"Notre pouvoir isole (...) La voie des oracles est un chemin solitaire".

Par Christophe
ATTENTION, CE BILLET EST CONSACRE AU TROISIEME TOME D'UNE TRILOGIE.
Le billet sur le premier tome.
Le billet sur le deuxième tome.
Attention, exercice de style. Pour l'auteur... mais aussi pour le blogueur, parce que notre livre du soir va en surprendre plus d'un. Imaginez : vous terminez le deuxième tome d'une trilogie, le cliffhanger vous laisse sur les nerfs, vous devez patienter jusqu'à la sortie du troisième tome, le voilà, vous sautez dessus et... Et plus rien n'est à sa place ! Voilà ce que vous propose Estelle Faye avec l'ultime volet de sa trilogie "la Voie des Oracles" qui vient de sortir aux éditions Scrinéo. Ce troisième tome s'appelle "Aylus" et il ouvre un nouveau champ des possibles... La fantasy historique des deux premiers tiers de la série voit soudain débarquer... d'autres éléments qu'on n'attendait pas croiser là. Soyez prévenus, on va tout faire pour éviter les spoilers, mais si vous attendez cette dernière partie, que vous avez le livre en main mais que vous ne l'avez pas encore attaqué, patientez peut-être avant de lire ce billet, car je ne garantis rien...

Enoch a disparu. Un beau jour, au réveil, il n'était plus là. Parti, envolé ! Au grand dam de Thya et d'Aylus, désemparés. A-t-il été enlevé ou a-t-il décidé de les quitter pour une raison qui leur échappe ? La jeune oracle et son oncle vont essayer de retrouver sa trace grâce à leurs pouvoirs divinatoires. A l'issue de cette séance, la jeune femme décide de se lancer à sa poursuite, seule.
Pourquoi cette décision ? Pourquoi cette précipitation ? Si Thya prend la route aussitôt, c'est sous l'influence d'une autre oracle, plus expérimentée qu'elle, qui lui ordonne presque de retrouver son ami et d'entreprendre ce voyage sans y mêler Aylus. Cette femme, on l'appelle l'Oracle Brûlée et cela fait des années que Thya ne l'avait plus vue. Et voilà qu'à peine revenue, elle pousse Thya à partir.
Mais partir où ? Dans sa vision, Thya a vu Enoch, elle a même échangé quelques mots avec lui, mais elle n'a obtenu que bien peu d'indices pour retrouver le jeune homme. Il lui a surtout parlé de ses parents, d'Heledd, la Prêtresse node, mais aussi de son père. Pourrait-il être parti à leur recherche ? Enfin, un autre indice, c'est l'océan...
Un voyage plein de dangers se profile pour la jeune oracle, dont les intentions ne sont pas du goût de tout le monde. Aylus, lui, a d'autres soucis en tête, mais certains dieux voient d'un mauvais oeil l'épopée naissante de l'oracle. Car les enjeux de cette histoire, dont Thya ignore encore tout, sont énormes et pourrait remettre bien des choses en question.
Pendant ce temps-là, Aedon complote. Le frère de Thya cherche encore et toujours à devenir imperator à la place de l'imperator... Ou quelque chose dans le même genre. Son ambition se nourrit toujours d'une forte rancoeur et il fraye avec d'autres conspirateurs, avant de mettre sur pied un nouveau plan qui le mènera, il en est certain, au succès.
Vous le constatez, je reste assez vague sur les événements qui se déroulent au début de ce troisième tome. En particulier sur le contexte. Et c'est normal : figurez-vous qu'on est dans un décor qui ne ressemble en rien à celui qu'on a laissé à la fin du deuxième livre. Même les personnages n'occupent pas les mêmes positions... Mais que se passe-t-il donc ?
Je viens d'aller jeter un oeil au site des éditions Scrinéo, avec une quatrième de couverture et je me rends compte que j'ai choisi la politique inverse... L'éditeur a opté pour laisser les faits dans l'ombre et tout centrer sur le contexte général de ce troisième tome. Amusant, les points de vue... Un conseil, évitez cette quatrième de couverture avant lecture, si vous voulez vous ménager quelques surprises...
Et, lorsqu'on plonge dans ce troisième volet, il faut évidemment un moment pour s'habituer à ces nouveautés, pour retrouver ses repères. On croyait, en ouvrant le livre, s'embarquer dans un monde connu, on se retrouve en Terra Incognita ! Voilà la première des surprises que contient ce dernier tome. Et il y en a un certain nombre à venir...
Ne croyez pas pour autant qu'on ne retrouve pas ce qu'on a appris des uns et des autres dans les deux précédents ouvrages. Bien sûr, même si tout est comme vu à travers un prisme un peu déformant, les aventures de Thya et Enoch sont bien là. Diffuses, floues... Et, évidemment, il va falloir comprendre ce qui a pu se passer entre les dernières pages du tome 2 et ce début de tome 3 sens dessus dessous.
Dans ce jeu de cartes comme rebattu et redistribué, l'Oracle Brûlée, personnage qu'on découvre, tient évidemment une place importante. L'allusion aux jeux de cartes n'est pas gratuite, car on se dit rapidement que c'est elle qui gère la donne. Elle qui tient les rênes de tout ça. Sans doute son don lui permet-il de voir plus loin que les autres. Mais jusqu'à quel point ? Que manigance-t-elle ?
