Bon, je reconnais que j'y suis peut-être allé un peu fort en choisissant cette citation pour servir de titre à ce billet. Mais, je pense pour autant respecter l'esprit de notre livre du jour et des tristes constatations qu'il recense à propos d'un pays qu'on découvre, la Mongolie. Après "Yeruldelgger", qui fut un énorme succès, Ian Manook poursuit ce voyage asiatique avec "Les temps sauvages", désormais disponible au Livre de Poche. Deuxième volet de ce qui sera une trilogie, ce polar nous permet de retrouver bien des personnages déjà croisé lors de la première enquête, mais de les découvrir sous un angle sensiblement différent. De même, la Mongolie est abordée autrement, ne serait-ce que parce qu'elle n'est pas le seul théâtre des enquêtes en cours. Pourtant, tout concourt encore une fois au même inquiétant constat : pays longtemps fermé au temps du communisme, la Mongolie doit désormais affronter une mondialisation débridée qui fragilise sa culture millénaire... Et reste un pays à la situation politique très instable, sur lequel lorgnent bien des profiteurs.
Quelque part dans la steppe, à des centaines de kilomètres d'Oulan-Bator, Oyun doit faire face à une situation particulière : devant elle, une espèce de sculpture à la César, composé d'éléments qui étaient bien vivants avec d'être... compressés. A vue d'oeil, il y a un cavalier et sa monture, écrasés par un yack qui semble être... tombé du ciel.
Une enquête délicate s'annonce pour la jeune policière, qui peine à se remettre de ce qu'elle a vécu, un peu plus d'un an auparavant (je n'en dis pas plus si vous n'avez pas encore lu "Yeruldelgger"). Sur cette scène de crime, elle rencontre un soldat, chargé de surveiller le coin, un certain Gourian, en qui elle va trouver l'homme capable de lui redonner goût à la vie.
Dans le même temps, Yeruldelgger a lui aussi quitté la capitale pour se rendre au pied d'un des points culminants du pays, le Mont Otgontenger, dont le sommet se trouve à plus de 4000 mètres d'altitude. Accroché à la falaise, le corps d'un homme, en tout cas, c'est ce qu'il semble à travers les jumelles, pend, sans vie.
On est en plein hiver, et un hiver particulièrement rude, ce n'est donc sans doute pas un touriste qui passait par là, mais ni le policier, ni son guide, un professeur du nom d'Agop qui gère un musée dans le coin, ne sont capables de dire comment il a pu se retrouver là... Mais, avant de pouvoir arriver jusqu'à lui, il faudra attendre la belle saison ou recourir à un matériel dont ne dispose pas la police...
Mais, à son retour à son bureau, une autre mauvaise nouvelle attend Yeruldelgger : Colette, cette prostituée qui lui fut d'un réel secours dans son enquête précédente, a été assassinée. Et le service anti-corruption que le policier a lui-même mis en place semble détenir des preuves l'impliquant, lui, Yeruldelgger, dans ce meurtre...
Comme dans le premier volet, on entre directement dans le vif du sujet avec ces trois histoires, en apparence sans lien, qui vont mobiliser toute l'énergie et la perspicacité de Yeruldelgger et d'Oyun. En fait, surtout celles d'Oyun, car son chef va bientôt suivre une pente de plus en plus savonneuse, une descente aux enfers pour un personnage au bord de l'implosion.
Au point que, en pleine enquête, il va disparaître. Oh, ses collègues sont habitués à son caractère délicat, mais là, il y a de quoi s'inquiéter car Yeruldelgger est sur la corde raide. Eprouvé par ce qu'il a appris lors de sa précédente enquête, le flic intègre et pur, épris des traditions et de la culture de son cher pays, se lance dans une étrange vendetta où le dérapage n'est jamais très loin.
Yeruldelgger est une cocotte-minute sur le point d'exploser si on n'ouvre pas rapidement la soupape. Derrière l'image, un peu cliché, il y a surtout un homme près à tout, même aux pires agissements, même à mourir, pour obtenir les réponses qu'il veut. Des réponses qui, évidemment, on pour but de retrouver les véritables assassins de Colette, mais pas seulement...
Si vous avez découvert Yeruldelgger dans le roman qui porte son nom, vous serez frappé de ce changement qui s'opère en lui. Débonnaire et bienveillant, le voilà devenu impitoyable, violent, menaçant, n'ayant plus aucun état d'âme ni aucun scrupule à enfreindre les lois qu'il a pourtant défendues si farouchement jusque-là.
