Voici comment l’empereur et philosophe Marc Aurèle voyait les conséquences d’une faute ou d’un crime ; et le pardon ou renouement possible, car le criminel était né humain.
As-tu vu quelquefois une main ou un pied coupé, une tête tranchée, gisant loin du reste du corps ? Tel est l’état dans lequel se met, autant qu’il est en lui, celui qui repousse ce qui lui arrive, qui se retranche du monde, ou qui commet un acte contraire à la solidarité. Tu t’es rejeté hors de l’unité voulue par la nature, car tu n’étais qu’une partie, et voilà que tu t’es retranché du tout. Mais voici qui est admirable : il t’est possible de rentrer dans cette unité. Dieu n’a permis à aucune autre partie, séparée et retranchée du tout, de s’y rajuster de nouveau. Vois donc quelle bonté, quels égards il a eus pour l’homme. Il a fait dépendre de lui d’abord de ne pas se séparer du tout ; une fois séparé, il lui a permis de revenir s’y souder et y reprendre sa place à côté des autres parties. (Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre VIII, 34.)
Et voici comment Léon Chestov, écrivain et philosophe russe, évalue le crime de Raskolnikov, héro du roman Crimes et châtiments, de Dostoïevski : « Pour Dostoïevski, Raskolnikov est un homme retranché comme par un coup de ciseau du reste du monde, de tous et de tout. » (Léon Chestov, L’œuvre de Dostoïevski.)
Intéressant de constater comment, par-dessus les millénaires, se conjuguent dans un roman la pensée chrétienne du romancier russe et celle du philosophe stoïcien.
(Résumé de l’intrigue : Raskolnikov est un jeune étudiant russe. C’est un être altier, riche intellectuellement et moralement. Par manque d’argent, il doit interrompre ses études. Rêveur solitaire, il rejette la morale commune. Il se considère comme un être supérieur et veut éprouver les limites de sa liberté par la transgression de l’ordre moral. Désirant secourir sa famille dans le besoin, il assassine une vieille usurière et la vole. Raskolnikov est conforté dans son choix éthique par les agirs de son modèle, Napoléon Bonaparte.
Comme l’écrivait Ettore Lo Gatto, professeur de littérature russe à l’Université de Rome : « Il [Raskolnikov] accepte la condamnation des hommes et se sauve ainsi moralement. Il rejoint la lumière en s’abandonnant au courant de la vie pour se laisser porter à quelque port, renonçant à la lutte, s’agrippant aux valeurs élémentaires de l’homme pour y retrouver la bonté originelle : c’est la tragique salvation russe par la soumission passive ».) (Résumé tiré du site @la lettre.com)
Ces dernières phrases renvoient sans équivoque au paragraphe de Marc Aurèle cité plus haut.
L’auteur…
Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon