La menuiserie (Aurel – Editions Futuropolis)
« Je serai celui qui ne reprendra pas la menuiserie ». Le constat est inévitable: même s’il est parfois pris de remords, Aurélien sait parfaitement qu’il n’a ni l’envie ni la capacité de prendre la succession de son père et de son grand-père à la tête de la menuiserie familiale. Lui a choisi une autre voie depuis longtemps: il a troqué les planches en bois pour des planches de papier, puisqu’il est devenu dessinateur sous le nom d’Aurel. Malgré tout, lorsqu’il se rend compte que son père est sur le point de prendre sa retraite, Aurel prend conscience que l’entreprise de son père va devoir fermer faute de repreneur. Avec pour conséquence que les ouvriers vont devoir trouver du travail ailleurs. Ce qui ne sera pas une mince affaire, étant donné que la menuiserie Froment se situe aux Vans, un petit village perdu au coeur de l’Ardèche. Pour mieux comprendre la mort de cette PME familiale (le livre est d’ailleurs sous-titré « Chronique d’une fermeture annoncée »), Aurel décide alors de retourner dans son village d’enfance pour suivre et interroger tous les protagonistes: son père, sa grand-mère, certains clients de la menuiserie, mais aussi chacun des ouvriers, y compris certains ayant quitté l’entreprise depuis plusieurs années. C’est notamment le cas de Marc, à qui le père d’Aurel avait rêvé de transmettre la menuiserie, mais qui a finalement préféré se mettre à son compte. Toutes ces rencontres permettent à l’auteur de faire découvrir à ses lecteurs un métier passionnant mais exigeant, qui résiste tant bien que mal à la mondialisation et à la concurrence des solutions toutes faites et moins chères. C’est aussi l’occasion pour lui de s’interroger sur les difficultés de transmettre une petite PME familiale, surtout lorsque celle-ci est située au fin fond d’un petit village loin de tout…
On le sait: depuis quelques années, les BD reportages ont le vent en poupe. C’est évidemment dans cette catégorie qu’il faut ranger aussi « La menuiserie », qui est une chronique sociale tout en retenue sur la fin de vie d’une petite entreprise de menuiserie dans un village de l’Ardèche. Mais ce n’est pas un reportage comme un autre. Ce qui donne une dimension supplémentaire à ce livre, c’est le fait qu’Aurel ne raconte pas l’histoire de n’importe quelle entreprise, mais de la menuiserie appartenant à sa famille depuis quatre générations. C’est là que réside l’attrait principal de cette BD, l’auteur n’hésitant pas à se mettre en scène pour nous faire découvrir avec beaucoup d’humanité et de tendresse le parcours de son père, de sa grand-mère (qui est un fameux personnage), mais aussi de chacun des ouvriers, ce qui donne à son ouvrage un côté très touchant et très personnel. Bien sûr, l’aspect purement économique et social du livre est lui aussi particulièrement intéressant, mais il est moins chargé en émotion et surtout il est très propre à la France. Aurel consacre ainsi beaucoup de place à l’idée de transformer l’entreprise en SCOP, c’est-à-dire une Société coopérative et participative, dans laquelle ce sont les ouvriers qui deviennent les propriétaires de l’entreprise. Une idée qui, malheureusement, ne pourra jamais se réaliser dans le cadre de la menuiserie Froment, qui semble dès lors condamnée à disparaître. Du coup, c’est par le biais d’un livre qu’Aurel a choisi de continuer à faire vivre l’entreprise familiale. Un bel hommage d’un fils à son père.