Il y a de la colère, chez Yeruldelgger, sans doute aussi du désespoir, de voir évoluer son pays dans un sens qui ne lui plaît pas : corruption, affairisme, luttes pour le pouvoir à la tête d'une démocratie encore bien fragile, mais aussi une culture que les nouvelles générations délaissent, attirées par les sirènes occidentales...
Le matérialisme sous toutes ses formes menace sérieusement ces coutumes millénaires, pleines de spiritualités, mais aussi de respect pour l'homme comme pour la nature. La Mongolie sort de son isolement pour devenir un enjeu attirant des vautours de l'intérieur et de l'extérieur du pays et, dans le même temps, les forces vives, la jeunesse mongole, ne rêve que de partir sous d'autres cieux...
Et puis, on s'en prend aux siens, à ses proches, car, sous ses airs bourrus qui ne sont que pudeur, en fait, Yeruldelgger est un grand affectif. Alors, quand Yeruldgelgger fâché, lui toujours faire ainsi. Et ça barde pour qui se met en travers de son chemin. Il n'a plus rien à perdre et n'hésite pas à éliminer les obstacles qu'il rencontrera, y compris par la manière forte...
Yeruldelgger n'est pas le seul personnage à apparaître sous un jour sensiblement différent de l'image que l'on avait à la lecture du premier livre. Je pense bien sûr à Oyun, qui n'est plus la jeune policière un peu naïve. Il faut dire qu'elle a durement payé son implication dans l'affaire précédent. Une survie presque miraculeuse et des cicatrices mentales qui guérissent bien moins vite que celles qui s'étalent sur son corps.
Oyun s'est endurcie, c'est une évidence, et plus que jamais, elle prend à coeur sa mission de flic. D'une certaine façon, elle suit l'exemple que Yeruldelgger lui a toujours donné, en termes d'honneurs, d'intégrité, de soif de justice et de vérité. Et elle est la première frustrée et déçue de voir comment son chef tourne, de le voir filer un mauvais coton.
On l'imagine assez frêle, Oyun, mais avec un sacré caractère, qu'elle déploie tout au long de ce roman, pour tenir tête à tout le monde, à commencer par Yeruldelgger, à qui elle dirait volontiers ses quatre vérités, histoires de lui remettre les pieds sur terre... Et puis, de tous ceux qu'elle va rencontrer au cours de son enquête, dans laquelle elle fonce tête baissée... Ce qui n'est pas toujours la meilleure manière de faire.
Et puis, il y a Gourian, évoqué au début. De l'amour ? Sans doute pas, la relation est essentiellement sexuelle, mais le feu de cette passion très soudaine, lui redonne doucement une raison de vivre, un moyen de se reconstruire. Sans pour autant atténuer la colère qui couve toujours après tout ce qu'elle à traverser. Oyun est une dure à cuire, de l'acier trempé à la place du coeur et une réelle autorité naturelle...
Enfin, troisième personnage, qu'on retrouve plus tard dans ce deuxième tome et qui n'est plus du tout le même, c'est Gantulga. Gamin des rues, vivant dans les égouts, lorsqu'on l'a rencontré, il agissait comme un véritable gavroche d'Oulan-Bator. La langue bien pendue, l'espièglerie au coin de l'oeil, du courage, de la fidélité et un énorme besoin d'affection, sans doute.
Gantulga a pris une part active dans la résolution de l'enquête du premier volume, prenant bien des risques pour aider Yeruldelgger et Oyun. Un gamin, rien qu'un gamin, avec l'inconscience de ce jeune âge et pas franchement froid aux yeux, ce qui n'est pas surprenant quand on vit dans la rue et qu'il faut gagner sa croûte.
Mais là, changement de décor complet. Le Gantulga que l'on retrouve dans "les temps sauvages" est redevenu un gamin comme les autres. Il faut dire aussi qu'il est dans une situation bien délicate, dont nous ne parlerons pas ici, mais l'enfant insolent a perdu de sa superbe. Et, lui qui était déjà très attachant par sa faconde, en devient carrément touchant.
Face à l'évolution du pays, face à ce glissement redouté, les personnages récurrents de cette série évoluent également, et pas forcément pour le mieux. Je suis vraiment curieux de voir dans quel état sera Yeruldelgger en particulier, dans le troisième et dernier volume, annoncé pour l'automne prochain. Car il est au bord du précipice, mentalement chamboulé...
