Ce petit livre à la couverture rose poudré surranée me vient de ma mère. je l’ai toujours vu trainer dans notre bibliothèque (le meuble, pas la pièce, hein! Je rêve toujours d’une bibliothèque comme dans la Belle et la Bête!). On a déménagé plusieurs fois, et le hasard a fait atterrir ce joli volume chez ma soeur. En visite chez elle, j’emporte donc La Princesse de Clèves dans ma valise et le lis d’une traite à mon retour.
Résumé: Madamoiselle de Chartre est un très beau parti à la cour de France. elle fait tourner bien des têtes, mais c’est le Prince de Clèves qui remporte la main de la belle. cependant il se plaint que la passion qu’il éprouve pour sa femme ne soit pas réciproque, bien que cette dernière soit en tout point une épouse parfaite. Jusqu’au jour où la passion fait irruption dans la vie de la Princesse…
Les couvertures:
La plupart des illustrations montrent le portrait de « la princesse », qui est donc une très belle jeune femme de la noblesse française.
Il y en a des plus modernes, surement pour rendre ce texte très classique un peu plus alléchant pour la jeunesse. Il n’y en n’a qu’une qui me laisse perplexe, c’est celle avec la grenade et la cersise. Mon coeur balance entre un truc sexuel et le sourire du Cheshire Cat de Alice au Pays des Merveilles. Les autres, j’aime bien, surtout celle de la cage dorée, différente mais qui colle tellement à l’espirt du texte. Et ma préférée, c’est la violette, tellement vintage!
Résumé: Melle de Chartre est en âge de se marier. Sa mère, Mme de Chartre, la conduit donc à Paris, à la cour, afin qu’elle puisse y trouver un prétendant. Mais elle la met en garde: la cour est pleine de jeunes gens qui ne pensent qu’à badiner, et elle doit se garder de s’engager dans une relation hors mariage. Ayant été élevée dans la vertu, Melle de Chartre ne conçoit de toute façon pas de pouvoir vivre de cette manière.
En arrivant à Paris, cette très belle jeune demoiselle rencontre chez un joailler le Prince de Clèves, un courtisant. Ebloui par la beauté de la demoiselle, il conte à tous sa rencontre avec cette parfaite créature. On ne le croit pas, car s’il était vrai qu’une demoiselle aussi belle soit à Paris, elle serait certainement à la cour… Ah, mais justement, la voilà qui fait son entrée, accompagnée (chaperonnée) par sa maman.
La Princesse et le Prince de Clèves
Les hommes tombent sous son charme et rivalisent pour entrer dans les bonnes faveurs de sa mère afin d’obtenir sa main. Après beaucoup de refus, finalement c’est le Prince de Clèves qui l’emporte. Mais il déchante bien vite: sa fiancée est très gentille avec lui, cordiale, charmante, mais il est évident qu’elle n’est pas amoureuse. Tandis que lui brûle d’amour pour elle… Il se dit que le temps arrangera les choses.
Ils se marient donc, et Mademoiselle de Chartres devient la Princesse de Clèves.
Cependant, un certain Monsieur de Nemours (qui rime fort bien avec « mamour »), qui était l’un des favoris de la cour bien avant que Mme de Clèves n’y vienne, et qui avait du quitter Paris pour aller conter fleurette à la reine d’Angleterre Elizabeth 1ère depuis la Flandre (la Belgique, donc), est de retour. Après avoir séduit la souveraine anglaise par sa prose, il se voit invité à traverser la Manche pour aller la rencontrer. Il lui faut donc une nouvelle garde-robe, etc… et quoi de mieux que Paris en terme de mode (déjà à l’époque, voyez-vous!)?
Mme de Clèves entend parler de ce Nemours qu’elle ne connait pas, et est bien curieuse. Il arrive lors d’un bal, et le roi, amusé de faire danse ensemble la plus belle femme et le plus bel homme de sa cour, jette Mme de Clèves dans les bras de Neymour sans plus de façon, lui ordonnant de danser.
Nemours et la princesse dansent
Bien sur son petit coeur vacille. Bien sur elle tombe amoureuse, mais elle lutte. Nemours est, lui aussi, conquis par la belle. Il fait tout pour se trouver là où elle va: chez la Reine, chez elle, au bal. Et lentement, il se désintéresse de son dessein premier, qui était quand même d’aller se faire épouser par la Reine Vierge!
