La romancière Meg Rosoff lauréate ALMA 2016

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

"Nooooooo! Oh my God! It is amazing! I cannot believe that!" 
Ce sont les mots de la romancière Meg Rosoff quand l'ALMA (Astrid Lindgren Memorial Award) lui apprend ce mardi 5 avril qu'elle est la lauréate 2016 du Prix Astrid Lindgren (5 millions de couronnes suédoises soit environ 580.000 euros).
A écouter ici.

Meg Rosoff.

Née le 16 octobre 1956 à Boston, deuxième de quatre sœurs, l'écrivaine américaine est installée à Londres depuis 1989. Elle a longtemps travaillé, notamment dans la publicité et l'édition, avant d'entrer en littérature de jeunesse. A 47 ans. C'était en 2004 avec "How I live now", traduit en français chez Albin Michel en 2006 sous le titre "Maintenant, c'est ma vie". Un premier roman qui se fait à juste raison remarquer (lire ci-dessous).
Depuis Meg Rosoff a écrit six autres romans pour ados, qui nous parviennent en français via Albin Michel Jeunesse ou Hachette Jeunesse, des albums pour enfants et un roman en littérature générale, ces derniers non traduits.
Le jury a apprécié que les romans de Meg Rosoff s'adressent à la fois aux sentiments et à l’intellect. Que sa prose étincelante décrive la recherche humaine de sens et d'identité dans un monde étrange et singulier, ne laissant jamais le lecteur indifférent. Que ses livres constituent une œuvre à la fois courageuse et pleine d'humour et soient tous très différents.
"Meg Rosoff décrit des adolescents à la frontière entre l’enfance et la vie adulte, confrontés à des épreuves difficiles dans la recherche de leur moi, parfois à la limite, voire au-delà, de l’intolérable. Ses personnages principaux, aux prises avec leur propre identité et leur sexualité, se retrouvent involontairement dans des situations chaotiques. Tout comme Astrid Lindgren, Meg Rosoff fait preuve d’une empathie et d’une loyauté totales envers les jeunes. Le monde des adultes apparaît tout au plus à la périphérie. Son style est toujours concret et vivant, qu’il s’agisse de décrire un paysage, des vêtements ou des aliments dans un garde-manger. Elle agrémente la noirceur avec humour pour aboutir à un chef d’œuvre stylistique."

Meg Rosoff a déclaré:
"Je suis bouleversée et profondément honorée  d'être la lauréate du Prix Astrid Lindgren pour 2016. Enfant, je me suis inspirée de Fifi Brindacier - désespérée de grandir assez courageuse pour naviguer sur les sept océans, assez forte pour soulever un cheval, assez peu conventionnelle pour vivre selon mes propres règles."


J'avais épatée par le premier roman de Meg Rosoff, "Maintenant, c'est ma vie" (traduit de l'anglais par Hélène Collon, Albin Michel Jeunesse, 2006; Le livre de poche jeunesse, 2008), qui a été adapté au cinéma en 2013, d'où sa nouvelle couverture. Il met en scène Daisy, une ado face à la vie, à cet âge entre "petit" et "grand" que l'auteure raconte avec finesse .
Le père de la narratrice a voulu éloigner une adolescente qui gênait sa nouvelle vie en l'expédiant passer l'été chez ses cousins anglais. Il a ainsi involontairement sauvé la vie de cette ado mal dans sa peau, quasi anorexique, rongée par l'absence de sa mère (morte en lui donnant le jour), ravagée parce que son père a refait sa vie avec une nouvelle compagne et un nouveau bébé à naître.
Ce premier roman ne fait pas dans la dentelle - la jeune fille doit affronter une longue guerre qui se déclare soudain sur sa terre d'exil - mais l'auteure a suffisamment de talent pour qu'on se laisse happer par son histoire, pour qu'on se mette à aimer son héroïne. Quelle force dans cette quête intiatique ponctuée d'épreuves! Les faits se situent à une époque indéterminée, légèrement postérieure à la nôtre, avec téléphones portables, attentats terroristes, déclaration de guerre et fermeture de frontières.
Mais revenons au début. Elizabeth, dite Daisy, se retrouve expédiée pour l'été de ses 15 ans chez sa tante Penn, la sœur de sa mère dont elle sait trop peu de choses. Une arrivée en fanfare: pas d'adulte pour attendre la New-Yorkaise à l'aéroport de Londres mais Edmond, son cousin de 14 ans, une clope au bec, la clé de la Jeep en mains.
Dès cet instant, Daisy va passer de surprise en surprise. D'abord, en rencontrant les habitants de la vieille baraque branlante où elle va séjourner, Osbert l'aîné des enfants, Isaac le taiseux jumeau d'Edmond, Edmond lui-même et Piper la dernière, sans compter quelques animaux - tante Penn n'apparaîtra que beaucoup plus tard. Ensuite, en expérimentant une autre façon de vivre, quasiment en autarcie. Livrée à elle-même, Daisy est amenée à réfléchir, à ouvrir ses yeux plus loin que son cadre habituel. Entre elle et Piper naît une profonde amitié, qui se développera encore pendant la partie de la guerre où elles seront séparées des autres et qu'elles devront affronter à deux, luttant à chaque instant pour leur survie. Auparavant, Daisy aura découvert l'amour avec Edmond, dans tous les sens du terme. Une première expérience d'amour adolescent, pur et sans tabou, qui marquera à jamais son existence: les derniers mots du livre sont aussi ceux du titre!
Ce premier roman bouleversant, maîtrisé de bout en bout, a fait entendre une nouvelle voix originale et juste. Meg Rosoff ne semble pas avoir complètement tenu la note dans les suivants, "Si jamais" et "Ce que j'étais" publiés chez Hachette Jeunesse (2007 et 2008). Depuis, d'autres titres sont à nouveau sortis chez Albin Michel, "La ballade de Pell Ridlay" et "Au bout du voyage" (2012 et 2014), un bon signe sans doute.

Les lauréats ALMA précédents

2015 Praesa (lire ici)
2014 Barbro Lindgren (lire ici)
2013 Isol
2012 Guus Kuijer (lire ici)
2011 Shaun Tan
2010 Kitty Crowther
2009 Tamer Institute
2008 Sonya Hartnett
2007 Banco del Libro
2006 Katherine Paterson
2005 Philip Pullman et Ryôji Arai
2004 Lydia Bojunga
2003 Maurice Sendak et Christine Nöstlinger
Ce n'est pas pour rien que le Astrid Lindgren Memorial Award est aujourd'hui considéré comme l'équivalent jeunesse du prix Nobel de littérature, détrônant les prix Andersen de l'IBBY de cette appellation. Il est le prix en littérature de jeunesse le plus important au monde.