Le 5 avril est apparu sur la toile le blog "la ficelle", énigmatiquement sous-titré "Si ton cerf-volant est cassé, garde la ficelle".
S'y sont regroupés des écrivains de l'école des loisirs, démunis devant le changement de ligne éditoriale de la maison cinquantenaire.
Ils se présentent ainsi:
"Une grande maison d'édition jeunesse, L'Ecole des Loisirs, change de cap sans prévenir. Des auteurs de romans restent à quai, d'autres sont tombés à l'eau. Dans ce blog, des auteurs concernés prennent la parole pour donner leur point de vue. Ils souhaitent dire ce que L'école des Loisirs représentait pour eux; parler littérature jeunesse, celle qu'ils aiment et qu'ils veulent écrire; montrer leur soutien à ceux qui partent ou ceux qui restent; et pourquoi pas parler économie, politique éditoriale et politique au sens large. Bref, dialoguer, s'exprimer et dire à Loisirs."Depuis le 5 avril, les billets-témoignages d'écrivains s'y succèdent. Dix à cette heure: Alice de Poncheville, Nastasia Rugani, Isabelle Rossignol, Claire Castillon, Fanny Chiarello, Coline Pierré, Gilles Barraqué, Charles Castella, Agnès Desarthe... Les lire devrait être réjouissnt. Vu les circonstances, c'est d'une tristesse absolue mais nécessaire. Tous racontent le passé avec Geneviève Brisac, la responsable des romans depuis 1989, écartée sans ménagement à la fin de l'année dernière (elle est officiellement toujours en place, mais en arrêt maladie). Un temps où la littérature avait le droit, même le devoir, d'exister pour les enfants. Chacun dit à sa façon une manière de faire magnifique, un souci des auteurs et des lecteurs. Humanité et talent professionnel.
Les lire est d'une tristesse absolue car ils disent le passé. Louis Delas, le nouveau directeur de l'école des loisirs, a défini pour "Livres-Hebdo" la ligne éditoriale des romans: "Nous publions des romans avec des personnages positifs et entreprenants auxquels il arrive des aventures qui permettent aux lecteurs de s'identifier et de se construire dans un monde complexe." Oui, on se pince. On tentera de ne pas se remémorer l'aventure qu'a été la publication de Robert Cormier ou des deux Christophe, Honoré et Donner... Maintenant, les machines sont réglées. Ecrivains, placez-vous dans les lignes désormais. Ne dépassez pas.
Quel sera l'avenir des romans à l'école des loisirs? On peut s'en inquiéter. Car peu répondent aux normes actuelles. Heureusement il reste deux milliers de livres formidables en collections Mouche, Neuf et Médium qui ont été publiés et souvent réimprimés. Pas tous hélas. Un chef-d'œuvre comme "Le passage" de l'Américain Louis Sachar (traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, 2000) n'est plus disponible au catalogue de l'école des loisirs. Alors que "Manuel de survie de Stanley Yelnats pour le camp du lac vert", qui y est lié l'est (Médium, 2004)!
Heureusement, "Le passage" de Louis Sachar est maintenant disponible chez Gallimard, toujours dans la traduction de Jean-François Ménard. Un livre total, mêlant western, amour fou, trésor et apprentissage. Le dix-neuvième, à l'époque, que l'auteur avait écrit pour la jeunesse. Plébiscité par des centaines de milliers de lecteurs. Un texte superbe, admirablement construit où on y découvre la vie, si on peut l'appeler ainsi, au camp du lac vert.
Un lieu loin de tout, cuit et recuit par le soleil qui en a fait disparaître la moindre goutte d'eau. Là, des jeunes qui ont eu maille à partir avec la justice creusent des trous. Tous les jours. Sous une impitoyable chaleur. Dimensions imposées: 1,5m de diamètre, 1,5m de profondeur. La taille d'une pelle. Dans quel but? Pour "se forger le caractère" sans doute mais aussi pour servir certains projets du directeur. Petit à petit, le lecteur découvre ce quotidien éprouvant. Des bribes d'existence se dévoilent à lui, croisant des destins, entrecoupées de pans d'autres vies qui se sont déroulées plus de cent ans auparavant. "Le passage" est un livre terriblement émouvant, mais aussi très drôle par moments. C'est un roman d'une qualité rare qui ouvre le lecteur aux autres et à lui-même. Un texte indispensable.
Et donc, je répète, n'oubliez pas de lire "la ficelle" régulièrement. C'est un parfait plaidoyer pour une belle littérature de jeunesse, exigeante et réjouissante.