Là encore, motus et bouche cousue, on n'ira pas plus loin dans ce domaine. Mais on tient là un personnage ambigu, ambivalent... Gentille ? Méchante ? Ce sempiternel vieux clivage ne colle pas vraiment à cette femme mystérieuse et respectée. Car son influence s'étend au-delà des conseils qu'elle prodigue à Thya dans le début du livre...
Encore une fois, comme dans les deux premiers tomes, on va voyager. Au fil de cette lecture, on découvre de nouveaux lieux, de nouveaux décors, de nouvelles créatures (pas toutes amicales, loin de là). Et la narration nous offre des situations simultanées, des théâtres d'opération différents à des milliers de kilomètres les uns des autres, les mailles d'une même toile d'araignée qui s'étend largement.
Pour le reste, on retrouve, mais je le répète, dans une distribution différente, les problématiques posées depuis le début : nous sommes au Ve siècle après Jésus-Christ, dans cette Antiquité finissante qui devrait prochainement laisser la place au Moyen-Âge. Ces questions politiques, ces ambitions, mais aussi les luttes d'influence entre politique et religion et leurs conséquences sur toute une civilisation.
Pourtant, une nouvelle fois, certains détails ne collent pas tout à fait... En plus des différences de premier plan qu'on remarque tout de suite, mais qu'on pourrait peut-être expliquer chronologiquement, d'autres indices en arrière-plan apparaissent furtivement, laissant penser que... Tenez, par exemple, on croise Augustin d'Hippone et il ne ressemble pas vraiment au saint que nous connaissons...
Alors, se pourrait-il qu'on soit dans une uchronie ? Oups, désolé, à partir de maintenant, on touche à des questions sensibles. Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir de vous faire spoiler. Même si j'abhorre ce mot et cette idée, même si j'aime parler des livres en profondeur, là, je peux comprendre que certains d'entre vous s'arrêtent là...
Reprenons. Se pourrait-il que l'on soit dans une uchronie, disais-je ? Il semble bien... Estelle Faye aurait donc, subrepticement, insolemment, inoculé dans sa fantasy des éléments de science-fiction ? Cette dimension-là, que je ne vais pas développer, puisqu'elle est évidemment au coeur de l'intrigue, offre des aspects très intéressants...
Et par exemple, l'arrivée en force de divinités qu'on ne s'attendait pas forcément à croiser. Les deux premiers volets reposaient en grande partie sur la montée du catholicisme qui allait, en imposant le monothéisme, renverser les anciens dieux, les anciennes idoles et même balayer les classiques bestiaires du merveilleux, toutes ces créatures qui cohabitaient jusque-là avec l'Homme.
Ce troisième tome offre un nouveau point de vue, et cela suscite de nouveaux enjeux, mais aussi de nouvelles dissensions parfois étonnantes, et des alliances inédites. Thya est dans l'oeil du cyclone, on retrouve sa position particulière, centre de toutes les attentions malgré elle et sans vraiment en avoir conscience. Mais, dans quel but ?
Oui, il n'y a pas que de la fantasy, dans ce tome 3. Il y a aussi de la SF. Un soupçon de Philip K. Dick, qui, je dois le dire, m'a beaucoup plus car il vient là encore bouleverser toute notre perception des deux premiers tomes. Et puis, quelque chose qui pourrait rappeler ce que l'on voit dans la série de J.J. Abrams et consorts, "Fringe".
Je ne veux évidemment pas entrer trop dans le détail de ce que j'avance, car cela soulèverait trop le voile. Mais, cette idée autour de la série avec Anna Torv et Joshua Jackson est encore renforcée par un choix, le plus évident, le plus voyant : cette couverture noire qui tranche on ne peut plus radicalement avec celles, blanches, des deux premiers volets.
Cette impression s'est imposée peu à peu et puis, j'ai commencé à voir flotter au-dessus de tout ça l'image de John Noble dans la série. Ne me prenez pas à la lettre, je vous induirai en erreur, mon cerveau est parfois aussi difficile à cerner que... Estelle Faye écrivant le troisième tome d'une trilogie n'ayant presque plus rien à voir avec les deux premiers.
Allez, il est temps de cesser ces élucubrations, car j'ai un peu l'impression de parler en code... L'accouchement de ce billet a été difficile, croyez-moi, j'ai jonglé avec les idées du livre, les miennes, ce qu'il faut taire, ce dont on peut parler, mais pas trop non plus, etc. Avec, toujours en tête, d'essayer de rester fidèle à l'esprit du livre.
Une fois passée la surprise de ce contexte spécial, on se retrouve embarqué dans le même genre d'aventure que dans les deux premiers livres. Le merveilleux, j'utilise ce terme générique, teinté, dans notre vocabulaire contemporain, d'une nuance très positive, alors que ce n'est pas toujours le cas. Quant à la magie, elle est bien présente, utilisée elle aussi avec quelques différences.
Estelle Faye fait vibrer de nouvelles cordes, auxquelles on ne s'attend pas, brise les parois entre genres pour les entremêler et cela fonctionne. Quant au dénouement, ah... Il recèle lui aussi son lot de surprises... Une fin plutôt ouverte, qui joue avec l'Histoire et les histoires particulières des personnages. Mais chut ! A vous de jouer, maintenant...