151. — Quiconque n’a pas le sens de l’humour n’a jamais mesuré les limites de sa propre pensée. Mais c’est parce qu’il n’en a pas, de pensée. Car quiconque pense un peu rit bientôt beaucoup.
152. — Génération X, génération Y… À Z, on arrête ?
153. — L’intelligence est une responsabilité collective dont la garde semble bien désormais nous avoir été retirée.
154. — Combien d’œuvres contemporaines, qui insistent lourdement sur la « démarche » en déroulant un laborieux exposé scolaire tissé des mêmes fadaises sur la communication et la participation du public, gagneraient à ne s’accompagner d’aucun mode d’emploi : on pourrait ainsi attribuer l’indigence de la « pensée » qui leur donne naissance au mystère et aux indéterminations de l’œuvre, et la veulerie de leur attention complaisante au public décidément bien « client » à un amour éperdu de l’humanité. Mais ces explications trop empressées ne sont jamais, au fond, qu’un argument de vente. Dommage qu’il n’y ait rien à vendre. Et qu’il n’y ait plus guère d’acheteurs.
155. — Les Américains ont les délires boursouflés et grotesques des gens pratiques.
156. — Bien des gens meurent d’étonnement. L’étonnement de constater que c’est irrémédiable et qu’ils n’en avaient qu’une.
157. — Comme des astres éteints, il existe des théories mortes. Celles qu’une méthodologie omnipotente a ossifiées en pédagogie immobile. Notre utilitarisme forcené et immédiat a liquidé la théorie. Et, par le fait même, l’imaginaire.
158. — Autrefois nous étions, paraît-il, à l’image de Dieu, et nous avions une âme. Nous sommes désormais – qui ne le voit à regarder nos pubs et nos humoristes ? — à la semblance du singe et nous avons une bedaine, gracieuseté de nos commanditaires. Notre livre de chevet ? Ainsi parlait Orang-Outang.
159. — Les fourmis aussi ont une économie. Elles n’ont même que cela. Comme nous demain.
160. — Les ordinateurs nous ont fait perdre la mémoire, du moins celle qui s’attache à autre chose que des faits biographiques individuels. Comme si la mémoire humaine pouvait, à l’instar de celle des machines informatiques, se saturer, elle qui, au contraire, s’enrichit encore de tout ce qu’elle accumule et des rapports inouïs qui naissent de cette accumulation. C’est sans doute une des leçons de Proust, mais l’œuvre de Proust est impossible au temps d’IBM et la pomme de Silicon Valley n’aura jamais le goût de la madeleine.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).