Nemours pense que son amour est à sens unique, et la Princesse de Clèves aussi. Sa mère, à qui elle confiait jusque là tout, voit et comprend que sa fille s’embarque dans quelque chose de dangereux, et essaie de la dissuader de ne rien faire qui pourrait mal se terminer. Mais c’est de plus en plus difficile pour la jeune princesse.
Un jour qu’on lui peint son portrait, la princesse demande à ce que l’on amène un autre portrait d’elle, afin que le peintre y rectifie quelque chose. C’est un mini portrait. Après rectification, il est laissé sur un table. Nemours, qui est dans l’assistance, le vole. Mais Mme de Clèves le voit… Que faire? Elle préfère se taire.
A partir de ce moment-là, les deux protagonistes savent ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre: Mme de Clèves car elle a vu que M. de Nemours voulait son portrait, et ce dernier car il a vu qu’elle avait vu (vous me suivez?), mais qu’elle n’a rien dit.
Nemours, ce petit chenapand, vole un portrait de la Princesse
Cependant Mme de Clèves, la très vertueuse, fait tout pour s’éloigner de Nemours. Elle le fuit, se fait porter malade lors d’évènement où il doit être, ce genre de choses. Nemours, lui, s’acharne. Il fait tout pour se trouver sur le chemin de sa belle.
Mais la mère de Mme de Clèves se meurt. Elle fait promettre à sa fille de rester vertueuse et de fuir au possible la tentation.
Très secouée par le décès de sa mère, Mme de Clèves se réfugie à la campagne. Son mari la laisse faire son deuil, mais après quelques mois, il lui demande de reprendre la vie mondaine.
L’aveu
Nemours, toujours aussi amoureux, a dégoté l’adresse du petit chateau de campagne des de Clèves, et se ballade donc autour, en espérant y apercevoir sa belle. Il la trouve, en effet, en compagnie de son mari. Ils sont en train de discuter. Nemours se cache pour écouter.
Le Prince de Clèves, donc, presse sa femme de revenir à la cour et ne comprend pas ses réticences. C’est alors qu’elle lui fait une révélation: elle lui explique qu’elle est en danger car elle est tombée amoureuse de quelqu’un à la cour, et qu’elle veut rester son épouse vertueuse.
Pauvre M. de Clèves! Lui qui aime ardemment sa femme, et qui n’a toujours désiré qu’une chose, d’être aimé d’elle en retour… la voilà amoureuse d’un autre!
Nemours, quant à lui, se réjouit de cette révélation. C’est donc bien vrai, elle est amoureuse! Mais elle refuse de donner un nom. Son mari consent à la laisser à la campagne, loin de toute tentation, et s’en repars à Paris pour ses affaires.
Laissée seule, la Princesse se laisse aller à sa passion pour Nemours, admirant son portrait, portant ses couleurs. Ce dernier, qui espionne en secret sa dulcinée, y voit des marques de confirmation que c’est bien de lui dont elle est amoureuse.
La princesse a noué sur sa canne des rubans aux couleurs de Nemours
Nemours est sur un petit nuage. Il est tellement heureux qu’il raconte ce qui lui est arrivé, tout en prenant soin de dire que c’est « l’histoire d’un ami ». L’histoire en question, c’est qu’une femme vertueuse avoue à son mari les sentiments qu’elle a pour un autre. Bien sur ladite histoire arrive aux oreilles du Prince de Clèves. Il est horrifié. Il pense que sa femme a divulgué le secret et lui en veut. Elle-même pense que c’est son mari. Bref, tout ça n’est pas très beau, et le Prince de clèves tombe malade… et meurt.
Sa veuve éplorée s’en veut. Elle jure, plus que jamais, de se tenir à distance de la tentation. Nemours respecte, et la laisse tranquillement faire son deuil. Pourtant, il jubile. Maintenant que le Prince de Clèves est mort, sa veuve, après une période de deuil décente, peut se remarier… avec lui!
En deuil, la princesse demande à Nemours de la laisser tranquille
Il parle de ce projet à l’oncle de la Princesse, qui lui doit un service. Ce dernier, qui aime beaucoup Nemours, accepte d’appuyer sa demande en mariage auprès de sa nièce. Mais la Princesse de Clèves à la peau dure. Elle refuse.
