Dans quelques jours, le monde commémorera un triste et terrible anniversaire, celui de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Il y a 30 ans, un réacteur de la centrale de cette ville d'Ukraine, encore république soviétique, explosait, entraînant des conséquences dramatiques. Cet événement occupe dans notre roman du jour une place qui, si elle n'est pas centrale, est importante. Voici un roman noir, très noir, et au titre parfaitement bien trouvé : "l'envers de l'espoir" (en grand format aux éditions du Masque). Il s'agit du nouveau roman de Mechtild Borrmann, qui a signé précédemment un thriller très remarqué, "le violoniste". Si l'on retrouve beaucoup de thèmes communs et quelques techniques similaires, ce nouveau livre nous entraîne dans une impossible quête du bonheur dans un pays encore en construction, encore relié à son passé par des liens puissants et soumis dans son présent à des pressions violentes...
Zyfflich est un village d'Allemagne, situé à quelques kilomètres de la frontière néerlandaise et de la ville de Nimègue. Un endroit sans histoire. Matthias Lessmann, un veuf qui approche des 70 ans, s'y occupe encore d'une ferme dans laquelle il élève des moutons. Un homme taiseux, solitaire, qui parle plus à sa chienne, Bella, et à son troupeau qu'à d'autres êtres humains...
Et puis, un dimanche de février 2010, Mattias recueille une jeune femme qui passait devant chez lui, manifestement poursuivie par des personnages peu recommandables, circulant dans un 4x4 noir. A peine l'a-t-il prise sous son aile, qu'elle essaye de se suicider dans sa baignoire... Aussi surpris que bouleversé, ne comprenant pas qui est cette demoiselle presque tombé du ciel, le fermier la soigne.
A ce moment-là, il n'imagine pas que cette rencontre va bouleverser sa paisible existence. Que, pour cette jeune femme, qui dit s'appeler Tania, il va non seulement se mettre en danger, mais aussi agir comme jamais il n'aurait pensé agir un jour... Et tout cela, une fois qu'elle lui en aura dit un peu plus sur elle, avec l'espoir sincère et profond, de lui venir en aide.
Sur Tania, nous ne dirons pas grand-chose. Pardonnez-moi, mais c'est un personnage qui, contrairement aux trois autres que nous allons évoquer, est plus spectatrice qu'actrice du drame qui se déroule. Mais, de fait, elle en est un des détonateurs et ce qu'elle est, d'où elle vient, pourquoi on la poursuit, toutes ces questions sont au coeur de l'intrigue.
Valentina Chtchoukina est Ukrainienne et est âgée d'une cinquantaine d'années. Longtemps, elle a vécu à Pripiat, un village dont le nom ne vous dit sûrement rien. Mais, si je vous dis qu'il se trouve à 3 kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à défaut de mieux visualiser l'endroit sur une carte, au moins, vous pouvez imaginer ce que cela représente.
En 1986, Pripiat est l'une des premières cités à être évacuées et placées dans ce qu'on va appeler, encore jusqu'à nos jours, la zone d'exclusion. Cette zone qui a subi les plus fortes radiations au moment de l'explosion. En ce mois d'octobre 2010, Valentina à choisi de revenir dans cette zone d'exclusion, de rentrer chez elle, même si l'endroit n'est plus qu'un village-fantôme...
Si elle a décidé de braver les interdictions, certes bien moins strictes qu'un quart de siècle plus tôt, c'est pour écrire. Sur un simple cahier (oui, celui évoqué dans le titre de ce billet), elle veut consigner sa vie, cette vie qu'elle n'a pas su raconter jusque-là, en tout cas dans ses moindres détails, à sa fille, Katerina. Mais, cette fois, l'heure est venue de révéler toute la vérité.
Avec un espoir secret : que la rédaction de ces souvenirs puisse contribuer à lui ramener sa fille disparue. Depuis toujours, et particulièrement ces trente dernières années, Valentina n'a jamais perdu espoir, toujours cru que le bonheur était possible, même lorsque le destin semblait s'acharner sur elle, avec une virulence terrible. Oui, ce qui la maintient en vie, c'est l'espoir que Katerina revienne et la lise.
