C’est drôle, c’est ce que disent ceux qui manquent de larmes et de courage, comme ils disent aussi souvent qu’un sourire sur une bouille de môme c’est bien plus joli. Comme ils rendent la chair aride et sèment leurs conseils là où la vie ne repousse jamais. On a appris à se satisfaire d’une soupe froide et de draps propres parce que des types crèvent la dalle et de froid dans la rue. On a appris à se contenter d’une salade verte et à se priver de dessert pour espérer un jour faire la couverture de Elle. C’est drôle, comme on a appris à se sentir coupable d’avoir de la fièvre, des bourrelets et du chagrin. Comme on a appris à se sentir coupable de vouloir juste être vivant. C’est drôle, toutes ces femmes qui montent un film génial à chaque sous-entendu, mais qui n’entendent pas leur cœur cogner et leur ventre gronder. C’est drôle, tous ces hommes qui savent comment survivre dans le désert, mais n’osent jamais affronter leur peur du vide, la vaincre, et sauter dedans à pieds joints.
C’est drôle, comme j’me force à en rire quand j’voudrais en pleurer. Depuis que je m’habitue à la douleur sans jamais réussir à l’appeler bonheur. Depuis que je m’habitue à l’ennui sans jamais y trouver une miette de plaisir. Depuis que les gens traitent ceux qui pleurent de tapettes, comme ils ne savent plus voir dans mes larmes au bord du vide cette faim de vivre. Depuis que les gens traitent ceux qui doutent de dingos, comme armés de leurs certitudes et de leur arrogance ils arriveraient presque à me persuader que l’habitude a toujours raison. C’est drôle, comme j’voudrais te faire autant envie que je m’inspire de pitié. À chaque fois que je me rétame sur le trottoir, comme s’habituer demande de l’énergie. Que j’ai laissé la mienne dans ce poing que je voulais dresser, mais que ceux qui gueulent le plus fort ont mis à genoux. À chaque fois que je me rétame sur le trottoir, comme je n’ai plus que l’eau-de-vie de pépé pour rigoler un peu avec eux moi aussi.
C’est drôle, comme on s’habitue tellement à la douleur qu’on finit par en écrire des histoires pour ne jamais se donner l’occasion de partir un peu ; mais en mourir quand même beaucoup.