Dîtes bonjour à Antoine Doinel au féminin. Jan, c'est le cancre attachant qui se débat dans une vie de famille " dysfonctionnelle ", raconte des bobards, embrouille tout le monde (mais pas très bien), et se retrouve à rêver d'une issue magique pour échapper à tous les problèmes qui lui tombent sur la tête.
La vie déraille quand les services sociaux interviennent et que Jan et son frère sont envoyés en foyer. C'est " provisoire ". Mais la fillette comprend bien vite que le provisoire n'est qu'un mensonge de plus de ce monde d'adultes qu'elle ne pige pas. Les placements et mésaventures s'enchaînent jusqu'au jour où STOP. Janis met un plan sur pieds : elle va fuguer. Avec son petit frère, et son nouveau pote du foyer. Ensemble, ils iront jusqu'à la mer.
JAN est un roman qui m'a déstabilisée dès ses premières pages. J'ai eu un moment de doute. (" Mais c'est quoi cette guignolade ? "). La mauvaise littérature m'a malheureusement habituée à me méfier des phrases bancales, et là, c'était super bizarre. Alors quid ? Heureusement, on réalise assez vite (page 2, mettons), que le langage si singulier qui nous a d'abord fait plisser des yeux est celui d'une gamine de onze ans, une gamine bourrée d'imagination, de caractère, de tripes, de mots et d'idées. Et tout vient dans le désordre, dans ce style si particulier qu'ont les mômes qui ne maîtrisent pas encore tout à fait la langue, ses us, ses expressions. La lecture devient une curiosité de chaque instant.
Ce parallèle nous est suggéré très rapidement car Jan est tombée amoureuse de ce film en noir et blanc montré en classe par son prof de français et dont le héros est, pour une fois, un cancre. C'est une métaphore filée, tout le long du roman, et elle fonctionne très bien. Avant même que la fugue soit évoquée, j'imaginais déjà que, ce qui maintenait la petite Jan à flots, c'était l'idée qu' au bout de ses peines, il y aurait la mer.
Le système de protection social, sans jugement de valeur, est présenté par le regard rageur et brûlant d'une enfant qui s'en sent victime, et on la comprend. Mais on voit aussi de quoi il entend la préserver, et on le comprend. Tout cela est plutôt fin, bien qu'indiciblement triste, car personne n'est " sauvé ".
Les moins :- Le parallèle avec Les 400 coups, même s'il est chouette, est un peu appuyé.
- La fin, belle et frustrante, sur laquelle on ne peut que s'interroger, comme dans Les 400 coups. Antoine Doinel qui court vers la mer... et après ?
Un très beau roman, simple, curieux, rageur et pétaradant, qui a l'honnêteté de l'enfance et est, en cela, assez distingué. La langue de Jan et son caractère (de cochon soupe au lait) portent vraiment l'histoire en avant.
À lire à partir de 12 ans. Un texte assez fort pour les plus jeunes, et très évocateur, dans ses rêves, ses violences, sa fugue d'amateurs... J'aurais adoré le lire à l'adolescence, où il aurait fait partie de ces lectures marquantes, qui nous définissent, au même titre que Oh, boy ! pour moi, par exemple.
Bonne lecture, LupiotJAN, de Claudine Desmarteau, chez Thierry Magnier, 2016, 256 pages