Tibo disait, dans ses coups de coeur début mars, qu'il n'était pas sûr que nous méritions " une si belle histoire d'amour" dans notre univers de polémiques sexistes et de débats malodorants. Il a raison. Nous ne sommes pas dignes. Nous ne sommes pas dignes et pourtant Sunstone est là, magnifique, génial, tellement prenant que j'en perds mes mots, moi qui en ai toujours trop.
Je commence cette critique sans être tout à fait persuadée que je parviendrai à la terminer. Il faut dire que Sunstone me parle à environ un million de niveaux et qu'il me faudrait relire chaque tome quinze fois pour lui rendre vraiment justice. Dans sa critique du tome 1, Tibo disait tout son amour pour la série et toute son admiration pour l'auteur. Je ne saurais que trop insister sur cet homme, Stjepan Sejic, un artiste généreux dans son œuvre, ses bonus et sa narration. Mais nous y reviendrons. Pour être honnête avec vous, la première lecture m'a mis une banane de fou. J'ai souri comme une débile pendant quelques heures après avoir fermé le livre. Je lui ai même fait un câlin, car oui, parfois je fais des câlins à mes livres (enfin c'était ma première fois je crois mais ça pourrait devenir une habitude, voilà ce que Sunstone réveille en moi).
Le tome 1 avait vu la rencontre de nos héroïnes, Ally et Lisa. Leurs angoisses, leur excitation, leurs jeux et leurs tests, nous les avons vécus avec elles et l'introduction à cet univers BDSM si souvent stéréotypé était drôle, intelligente et jamais choquante. Les sous entendus servent ici l'érotisme et les accessoires les plus saugrenus sont présentés de façon à ce qu'on les perçoive tels qu'ils ont : des jouets potentiels, sans jamais dramatiser. Dans ce second tome, les personnages se révèlent davantage. Tandis que Lisa fait face à quelques imprévus également plutôt bien gérés par l'auteur, Ally s'ouvre sur son passé : sa relation avec Allan, l'évolution de ses fantasmes mais aussi quelques évènements traumatisants auxquels on ne s'attend pas et qui permettent de remettre le lecteur dans le droit chemin (à savoir : le BDSM, ça peut aussi être dangereux, il faut être prudent).
Clairement, il s'agit là du tome d'Ally et c'est un plaisir que d'approfondir un personnage qui aurait facilement pu tomber dans le pathos et les clichés. Parce qu'on les connait les déjà-vus "adeptes" du BDSM, traumatisés pendant leur enfance et/ou frustrés par leur vie professionnelle. Les classiques cadavres de début d'épisode des Experts, ou de toute autre série policière, qui sont d'ordinaire des gens tout à fait respectables mais qui s'adonnent à tous les vices qui tournent mal dans le dos de leurs conjoints. Si vous cherchez à conforter ces clichés, cherchez ailleurs. Ce n'est pas par contre dire qu'il n'y a pas quelques évènements franchement traumatisants dans le passé d'Ally, au contraire et on le découvre en fin de tome, mais ces circonstances dramatiques n'interviennent jamais pour justifier le BDSM, même si elles enrichissent la vision qui nous en est donnée. Ally et Lisa ne sont pas désolées d'être attirées par ces pratiques, elles savent devoir le cacher à certaines personnes de leur entourage mais elles le vivent avec tant de curiosité et d'humour que le cliché de la personne déséquilibrée, instable, ne nous traverse même pas l'esprit. Un vrai tour de force.
J'ai particulièrement apprécié le début de ce second tome et son introduction de ce qui me semble absolument vital dans ce genre de pratiques : l'importance de la confiance. C'est d'ailleurs un des thèmes récurrents de ce volume et un exemple de plus qui montre qu'on est loin du récit SM sexy auquel on nous a habitué depuis le cauchemar 50 Nuances de Grey. Rappelons-nous que 50 nuances de Grey se présente comme une histoire d'amour entre une jeune fille ordinaire (Ana) et un puissant mais mystérieux chef d'entreprise qui cache un intérêt pour le BDSM (Christian). Troublée, elle se laisse dominer dans tous les aspects de sa vie par cet homme au charisme certain. Le problème ici tient dans ces quelques mots : "dans tous les aspects de sa vie". La relation entre Ana et Christian n'a rien d'une relation BDSM. C'est une relation abusive, point, vaguement augmentée de quelques liens et baillons. Et la lecture de Sunstone ne fait que le confirmer. On a cette fois une relation saine, harmonieuse, où les deux protagonistes s'épanouissent et apprennent à se découvrir sans chercher à posséder l'autre. L'inverse donc de ce trouble décrit par Ana, qui le pousse à aller vers un homme qu'elle sait mauvais pour elle, toxique, et duquel elle ne sera jamais l'égale. La domination dans Sunstone est un jeu, une soumission volontaire de Lisa à Ally, avec la limite de ne pas sortir des sessions, de maitriser l'utilisation de son safeword et d'être honnêtes l'une envers l'autre. Tout ça n'a rien à voir avec le fait que le couple soit formé par deux femmes puisque les couples hétéros amateurs de BDSM du bouquin sont également sains et branchés dialogue. Cette vision plus positive mais aussi, je l'espère, plus réaliste des relations BDSM est un vent d'air frais dans la puanteur stagnante des 50 nuances. Sur le papier il s'agit de deux histoires d'amour teintées de BDSM, en pratique l'un est un exemple sain, fun et réaliste, l'autre le rejeton mal digéré des clichés télévisuels que nous évoquions plus tôt.