En dépis de ses sentiments, elle se souvient des paroles de sa mère, qui lui disait d’être vertueuse, et s’en veut toujours de la mort de son mari. Pour se mettre à l’abris, elle entre au couvent… Où elle mourra, quelques années plus tard. Nemours l’attend quelques années, mais fini par se lasser et reprend sa vie.
Jean Rochefort et les Boloss des belles lettres en ont fait un résumé assez… efficace:
Mon avis: C’est un roman court qui se lit vite, dans lequel les émotions sont intenses. Seuls bémols: la langue, forcément désuette (donc un problème de forme), et les personnages très nombreux qui font un peu tourner la tête (un problème de fond, donc).
Pour ces deux « bémols », il y a une raison claire: Mme de Lafayette écrit dans le style de son époque, c’est à dire le 17è siècle, à propos de personnages fictifs mais aussi réels du siècle précédent, qui doivent être encore bien connus au moment où elle écrit.
Le foisonnement de personnages tient à la qualité même de la cour de France: il y a vraiment, vraiment beaucoup de monde! Pour nous y retrouver, nous a fait ce petit schéma:
Vous constaterez que dans mon résumé, je n’ai pas parlé du roi, ni de la reine, ni d’aucun courtisant autre que ceux qui sont en lien direct avec l’histoire d’amour de nous deux tourteraux. C’est tout simplement parce qu’ils font partie du décors, du contexte dans lequel ils évoluent. Et pourtant, ils sont cités tellement de fois!
Pour le style, j’ai eu un peu de mal avec la manière dont Mme de Lafayette se réfère à un personnage évoqué précédemment. Nous dirions « ce dernier », ou « celui-ci », par exemple. pour elle, c’est toujours « ce prince » ou « cette princesse », ce qui m’a un peu fait perdre pied, car je pensais qu’elle se référait à quelqu’un portant le titre de prince ou de princesse (alors qu’elle marque juste l’apartenance noble de ses personage de cette manière). Il y a aussi beaucouo d’histoire raportées, des histoires dans l’histoire s’il on veut. Cependant tout cela relève du style d’écriture en vougue à l’époque, je pense;
Voilà pour les points négatifs, tenant plus à l’époque de rédaction du texte qu’autre chose…
Passé outre, le roman m’a transportée. J’ai assistée, afligée, au mariage de Melle de Chartres avec le Prince de Clèves sans qu’elle ne puisse ressentir aucun émotion pour lui de plus que de l’amitié. Et à son éveil à l’amour, lorsqu’elle rencontre M. de Nemours.
Son combat obstiné pour être une bonne épouse, sa lutte contre ses sentiments, qui tournent bientôt à l’obsession. Sa volonté d’être vertueuse dans une société corrompue, dans laquelle tout le monde badine et libertine à coeur joie.
Son obstination, enfin, à ne pas épouser son amoureux, alors qu’elle est légalement libre, mais prisonière dans sa tête du souvenir de son mari qu’elle croit avoir tué de chagrin.
La scène la plus touchante du livre est bien sur celle pendant laquelle elle s’ouvre à son mari, comme à un ami, lui confiant ses sentiments pour un autre que lui. La torture que cela représente, pour ce mari bafoué dans ses sentiments mais jamais dans les actes.
Il serait tellement plus facile de détester une épouse qui l’aurait trompé jusqu’au bout! Mais celle-ci lui demande de la sauver des sentiments dans lesquels elle s’embourbe. Comment réagir à cet aveux candide? Comment concilier le dégout et la tendresse simultanés que lui inspire sa femme?
La transformation de Nemours est aussi quelque chose: de collectionneur de conquêtes, il change radicalement lorsqu’il rencontre la Princesse de Clève, subjugué par sa beauté, et convaincu par sa vertu.
Mais il ne perd pas espoir, il se repait de chaque second passée en sa compagnie, et jamais ne la brusque. Il aurait peut-être dû, d’ailleurs, car finalement il la perd…Il traque Mme de Clèves jusqu’à la campagne, où, se croyant seule, elle donne libre cour à ses fantasmes, admirant le portrait de son aimé et se parant de ses couleurs.