J'ai beaucoup parlé des personnages, c'est une bonne façon d'évoquer un polar sans trop plonger dans l'intrigue. Mais, il nous faut tout de même bien parler de certaines thématiques fortes qui transparaissent. Après la corruption dans la police et les ressources minières dans le premier volet, Ian Manook s'intéresse à d'autres aspects.
Et ouvre le dossier de l'armée, institution qui, durant les longues décennies de la dictature (la Mongolie a été le second pays, après la Révolution de 1917, à opter pour le soviétisme, et un des derniers à voir ce régime tomber), a été le pilier sur lequel le pays a reposé. Mais, avec le retour à la démocratie, l'armée devient quantité négligeable, en tout cas, perd sa position dominante...
Et puis, il y a désormais l'enjeu d'un pouvoir qu'on renouvelle régulièrement, alors qu'il a été si longtemps immuable. Là aussi, cela aiguise les convoitises, et sans doute pas toujours dans l'intérêt général du peuple mongol... Il y a quelque chose de pourri au royaume de Gengis Khan et les constats qui nourrissent la fiction de Ian Manook ne sont certainement pas totalement imaginaires.
Je n'ai pas développé un des ingrédients principaux de ce deuxième tome : l'hiver. Il est omniprésent, influe autant sur les décors que sur l'action, car les températures restent coincées autour de -30° en permanence, avec une neige abondante. A plus d'un titre, cet hiver si rude, qui alterne avec des belles saisons arides et caniculaires, est un des acteurs de premier plan de ce roman. Et cela produit aussi de bien belles images pour le lecteur.
A noter qu'un des grands points forts de "Yeruldelgger" était la Mongolie, ses paysages, sa terre, on voyageait à ses quatre coins ou presque et on en prenait plein les yeux. Pour "les temps sauvages", on croit qu'on va reprendre les mêmes et recommencer, mais ce n'est pas tout à fait ça. Oui, bien sûr, on retrouve la steppe mais aussi les majestueuses montagnes mongoles, mais des différences apparaissent vite.
Allez, sans trop en dire, évoquons cet aspect important du livre : l'intrigue va mener certains des personnages hors des frontières du pays et d'autres personnages qui ne sont pas Mongols vont également s'y retrouver impliqués. Je n'en dis pas plus, si ce n'est qu'on ne s'attend pas vraiment à l'un des voyages et que vous serez sans doute surpris comme moi je l'ai été.
Et la surprise ne s'arrête pas là : l'une de ces "délocalisations", si vous me permettez l'expression, repose en réalité sur deux véritables faits divers que Ian Manook a intégré à son intrigue, prouvant que ce pays qu'on imagine si lointain, si étranger à nos pays européens, a su créer des liens, bon, assez particuliers, j'en conviens, mais réels avec eux...
"Les temps sauvages" évoquent des sujets au coeur de nos préoccupations actuelles, des sujets qu'on retrouve dans de nombreux livres ces derniers temps parce que ces questions concernent chaque pays développé. Cet aspect réaliste donne d'ailleurs de la force à cette partie hors Mongolie en venant bousculer le lecteur français, tranquillement installé dans son canapé.
Il serait pourtant incorrect de présenter les polars de Ian Manook comme des livres visant au réalisme parfait, comme d'autres auteurs de thrillers le font actuellement. Dans ces enquêtes mongoles, on retrouve une tradition du polar à l'ancienne, qui ne se soucie pas forcément des questions de procédures ou de détails qui raviront les puristes.
Non, ce sont d'abord et avant tout des romans d'aventures, de la pure fiction qui parle pourtant du monde tel qu'il est. Dans ce deuxième tome, j'ai trouvé que l'auteur usait beaucoup de l'ellipse, laissant parfois certains événements dans l'ombre, parfois pour y revenir, parfois en les y oubliant. Le parcours de Yeruldelgger, en particulier, n'est pas continu. Il disparaît pour réapparaître ailleurs, et c'est très bien ainsi.
De même, peu importe si les événements et les rebondissements sont parfois un peu gros, le but, ce n'est pas de faire du Norek, par exemple, en Mongolie, mais bien de nous donner des émotions, de nous captiver par un grand spectacle. Certains lecteurs n'adhéreront peut-être pas forcément à cette façon de faire, en ce qui me concerne, j'adore ça, et j'attends la suite et la fin avec impatience.