Ce tome prend également le temps d'introduire de nouveaux personnages et de faire évoluer les autres. Côté nouveaux personnages c'est surtout l'entourage d'Ally qui est étoffé (puisque je vous dis que ce tome lui est consacré) avec des amis hauts en couleurs qui se retrouvent dans un club BDSM des plus charmants. Les décors du club sont d'ailleurs très beaux, bien que clairement fantasmés (si un club comme ça existe quelque part, qu'on me donne l'adresse sur le champ, j'ai des soirées à remplir !), c'est rouge et plein de dorures, l'ambiance y est très bon enfant mais les performances y sont grandioses. Je vous mets très sérieusement au défi de ne pas avoir envie de découvrir un lieu comme celui-là. Parmi les personnages qui vont sans doute revenir dans les prochains tomes, nous avons d'ailleurs les proprios du lieu qui proposent des cours pour, on y revient, s'adonner à quelques pratiques extrêmes en toute sécurité. Ai-je dit que j'appréciais particulièrement l'importance donnée à la confiance et à la sécurité des participants ? C'est génial, c'est rassurant, c'est important. Allan, l'ex petit ami et désormais meilleur ami d'Ally, a de beaux moments de gloire dans ces pages : ses premiers pas, ses émois, sa vie amoureuse et professionnelle, tout y passe et c'est merveilleux de prendre le temps de rendre ce personnage secondaire vivant par un background conséquent. Il est super sexy dans ses scènes aussi, même habillé uniquement d'un préservatif. Coup de coeur total pour Cassandra et Tom, couple d'amis drôles, en découverte du BDSM et capables de références à Star Trek, mon talon d'Achille. Reste Anne, un personnage intriguant qu'on nous annonce comme essentiel et qui disparait aussi vite qu'il est apparut.
Je ne veux surtout pas trop vous en dire, niveau intrigue, alors je vais me contenter d'ajouter ça : Ally évolue vraiment. Elle n'est plus juste la dominante attentive, drôle, expérimentée mais un peu casanière. En vous le disant, je réalise que sa personnalité était déjà plutôt riche mais, sachez-le, si vous n'avez pas encore lu ce tome 2, vous n'avez encore rien vu. C'est génial et en même temps un peu risqué parce que le danger de trop en faire rôde. On n'y est pas encore, pour le moment c'est parfait, c'est riche et équilibré. J'espère de tout mon cœur que cette belle cohérence va perdurer. Côté Lisa par contre, l'évolution est subtile et c'est aussi bien, inutile de tout empiler en un seul tome. Rappelons qu'elle est la narratrice et les petits passages au présent sont toujours très mignons, très intriguants et leur mise en page coupée renforce ces impressions.
Parlons un peu de l'esthétique de l'objet. L'édition de Panini est toujours efficace et on est heureux de retrouver les bonus de l'édition originale. Les pages noires qui encadrent le contenu sont très élégantes et nous mettent déjà dans l'ambiance alors qu'on a encore rien vu. Comme dans le tome 1, la couleur rouge est extrêmement présente dans Sunstone, d'ailleurs à nouveau dans le club (qui s'appelle le Crimson qui plus est) c'est elle qui domine. Elle incarne la passion, la sensualité, le danger, l'interdiction. Le rouge représente des sentiments vifs, intenses et sans limite, sa chaleur est parfaite pour illustrer notre propos. Est-ce que le rouge plait tout simplement à l'auteur ou est-ce un choix un peu plus conscient ? Parce que, sérieusement, j'ai pris une liste de significations données à la couleur rouge pour compléter ce paragraphe et c'est incroyable comme tout colle, sens positifs comme négatifs. Quoiqu'il en soit, c'est du génie, c'est ajouter de la richesse et des strates de lectures à une oeuvre qui à première vue est jolie mais qui raconte "juste" une histoire d'amour. A ce travail des couleurs, de l'ambiance, s'ajoute le dessin toujours sûr et équilibré de Sejic. Il parle d'ailleurs dans les bonus de l'évolution de son trait au court de projet et c'est, comme d'habitude, très intéressant. Illustrations à l'appui. On ne peut que se réjouir des changements apportés.
Dans les pays anglophones, il y a pour le moment 4 tomes reliés de Sunstone. Le tome 5 n'est pas encore annoncé, du moins pas de date pour le moment mais il est certain qu'il y aura bien un tome 5. En France, le 3 sera vraisemblablement publié avant la fin de l'année mais on en sait pas plus et on reste discrets chez Panini. La publication en strips sur DeviantArt continue, puisqu'il s'agit au départ d'un webcomic publié sur cette plateforme. Je vous conseille cependant chaudement de lire Sunstone en format relié, le dessin semble plus fouillis, moins précis lorsqu'on le voit en très haute qualité (et très grand format) sur écran et c'est un peu de dommage de gâcher le plaisir.
Sunstone tome 2
Panini Comics * Par Stjepan Sejic * 14€95
Sunstone me fascine, je ne sais pas comment le dire autrement. Nous avons là une oeuvre complète en plus d'être magnifique. Son scénario est plaisant, voire passionnant pour qui s'intéresse directement aux sujets abordés. L'histoire d'amour n'est jamais chiante, et on sent qu'elle sera parfois mise en danger parce que l'auteur est clairement là pour s'éclater et profiter de l'aventure. Sunstone a sauvé sa créativité, dit-il, et on veut bien le croire tant le projet semble être nourri par sa passion et ses envies. L'amour qu'il porte à ses personnages nous est merveilleusement transmis.