Alors que Valentina écrit ses mémoires, à des centaines de kilomètres de Pripiat, à Düsseldorf, débarque Leonid Kyjan. Lui aussi est Ukrainien et il exerce la profession de policier. Enfin, exerçait, car c'est en tant que touriste qu'il est venu en Allemagne. Il est officiellement suspendu de ses fonctions, mais n'a pas voulu renoncer à l'enquête qui lui a valu tant de problèmes avec sa hiérarchie.
Entré dans ce qu'on appelait alors encore la Milice en 1998, Leonid espérait sincèrement faire entrer son pays, désormais indépendant, dans une nouvelle ère. Mais rompre avec les décennies soviétiques n'a pas été aussi simple, la corruption, le népotisme, les petits arrangements entre amis, tout cela a continué et Leonid a fini par perdre foi en cet avenir radieux...
Muté des stups au Groupe IV, une unité nouvellement créée pour lutter contre le crime organisé, il a commencé à enquêter sur la disparition suspectes d'étudiantes. Cela lui a redonné une raison de vivre et de s'impliquer à fond dans un travail qui ne l'excite plus. Mais on lui a sans cesse mis des bâtons dans les roues et ses supérieurs lui ont clairement fait comprendre qu'il ferait bien de refermer ce dossier...
Malgré ces obstacles et le peu d'indices dont il dispose, Leonid s'est entêté, seulement soutenu par Igor, un de ses collègues plus âgé. S'il a enfreint sa suspension, s'il a pris le bus pour aller de Kiev à Düsseldorf, c'est parce qu'il garde l'espoir de retrouver ces filles disparues et de les ramener à leurs mères. Et une en particulier : Valentina Chtchoukina.
Voilà présentés les quatre personnages principaux de ce roman noir, très noir. Auxquels il faudrait ajouter un cinquième qui serait l'Ukraine. Car, entre le récit de Valentina et l'enquête de Leonid, on retrace plus d'un demi-siècle d'histoire marqué par les difficultés et les drames : des déportations sous Staline à l'emprise des mafias et des oligarques, en passant par l'occupation nazie et, bien sûr, Tchernobyl.
Bien sûr, Mattias, Tania et Leonid sont des personnages importants, qui structurent cette histoire, mais pour moi, Valentina est le plus beau et le plus fort de tous, et largement. Elle incarne justement cette histoire ukrainienne, avec ses bonheurs et ses malheurs, les seconds, hélas, prenant largement le pas sur les premiers.
Comme dans "le violoniste", Mechtild Borrmann utilise beaucoup le flashback. De deux façons : dans les chapitres consacrés à Leonid, la narration à la troisième personne revient sur les événements qui ont conduit le policier en Allemagne, sur cette enquête qui semble déranger en haut lieu ; dans les chapitres consacrés à Valentina, c'est son journal qui retrace le passé.
A travers ces passages et le récit de la vie de Valentina, mais aussi de celle de sa famille, cette mère éplorée n'évoque pas seulement les événements et leurs conséquences sur sa vie (le départ forcé de Pripiat, l'installation dans une banlieue nouvelle de Kiev comme tous les Tchernobylzy, les évacués de la zone d'exclusion...), mais aussi ses secrets les plus intimes.
La famille de Valentina s'est longtemps accommodée de la vérité. Des secrets de famille, des non-dits (encore un point commun avec "le violoniste"), une réécriture de l'histoire familiale pour en camoufler certains aspects pouvant déranger... Mais, désormais, c'est la vérité pure, sans fard, que Valentina révèle au lecteur. Et la nature des mensonges apparaît, dans toute sa dureté...
N'en disons pas plus, puisque ce que raconte Valentina est vraiment au coeur de ce roman. On y voit à l'oeuvre les terribles mécanismes d'une Union Soviétique encore glorieuse, puis en pleine décomposition. Et même si Valentina a su, parfois, profiter de ce système, elle en a aussi très souvent souffert. Et, si elle revient à Pripiat, c'est parce que c'est là qu'elle a connu ce qui ressemble le plus au bonheur. Le temps de quelques années...
La construction du roman est remarquable. Trois situations s'entrelacent au gré des chapitres, dévoilant à tour de rôle des éléments soit de l'intrigue, soit de son contexte. Le dénouement du roman ne fera pas seulement apparaître le fin mot de l'enquête de Leonid ou le sort que le destin réserve à Mattias et Tania, mais aussi des éléments extérieurs qui viennent frapper le lecteur droit au coeur.