Et l'on verra alors à quoi pourrait ressembler l'avenir bien couvert et incertain d'un Yeruldelgger devenu une vraie bombe à retardement, imprévisible et dangereux. Mais, au-delà du personnage lui-même, on verra aussi où se dirige tout un pays, la Mongolie, que le policier incarne presque comme une métaphore vivante (ne croyez pas que j'ai trouvé ça tout seul, c'est Ian Manook qui le dit !).
Et ainsi démentir le titre très sombre de ce billet...
Quelque part dans la steppe, à des centaines de kilomètres d'Oulan-Bator, Oyun doit faire face à une situation particulière : devant elle, une espèce de sculpture à la César, composé d'éléments qui étaient bien vivants avec d'être... compressés. A vue d'oeil, il y a un cavalier et sa monture, écrasés par un yack qui semble être... tombé du ciel.
Une enquête délicate s'annonce pour la jeune policière, qui peine à se remettre de ce qu'elle a vécu, un peu plus d'un an auparavant (je n'en dis pas plus si vous n'avez pas encore lu "Yeruldelgger"). Sur cette scène de crime, elle rencontre un soldat, chargé de surveiller le coin, un certain Gourian, en qui elle va trouver l'homme capable de lui redonner goût à la vie.
Dans le même temps, Yeruldelgger a lui aussi quitté la capitale pour se rendre au pied d'un des points culminants du pays, le Mont Otgontenger, dont le sommet se trouve à plus de 4000 mètres d'altitude. Accroché à la falaise, le corps d'un homme, en tout cas, c'est ce qu'il semble à travers les jumelles, pend, sans vie.
On est en plein hiver, et un hiver particulièrement rude, ce n'est donc sans doute pas un touriste qui passait par là, mais ni le policier, ni son guide, un professeur du nom d'Agop qui gère un musée dans le coin, ne sont capables de dire comment il a pu se retrouver là... Mais, avant de pouvoir arriver jusqu'à lui, il faudra attendre la belle saison ou recourir à un matériel dont ne dispose pas la police...
Mais, à son retour à son bureau, une autre mauvaise nouvelle attend Yeruldelgger : Colette, cette prostituée qui lui fut d'un réel secours dans son enquête précédente, a été assassinée. Et le service anti-corruption que le policier a lui-même mis en place semble détenir des preuves l'impliquant, lui, Yeruldelgger, dans ce meurtre...
Comme dans le premier volet, on entre directement dans le vif du sujet avec ces trois histoires, en apparence sans lien, qui vont mobiliser toute l'énergie et la perspicacité de Yeruldelgger et d'Oyun. En fait, surtout celles d'Oyun, car son chef va bientôt suivre une pente de plus en plus savonneuse, une descente aux enfers pour un personnage au bord de l'implosion.
Au point que, en pleine enquête, il va disparaître. Oh, ses collègues sont habitués à son caractère délicat, mais là, il y a de quoi s'inquiéter car Yeruldelgger est sur la corde raide. Eprouvé par ce qu'il a appris lors de sa précédente enquête, le flic intègre et pur, épris des traditions et de la culture de son cher pays, se lance dans une étrange vendetta où le dérapage n'est jamais très loin.
Yeruldelgger est une cocotte-minute sur le point d'exploser si on n'ouvre pas rapidement la soupape. Derrière l'image, un peu cliché, il y a surtout un homme près à tout, même aux pires agissements, même à mourir, pour obtenir les réponses qu'il veut. Des réponses qui, évidemment, on pour but de retrouver les véritables assassins de Colette, mais pas seulement...
Si vous avez découvert Yeruldelgger dans le roman qui porte son nom, vous serez frappé de ce changement qui s'opère en lui. Débonnaire et bienveillant, le voilà devenu impitoyable, violent, menaçant, n'ayant plus aucun état d'âme ni aucun scrupule à enfreindre les lois qu'il a pourtant défendues si farouchement jusque-là.
Il y a de la colère, chez Yeruldelgger, sans doute aussi du désespoir, de voir évoluer son pays dans un sens qui ne lui plaît pas : corruption, affairisme, luttes pour le pouvoir à la tête d'une démocratie encore bien fragile, mais aussi une culture que les nouvelles générations délaissent, attirées par les sirènes occidentales...
