormais les confrères de Murdock, la police ou la justice, qui n'hésitent plus à lui parler ou l'aborder au nom du super-héros, mais lorsqu'il est sous son identité civile. L'étau se resserre lentement autour de l'avocat, qui se laisse aller au plaisir et à la douceur de cette nouvelle rencontre, cette femme surgie de nulle part et à laquelle il ne semble vraiment pas pouvoir résister. Maleev continue d'assurer un travail impeccable sur la série, et avec lui aucun instant de répit n'est fourni. Le lecteur est immergé dans un quotidien étouffant, corrompu, dans lequel les lunettes rouges de Matt Murdock paraissent être deux phares bien pâles, succombant à la tempête à venir. Ce tome 2 est violent, cruel, et il rallume une bonne fois pour toutes la guerre de succession au trône d'un Wilson Fisk qui a disparu, mais pas de manière définitive... Absolument indispensable, pour toutes celles et ceux qui n'auraient encore jamais lu ces épisodes de belle facture.
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