L'espoir... Il est présent dans le titre du livre. Il est présent dans chaque geste, chaque décision des quatre protagonistes centraux, mais aussi dans l'esprit du lecteur, devant leurs efforts. Il est là, oui... Mais la lueur est faible, à peine une loupiote, à peine une veilleuse qui menace de s'éteindre au moindre courant d'air...
Cet espoir est le moteur de ces femmes et de ces hommes que nous suivons dans le cours de ce roman. Mais, le lecteur, lui, découvre "l'envers de l'espoir", comme on irait voir l'envers d'un décor. Et, dans un cas comme dans l'autre, cet envers, c'est la réalité, dure, crue, impitoyable, inexorable. L'espoir fait vivre, dit l'adage, et c'est certain, mais il s'avère qu'il s'agit aussi souvent d'une illusion.
"Le violoniste" m'avait plus intéressé pour sa partie flash-back et l'évocation passionnante des goulags soviétiques. "L'envers de l'espoir" m'a plu tout entier, par son efficacité totale. Passé et présent se complètent, se font écho à travers le personnage de Valentina et à travers l'histoire tourmentée de son pays, aux richesses pourtant immenses.
Cette succession d'événements marquants et souvent douloureux, d'espoirs et de désillusions, prend d'ailleurs un tout autre aspect quand on se dit que la série s'est prolongée. Le roman se déroule en 2010. Depuis, il y a eu cette nouvelle guerre de Crimée, l'accentuation de la pression russe sur le pays, les questions de corruption récurrentes...
Mais, au-delà du strict cas ukrainien, les maux mis en exergue par Mechtild Borrmann dans "l'envers de l'espoir" concerne toute l'Europe et sans doute le monde entier : trafics humains, prostitution forcée, réseaux mafieux transnationaux, corruption, j'en passe et des meilleures... Le tableau d'ensemble est sombre, lui aussi, et sans doute pas en voie de s'éclaircir...
Un roman court, moins de 300 pages, mais d'une extrême densité. La tension qu'instaure Mechtild Borrmann est permanente mais l'auteure n'emploie pas pour cela un rythme de thriller à l'américaine. Non, on prend son temps, on fait monter la sauce progressivement à travers les récits croisés des personnages principaux et en levant le voile petit à petit...
Une tension qui joue énormément avec les émotions du lecteur, et ne vise pas seulement à le faire trembler, pour reprendre la traduction du mot "thriller". Et un roman qui, au final, nous laisse sur le flanc, émotionnellement éprouvés. Et, au-delà de tout le reste, c'est certainement ce que ce roman a de plus fort : cette puissance et l'empathie qu'elle suscite.
Zyfflich est un village d'Allemagne, situé à quelques kilomètres de la frontière néerlandaise et de la ville de Nimègue. Un endroit sans histoire. Matthias Lessmann, un veuf qui approche des 70 ans, s'y occupe encore d'une ferme dans laquelle il élève des moutons. Un homme taiseux, solitaire, qui parle plus à sa chienne, Bella, et à son troupeau qu'à d'autres êtres humains...
Et puis, un dimanche de février 2010, Mattias recueille une jeune femme qui passait devant chez lui, manifestement poursuivie par des personnages peu recommandables, circulant dans un 4x4 noir. A peine l'a-t-il prise sous son aile, qu'elle essaye de se suicider dans sa baignoire... Aussi surpris que bouleversé, ne comprenant pas qui est cette demoiselle presque tombé du ciel, le fermier la soigne.
A ce moment-là, il n'imagine pas que cette rencontre va bouleverser sa paisible existence. Que, pour cette jeune femme, qui dit s'appeler Tania, il va non seulement se mettre en danger, mais aussi agir comme jamais il n'aurait pensé agir un jour... Et tout cela, une fois qu'elle lui en aura dit un peu plus sur elle, avec l'espoir sincère et profond, de lui venir en aide.
Sur Tania, nous ne dirons pas grand-chose. Pardonnez-moi, mais c'est un personnage qui, contrairement aux trois autres que nous allons évoquer, est plus spectatrice qu'actrice du drame qui se déroule. Mais, de fait, elle en est un des détonateurs et ce qu'elle est, d'où elle vient, pourquoi on la poursuit, toutes ces questions sont au coeur de l'intrigue.