Le matérialisme sous toutes ses formes menace sérieusement ces coutumes millénaires, pleines de spiritualités, mais aussi de respect pour l'homme comme pour la nature. La Mongolie sort de son isolement pour devenir un enjeu attirant des vautours de l'intérieur et de l'extérieur du pays et, dans le même temps, les forces vives, la jeunesse mongole, ne rêve que de partir sous d'autres cieux...
Et puis, on s'en prend aux siens, à ses proches, car, sous ses airs bourrus qui ne sont que pudeur, en fait, Yeruldelgger est un grand affectif. Alors, quand Yeruldgelgger fâché, lui toujours faire ainsi. Et ça barde pour qui se met en travers de son chemin. Il n'a plus rien à perdre et n'hésite pas à éliminer les obstacles qu'il rencontrera, y compris par la manière forte...
Yeruldelgger n'est pas le seul personnage à apparaître sous un jour sensiblement différent de l'image que l'on avait à la lecture du premier livre. Je pense bien sûr à Oyun, qui n'est plus la jeune policière un peu naïve. Il faut dire qu'elle a durement payé son implication dans l'affaire précédent. Une survie presque miraculeuse et des cicatrices mentales qui guérissent bien moins vite que celles qui s'étalent sur son corps.
Oyun s'est endurcie, c'est une évidence, et plus que jamais, elle prend à coeur sa mission de flic. D'une certaine façon, elle suit l'exemple que Yeruldelgger lui a toujours donné, en termes d'honneurs, d'intégrité, de soif de justice et de vérité. Et elle est la première frustrée et déçue de voir comment son chef tourne, de le voir filer un mauvais coton.
On l'imagine assez frêle, Oyun, mais avec un sacré caractère, qu'elle déploie tout au long de ce roman, pour tenir tête à tout le monde, à commencer par Yeruldelgger, à qui elle dirait volontiers ses quatre vérités, histoires de lui remettre les pieds sur terre... Et puis, de tous ceux qu'elle va rencontrer au cours de son enquête, dans laquelle elle fonce tête baissée... Ce qui n'est pas toujours la meilleure manière de faire.
Et puis, il y a Gourian, évoqué au début. De l'amour ? Sans doute pas, la relation est essentiellement sexuelle, mais le feu de cette passion très soudaine, lui redonne doucement une raison de vivre, un moyen de se reconstruire. Sans pour autant atténuer la colère qui couve toujours après tout ce qu'elle à traverser. Oyun est une dure à cuire, de l'acier trempé à la place du coeur et une réelle autorité naturelle...
Enfin, troisième personnage, qu'on retrouve plus tard dans ce deuxième tome et qui n'est plus du tout le même, c'est Gantulga. Gamin des rues, vivant dans les égouts, lorsqu'on l'a rencontré, il agissait comme un véritable gavroche d'Oulan-Bator. La langue bien pendue, l'espièglerie au coin de l'oeil, du courage, de la fidélité et un énorme besoin d'affection, sans doute.
Gantulga a pris une part active dans la résolution de l'enquête du premier volume, prenant bien des risques pour aider Yeruldelgger et Oyun. Un gamin, rien qu'un gamin, avec l'inconscience de ce jeune âge et pas franchement froid aux yeux, ce qui n'est pas surprenant quand on vit dans la rue et qu'il faut gagner sa croûte.
Mais là, changement de décor complet. Le Gantulga que l'on retrouve dans "les temps sauvages" est redevenu un gamin comme les autres. Il faut dire aussi qu'il est dans une situation bien délicate, dont nous ne parlerons pas ici, mais l'enfant insolent a perdu de sa superbe. Et, lui qui était déjà très attachant par sa faconde, en devient carrément touchant.
Face à l'évolution du pays, face à ce glissement redouté, les personnages récurrents de cette série évoluent également, et pas forcément pour le mieux. Je suis vraiment curieux de voir dans quel état sera Yeruldelgger en particulier, dans le troisième et dernier volume, annoncé pour l'automne prochain. Car il est au bord du précipice, mentalement chamboulé...
J'ai beaucoup parlé des personnages, c'est une bonne façon d'évoquer un polar sans trop plonger dans l'intrigue. Mais, il nous faut tout de même bien parler de certaines thématiques fortes qui transparaissent. Après la corruption dans la police et les ressources minières dans le premier volet, Ian Manook s'intéresse à d'autres aspects.