La tension entre les deux protagonistes, qui semblent dès le départ faits l’un pour l’autre, tellement ils sont physiquement beaux, charmants et bien éduqués, monte crescendo. C’est insoutenable de les voir souffir, chacun de leur côté, alors que tout pourrait être si simple… Mais les conventions de l’époque et l’éducation rigide de la princesse ont le dernier mot. jamais elle ne se compromettra, elle l’a promis à sa maman.
La description de la cour du roi de France, dans laquelle tout le monde couche avec tout le monde, et tout le monde trahit tout le monde, vaut aussi son pesant d’or. Comme je l’ai dit, j’ai eu du mal à suivre qui était qui, mais on est régalé de récits de conquêtes amoureuses diverses et variées, de lettres compromettantes et autres joyeusetés.
Nemours revient à la cour de France, après plsuieurs mois en Flandres
Vraiment, j’ai été agréablement surprise par ce classique, je m’attendais à m’ennuyer et ce ne fut pas le cas.
Je n’ai pas aimé la chûte: M. de Nemours attend patiement Mme de Clèves, mais elle préfère se retirer dans un couvent et y mourir plutôt que de vivre son amour avec lui. En même temps, cette fin est logique, mais moi j’aime bien les happy endings😉
On peut d’ailleurs se demander si le couple aurait vraiment été heureux ensemble. Est-ce que la princesse n’aurait pas été dévorée par les remors et les souvenir de sa mère et de son premier mari? Etant donné son caractère droit et entier, cela ne m’étonnerait qu’à moitié.
En bref, un roman coup de coeur, qui m’a emportée dans le tourbillon de sentiments extrêmement forts.
L’auteure: Mme de Lafayette est née en 1634 à Paris. elle est demoiselle d’honneur de la reine Anne d’Autriche à 17 ans, et épouse M. de Lafayette à 21 ans. Ce dernier, âgé de dix-huit ans de plus que sa jeune épouse, est discret.
Mme de Lafayette ouvre son propre salon littéraire et se lie d’une amitié très forte avec La Rochefoucauld, qui l’introduit à la crème du milieu littéraire de l’époque (Racine, Boileau, etc…).
Elle publie Zaïde entre 1669 et 1670 sous un nom de plume, puis La Princesse de Clèves en 1678. ce fut un énorme succès, qui ne se dément toujours pas de nos jours.
La mort de son mari puis de La Rochefoucauld la font se retirer de la vie mondaine. Elle meurt en 1693 à l’âge de 59 ans.
Quelques avis d’auteurs sur Mme de Lafayette:
- « Mme de La Fayette est la femme qui écrit le mieux et qui a le plus d’esprit. » Boileau
- « Sa Princesse de Clèves et sa Zaïde furent les premiers romans où l’on vit les mœurs des honnêtes gens, et des aventures naturelles décrites avec grâce. Avant elle, on écrivait d’un style ampoulé des choses peu vraisemblables. » Voltaire , Le Siècle de Louis XIV (1751).
- « Sa simplicité réelle est dans sa conception de l’amour ; pour Mme de La Fayette, l’amour est un péril. C’est son postulat. Et ce qu’on sent dans tout son livre (la Princesse de Clèves) comme d’ailleurs dans la Princesse de Montpensier, ou La comtesse de Tende, a une constante méfiance envers l’amour (ce qui est le contraire de l’indifférence). » Camus , Carnets (1964).
- « Tout en elle nous attire, la rare distinction de son esprit, la ferme droiture de ses sentiments, et surtout, peut-être, ce que nous devinons au plus profond de son cœur : une souffrance cachée qui a été la source de son génie. » Morillot, Le Roman du XVIIe siècle.
Produits dérivés: Il y a eu un film, avec Jean Marais et Marina Vlady, dont sont tirées la plupart des illustrations de cet article. Je ne l’ai pas encore regardé.
Et une adaptation moderne qui se passe dans un lycée, La Belle Personne.
Enfin La Lettre, avec Chiara Mastroiani dans le rôle titre, sorti en 1999, et transposé à l’époque moderne.
Pour en finir avec les vidéos, je vous propose cette chouette explication de texte ici: https://www.youtube.com/watch?v=gOzi25ZkgFU
Controverse: Nicolas Sarkozy, alors président, a déclaré n’avoir pas pu finir le livre, soulevant un tollé (et faisant une pub monstre à l’oeuvre par la même occasion).