Valentina Chtchoukina est Ukrainienne et est âgée d'une cinquantaine d'années. Longtemps, elle a vécu à Pripiat, un village dont le nom ne vous dit sûrement rien. Mais, si je vous dis qu'il se trouve à 3 kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à défaut de mieux visualiser l'endroit sur une carte, au moins, vous pouvez imaginer ce que cela représente.
En 1986, Pripiat est l'une des premières cités à être évacuées et placées dans ce qu'on va appeler, encore jusqu'à nos jours, la zone d'exclusion. Cette zone qui a subi les plus fortes radiations au moment de l'explosion. En ce mois d'octobre 2010, Valentina à choisi de revenir dans cette zone d'exclusion, de rentrer chez elle, même si l'endroit n'est plus qu'un village-fantôme...
Si elle a décidé de braver les interdictions, certes bien moins strictes qu'un quart de siècle plus tôt, c'est pour écrire. Sur un simple cahier (oui, celui évoqué dans le titre de ce billet), elle veut consigner sa vie, cette vie qu'elle n'a pas su raconter jusque-là, en tout cas dans ses moindres détails, à sa fille, Katerina. Mais, cette fois, l'heure est venue de révéler toute la vérité.
Avec un espoir secret : que la rédaction de ces souvenirs puisse contribuer à lui ramener sa fille disparue. Depuis toujours, et particulièrement ces trente dernières années, Valentina n'a jamais perdu espoir, toujours cru que le bonheur était possible, même lorsque le destin semblait s'acharner sur elle, avec une virulence terrible. Oui, ce qui la maintient en vie, c'est l'espoir que Katerina revienne et la lise.
Alors que Valentina écrit ses mémoires, à des centaines de kilomètres de Pripiat, à Düsseldorf, débarque Leonid Kyjan. Lui aussi est Ukrainien et il exerce la profession de policier. Enfin, exerçait, car c'est en tant que touriste qu'il est venu en Allemagne. Il est officiellement suspendu de ses fonctions, mais n'a pas voulu renoncer à l'enquête qui lui a valu tant de problèmes avec sa hiérarchie.
Entré dans ce qu'on appelait alors encore la Milice en 1998, Leonid espérait sincèrement faire entrer son pays, désormais indépendant, dans une nouvelle ère. Mais rompre avec les décennies soviétiques n'a pas été aussi simple, la corruption, le népotisme, les petits arrangements entre amis, tout cela a continué et Leonid a fini par perdre foi en cet avenir radieux...
Muté des stups au Groupe IV, une unité nouvellement créée pour lutter contre le crime organisé, il a commencé à enquêter sur la disparition suspectes d'étudiantes. Cela lui a redonné une raison de vivre et de s'impliquer à fond dans un travail qui ne l'excite plus. Mais on lui a sans cesse mis des bâtons dans les roues et ses supérieurs lui ont clairement fait comprendre qu'il ferait bien de refermer ce dossier...
Malgré ces obstacles et le peu d'indices dont il dispose, Leonid s'est entêté, seulement soutenu par Igor, un de ses collègues plus âgé. S'il a enfreint sa suspension, s'il a pris le bus pour aller de Kiev à Düsseldorf, c'est parce qu'il garde l'espoir de retrouver ces filles disparues et de les ramener à leurs mères. Et une en particulier : Valentina Chtchoukina.
Voilà présentés les quatre personnages principaux de ce roman noir, très noir. Auxquels il faudrait ajouter un cinquième qui serait l'Ukraine. Car, entre le récit de Valentina et l'enquête de Leonid, on retrace plus d'un demi-siècle d'histoire marqué par les difficultés et les drames : des déportations sous Staline à l'emprise des mafias et des oligarques, en passant par l'occupation nazie et, bien sûr, Tchernobyl.
Bien sûr, Mattias, Tania et Leonid sont des personnages importants, qui structurent cette histoire, mais pour moi, Valentina est le plus beau et le plus fort de tous, et largement. Elle incarne justement cette histoire ukrainienne, avec ses bonheurs et ses malheurs, les seconds, hélas, prenant largement le pas sur les premiers.
Comme dans "le violoniste", Mechtild Borrmann utilise beaucoup le flashback. De deux façons : dans les chapitres consacrés à Leonid, la narration à la troisième personne revient sur les événements qui ont conduit le policier en Allemagne, sur cette enquête qui semble déranger en haut lieu ; dans les chapitres consacrés à Valentina, c'est son journal qui retrace le passé.