Et ouvre le dossier de l'armée, institution qui, durant les longues décennies de la dictature (la Mongolie a été le second pays, après la Révolution de 1917, à opter pour le soviétisme, et un des derniers à voir ce régime tomber), a été le pilier sur lequel le pays a reposé. Mais, avec le retour à la démocratie, l'armée devient quantité négligeable, en tout cas, perd sa position dominante...
Et puis, il y a désormais l'enjeu d'un pouvoir qu'on renouvelle régulièrement, alors qu'il a été si longtemps immuable. Là aussi, cela aiguise les convoitises, et sans doute pas toujours dans l'intérêt général du peuple mongol... Il y a quelque chose de pourri au royaume de Gengis Khan et les constats qui nourrissent la fiction de Ian Manook ne sont certainement pas totalement imaginaires.
Je n'ai pas développé un des ingrédients principaux de ce deuxième tome : l'hiver. Il est omniprésent, influe autant sur les décors que sur l'action, car les températures restent coincées autour de -30° en permanence, avec une neige abondante. A plus d'un titre, cet hiver si rude, qui alterne avec des belles saisons arides et caniculaires, est un des acteurs de premier plan de ce roman. Et cela produit aussi de bien belles images pour le lecteur.
A noter qu'un des grands points forts de "Yeruldelgger" était la Mongolie, ses paysages, sa terre, on voyageait à ses quatre coins ou presque et on en prenait plein les yeux. Pour "les temps sauvages", on croit qu'on va reprendre les mêmes et recommencer, mais ce n'est pas tout à fait ça. Oui, bien sûr, on retrouve la steppe mais aussi les majestueuses montagnes mongoles, mais des différences apparaissent vite.
Allez, sans trop en dire, évoquons cet aspect important du livre : l'intrigue va mener certains des personnages hors des frontières du pays et d'autres personnages qui ne sont pas Mongols vont également s'y retrouver impliqués. Je n'en dis pas plus, si ce n'est qu'on ne s'attend pas vraiment à l'un des voyages et que vous serez sans doute surpris comme moi je l'ai été.
Et la surprise ne s'arrête pas là : l'une de ces "délocalisations", si vous me permettez l'expression, repose en réalité sur deux véritables faits divers que Ian Manook a intégré à son intrigue, prouvant que ce pays qu'on imagine si lointain, si étranger à nos pays européens, a su créer des liens, bon, assez particuliers, j'en conviens, mais réels avec eux...
"Les temps sauvages" évoquent des sujets au coeur de nos préoccupations actuelles, des sujets qu'on retrouve dans de nombreux livres ces derniers temps parce que ces questions concernent chaque pays développé. Cet aspect réaliste donne d'ailleurs de la force à cette partie hors Mongolie en venant bousculer le lecteur français, tranquillement installé dans son canapé.
Il serait pourtant incorrect de présenter les polars de Ian Manook comme des livres visant au réalisme parfait, comme d'autres auteurs de thrillers le font actuellement. Dans ces enquêtes mongoles, on retrouve une tradition du polar à l'ancienne, qui ne se soucie pas forcément des questions de procédures ou de détails qui raviront les puristes.
Non, ce sont d'abord et avant tout des romans d'aventures, de la pure fiction qui parle pourtant du monde tel qu'il est. Dans ce deuxième tome, j'ai trouvé que l'auteur usait beaucoup de l'ellipse, laissant parfois certains événements dans l'ombre, parfois pour y revenir, parfois en les y oubliant. Le parcours de Yeruldelgger, en particulier, n'est pas continu. Il disparaît pour réapparaître ailleurs, et c'est très bien ainsi.
De même, peu importe si les événements et les rebondissements sont parfois un peu gros, le but, ce n'est pas de faire du Norek, par exemple, en Mongolie, mais bien de nous donner des émotions, de nous captiver par un grand spectacle. Certains lecteurs n'adhéreront peut-être pas forcément à cette façon de faire, en ce qui me concerne, j'adore ça, et j'attends la suite et la fin avec impatience.
Et l'on verra alors à quoi pourrait ressembler l'avenir bien couvert et incertain d'un Yeruldelgger devenu une vraie bombe à retardement, imprévisible et dangereux. Mais, au-delà du personnage lui-même, on verra aussi où se dirige tout un pays, la Mongolie, que le policier incarne presque comme une métaphore vivante (ne croyez pas que j'ai trouvé ça tout seul, c'est Ian Manook qui le dit !).
Et ainsi démentir le titre très sombre de ce billet...