(C’est avec joie que nous accueillons un nouveau collaborateur, Monsieur Jeannoël Chouinard. AG)
Seule — son lit. Trois millions de chats multicolores montaient sur elle, l’escaladaient, qui se souvenait de tous leurs noms : Mistigri, Canouche, Xavier, Clairembart, Chachoutonne, Rocamadour, Antenne 2, Vaclav Havel… et tant et tant et tant. Pupilles bleues, oreilles noires, dos tachetés, un froufroutement, un chatouillis de vibrisses la pénétraient partout, hallucinaient son nombril, ses plantes. Des angoras espagnols, des ras argentés la frôlaient, la renversaient, l’alléchaient. Son esprit, dans son monde, chatoya !
Miaulements chuchotés, ronronnements imparables… Elle se lécha les mains, les deux gauches, les deux droites, et se toiletta, âme et conscience. Les oreilles d’abord, long, long, les oreilles. Tournoya dans sa tête un reflet de pensées, de lunatiques soleils d’automne, un frimas blanchissait les rives de la baie. La mort, si douce et si violente, murmurait dans ses veines et pulsait hors d’elle cette odeur d’humains qui la troublait. Des ombres de mots lâches tentaient de l’agripper. Elle se secoua d’un coup de patte, d’un mouvement d’épaules, pour houspiller ce fugace souvenir et se lécha à nouveau les mains, les gauches, les droites.
Le mufle, la tête, le cou, long tout cela. La multitude de chats reflua et la recouvrit à nouveau. Six millions et un chat, Cosahaque, effleurèrent son cou frémissant, elle s’alanguit. Elle feula doucement et s’étira un siècle, la lumière froide de février s’émiettait sur les blancs, les gris, les bleus, les noirs et les jaunes des échines molles qui caillaient d’engourdissement autour d’elle. Seule — mais neuf millions de chats, vivotant, elle vivifia sa vie et se vilipenda de ne pas vitrioler, ou vaporiser, son vicieux vociférateur. La douceur des fourrures, les iris verts la poussèrent aux ravins de la sérénité, vertige ! Dix mille bûches rougeoyantes glaçaient l’antique salon, mais des chats, des chats, des chats !
Sous l’étang glauque, douze millions de chatons en tutus se disputaient un casse-noisettes bouffant et collectionnaient les larmes de lapis-lazuli qui salaient ses yeux. Elle eut l’intuition d’aspérités jouant sur sa langue, doucement lécha encore, lécha ses jambes et pris sa décision, du moins le voulait-elle ? Pouvait crouler un système dément, pouvait crouler une enfance tenace, obligation lui échoyait de continuer ou de se transmuer.
Des queues fouettaient le vide, des griffes se rétractaient, on câlinait, des myriades d’yeux jaunes s’abattirent sur elle, elle s’abandonna.
Endormie sous quinze millions de matous dodus et confortables, elle se laissa toiletter et, par le chas ! elle vit ! Le silence des vibrisses ! Un soupir de Raminagrogros !! Des chuchotis chocolatés !!!
Alors, prisonnière du rêve ou de la réalité, ronronnante, des souvenirs de souris exécutant des entrechats compliqués sur un étang gelé, Catherine disparut — qui sait ? — dans un océan de Chartreux, de Manx, d’Abyssins, de Bleus russe, de Siamois, de Persans, de…
Notice biographique…
Né un 14 décembre, je suis donc un Sagittaire, ascendant Capricorne. Et Dragon selon l’astrologie chinoise, qui plus est. J’ai passé ma vie adulte dans l’enseignement du français au secondaire et suis enfin retraité depuis 2011. J’écris de la poésie depuis 1999 après avoir sévi dans la littérature de l’absurde, du fantastique et de la science-fiction alors que j’apprenais à écrire. J’ai donc délaissé la prose fictionnelle pour la poésie et j’ai publié le recueil La Réalisatrice et ses bernaches aux Éditions Trois-Pistoles en 2004. J’ai plusieurs autres recueils à mon actif dont vous trouverez les titres — et que vous pouvez lire — sur mon microsite du site lePhare de l’UNEQ.