A travers ces passages et le récit de la vie de Valentina, mais aussi de celle de sa famille, cette mère éplorée n'évoque pas seulement les événements et leurs conséquences sur sa vie (le départ forcé de Pripiat, l'installation dans une banlieue nouvelle de Kiev comme tous les Tchernobylzy, les évacués de la zone d'exclusion...), mais aussi ses secrets les plus intimes.
La famille de Valentina s'est longtemps accommodée de la vérité. Des secrets de famille, des non-dits (encore un point commun avec "le violoniste"), une réécriture de l'histoire familiale pour en camoufler certains aspects pouvant déranger... Mais, désormais, c'est la vérité pure, sans fard, que Valentina révèle au lecteur. Et la nature des mensonges apparaît, dans toute sa dureté...
N'en disons pas plus, puisque ce que raconte Valentina est vraiment au coeur de ce roman. On y voit à l'oeuvre les terribles mécanismes d'une Union Soviétique encore glorieuse, puis en pleine décomposition. Et même si Valentina a su, parfois, profiter de ce système, elle en a aussi très souvent souffert. Et, si elle revient à Pripiat, c'est parce que c'est là qu'elle a connu ce qui ressemble le plus au bonheur. Le temps de quelques années...
La construction du roman est remarquable. Trois situations s'entrelacent au gré des chapitres, dévoilant à tour de rôle des éléments soit de l'intrigue, soit de son contexte. Le dénouement du roman ne fera pas seulement apparaître le fin mot de l'enquête de Leonid ou le sort que le destin réserve à Mattias et Tania, mais aussi des éléments extérieurs qui viennent frapper le lecteur droit au coeur.
L'espoir... Il est présent dans le titre du livre. Il est présent dans chaque geste, chaque décision des quatre protagonistes centraux, mais aussi dans l'esprit du lecteur, devant leurs efforts. Il est là, oui... Mais la lueur est faible, à peine une loupiote, à peine une veilleuse qui menace de s'éteindre au moindre courant d'air...
Cet espoir est le moteur de ces femmes et de ces hommes que nous suivons dans le cours de ce roman. Mais, le lecteur, lui, découvre "l'envers de l'espoir", comme on irait voir l'envers d'un décor. Et, dans un cas comme dans l'autre, cet envers, c'est la réalité, dure, crue, impitoyable, inexorable. L'espoir fait vivre, dit l'adage, et c'est certain, mais il s'avère qu'il s'agit aussi souvent d'une illusion.
"Le violoniste" m'avait plus intéressé pour sa partie flash-back et l'évocation passionnante des goulags soviétiques. "L'envers de l'espoir" m'a plu tout entier, par son efficacité totale. Passé et présent se complètent, se font écho à travers le personnage de Valentina et à travers l'histoire tourmentée de son pays, aux richesses pourtant immenses.
Cette succession d'événements marquants et souvent douloureux, d'espoirs et de désillusions, prend d'ailleurs un tout autre aspect quand on se dit que la série s'est prolongée. Le roman se déroule en 2010. Depuis, il y a eu cette nouvelle guerre de Crimée, l'accentuation de la pression russe sur le pays, les questions de corruption récurrentes...
Mais, au-delà du strict cas ukrainien, les maux mis en exergue par Mechtild Borrmann dans "l'envers de l'espoir" concerne toute l'Europe et sans doute le monde entier : trafics humains, prostitution forcée, réseaux mafieux transnationaux, corruption, j'en passe et des meilleures... Le tableau d'ensemble est sombre, lui aussi, et sans doute pas en voie de s'éclaircir...
Un roman court, moins de 300 pages, mais d'une extrême densité. La tension qu'instaure Mechtild Borrmann est permanente mais l'auteure n'emploie pas pour cela un rythme de thriller à l'américaine. Non, on prend son temps, on fait monter la sauce progressivement à travers les récits croisés des personnages principaux et en levant le voile petit à petit...
Une tension qui joue énormément avec les émotions du lecteur, et ne vise pas seulement à le faire trembler, pour reprendre la traduction du mot "thriller". Et un roman qui, au final, nous laisse sur le flanc, émotionnellement éprouvés. Et, au-delà de tout le reste, c'est certainement ce que ce roman a de plus fort : cette puissance et l'empathie qu'elle suscite.