Des mois. Cela fait des mois que je n’ai plus écrit une ligne ici. Il y en a eu, pourtant, des lectures dont j’ai envie de vous parler. Mais le travail, les corrections, la vie, la fatigue… m’ont éloignée d’ici. Il est des moments, pourtant, où un retour à l’essentiel devient vraiment nécessaire. J’ai trop besoin, envie de vous parler de ce livre, Amours. Je pars en voyage scolaire demain et ma valise n’est pas bouclée, mais faut qu’on parle. Maintenant. Faut qu’on parle d’Amours.
Extrait de la présentation de l’éditeur, parce que si je vous mets tout, vous en saurez trop.
(…) Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un riche notaire et que les choses du sexe plongent dans l’effarement, à prendre en mains sa destinée. Surtout pas son trouble face à l’inévitable question de l’enfant qui ne vient pas. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l’héritier Boisvaillant tant attendu. Comme elle l’a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s’apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire ne sait comment s’y prendre avec le nourrisson. Personne n’a le droit d’y toucher et Anselme est prié de s’installer sur un lit de camp dans son étude. Le petit Adrien dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont sa mère, qui a bien du mal à s’inventer dans ce rôle, martèle inlassablement les touches. Céleste comprend ce qui se joue là, et décide de porter secours à l’enfant à qui elle a donné le jour. (…)
Malgré les avis très enthousiastes, j’avais peur de me lancer dans cette lecture. Je ne voulais pas d’un huis-clos oppressant, je ne voulais pas d’une situation malsaine. Je voulais encore moins d’un roman ironique qui ne parlait pas vraiment d’amour. Mais tout le monde parlait d’un roman très beau, bouleversant. Alors quand j’ai vu qu’il existait en version audio, lu par l’auteur, je me suis laisser tenter. Et j’ai vraiment, vraiment bien fait.
« ANSELME JETTE CÉLESTE SUR LE MATELAS, chaque fois le même geste qui la balance sur le ventre, la tête plongée dans l’oreiller, la tignasse à portée de main. Il relève la jupe vite fait. Elle ne résiste pas, ne résiste plus. Il s’agrippe au chignon, serre fort la masse de cheveux. Puis il s’installe, planté entre ses cuisses, et commence. Les pieds du lit de fer grincent. Ni Anselme ni Céleste n’entendent la plainte du lit qui supporte l’amour forcé. C’est laborieux, toujours. C’est long. Elle se demande pourquoi ces instants-là passent si lentement. Pourquoi ne pas s’évanouir pour ne rien ressentir. »
Je serre les dents, en écoutant ces premiers mots. Les scènes de viol et moi, c’est très compliqué, mais l’écriture est trop belle pour que je ne continue pas. Le style est élégant, ciselé, maîtrisé. Le texte se prête à une lecture orale, et les respirations, les tremblements, presque, dans la voix de l’auteur, confèrent à ce texte encore plus d’humanité. Point d’intrigue haletante, ici (et c’est tant mieux); juste des mots très jolis, dont je suis la mélodie, et je me laisse apprivoiser par le rythme très tranquille.
Petit à petit, je m’installe dans l’histoire dont je suis un témoin de moins en moins distant. Je suis rassurée: si l’intrigue se déroule au début dans l’espace assez confiné de la maison familiale, ce quasi-huis-clot n’est pas oppressant. Mariage arrangé, femmes enfermées dans les carcans de leur époque, lieu de narration presque unique… les ingrédients sont pourtant rassemblés pour que je me sente, moi aussi, enfermée dans le livre. Mais sous ce triste vernis, se cache une beauté que je ne m’attendais pas à trouver.
Car c’est de liberté, surtout, dont il est question dans ce roman. Un profond besoin de liberté qui se découvre, surprend les protagonistes qui ne le reconnaissent pas tout de suite. La liberté va s’éprouver, petit à petit. Jamais assez, jamais assez longtemps, mais elle sera vécue. Je ne vous dirai pas de quelle façon, mais je vous promets que c’est joli, et touchant, et émouvant, et bouleversant, même. Sans être un texte militant, Amours aborde pourtant magnifiquement des questions centrales du combat féministe. Quelle est la place des femmes dans la société? Comment peuvent-elles se sentir libres alors même qu’elles vivent sous le joug d’une société patriarchale bien-pensante qui les soumet en permanence à l’autorité masculine? Léonor de Récondo aborde ces sujets avec subtilité, au travers de personnages bien plus nuancés que ce que la quatrième de couverture ne m’avait laissé croire.
Qu’on ne s’y trompe pas, ce livre n’est pas un manifeste féministe. Il est bien plus que cela. Et il ne parle pas que de la société. Il parle des individus, de leurs sentiments, de leurs émotions. Il parle d’amour, aussi, pour du vrai. Pas avec l’ironie que je craignais au début. D’amour maternel, d’amour amoureux… Sans guimauve (parce que ça gâcherait tout), mais avec tendresse et délicatesse.
De bout en bout, j’ai été émerveillée par la grâce dont ce roman est tout emprunt. J’en ai terminé la lecture il y a presque trois mois, mais j’ai toujours des frissons en y repensant. C’est très subjectif, les frissons. Mais c’est pour ça que je lis, le plus souvent. Je vous ai déjà dit, j’aime bien lire pour rire, pour me détendre, pour apprendre… mais tout ça, c’est très secondaire. Ce que je veux, quand je lis un livre, c’est avoir les genoux qui tremblent, des papillons dans le ventre, et des frissons. Surtout, des frissons. Alors si c’est ça que vous cherchez, vous aussi, où dont vous avez envie là maintenant, n’hésitez pas. Lisez Amours. Écoutez-le. Faites les yeux doux pour qu’on vous le lise, mais découvrez ce texte. Vraiment.
En plus, il sort en poche le 6 mai, aux éditions Points, et la couverture est jolie!