L’auteur, humain, trop humain, par Clémence Tombereau…

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(Vanité de Damien Hirst)

Il est communément admis que l’auteur est, comme l’erreur, humain – on peut mettre en doute cette part d’humanité chez pas mal de personnes, mais ne commençons pas à tout questionner.

Cette qualité intrinsèque et cultivée par ses soins fait qu’il se sent capable, selon son talent, d’habiller avec des mots des pensées, des sentiments, des sensations, des âges de la vie. Il leur confectionne à tous un costume sur mesure, dans des matières nobles et néanmoins résistantes ; il taille, coud, découpe, brode, teint, crée parfois des patchworks pour que ces choses-là, plus subtiles que des corps, puissent s’engouffrer sans peine dans des robes fourreaux, des costumes trois-pièces.

La tristesse dans une robe dos nu.

Le naufrage du temps dans un costard cravate.

La joie en mini-jupe.

L’amour emmitouflé dans des lainages imperméables (il ne tient pas au lyrisme). Quant aux angoisses, il aime à les laisser à moitié nues, seulement enroulées dans de la soie. Qu’on puisse voir leur peau, sentir leur parfum aigre-doux, et deviner en transparence les drôles de courbes de leur drôle de corps.
La vue et le toucher sont alors convoqués. Sous les doigts, le mot peut être doux, rêche, glissant ou irritant – le champ des possibles est alors aussi vaste que le nombre de tissus répertoriés à ce jour. Pour ce qui relève de l’humain, les sens sont relativement faciles à convoquer par les mots.
Le drame essentiel de l’auteur réside justement dans cet état : il n’est qu’humain. Il ne sera jamais ciel, mur, arbre ou nuage. Il doit lutter de toutes ses forces pour glisser sous la peau de l’azur, pour se figer comme une brique, pour sentir en lui la sève d’un arbre qui est tout, sauf du sang, pour frôler l’immatérialité des nuées – et en tomber.

Dans ces cas précis, son humanité le dessert diablement. Il n’a plus qu’à s’en extirper, se défenestrer de l’humain.

Devenir brique, branche, cumulus.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge chat qui louche maykan alain gagnonDéclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)