Sequana, ville impériale. Sequana, ville habitée par toutes les créatures que la féerie peut proposer. Et pourtant, une ville que l'Empereur Obéron III a décidé de totalement remodeler, quitte à en chasser ces turbulents citoyens. Pour cela, il a confié au baron Hoffmann la tâche de redessiner cette capitale et d'entreprendre d'immense travaux.
Et pendant que les projets urbanistiques se mettent en place petit à petit, Charles Beauregard, lui, oeuvre dans l'ombre en faveur du peuple de Paris ainsi montré du doigt. Ingénieur-mage travaillant pour le Ministère des Affaires Etranges, l'homme, âge d'une vingtaine d'années à peine, mène des enquêtes délicates dans Sequana tout en offrant asile chez lui à certaines créatures.
Il vit dans une grande maison, sise sur le Mont-Rouge, tout au nord de Sequana, avec, à ses côtés, Maître Albert, érudit aux origines fort lointaine et administrateur de l'hôtel Beauregard, Isis, la déesse égyptienne ou encore Condé, l'automate au langage grinçant, fidèle et efficace serviteur. Enfin, plus ou moins...
Mais, voilà que Beauregard se retrouve aux prises avec une succession d'événements inattendus et inquiétants (ou du moins intrigants). Tout commence par une rencontre intime dans un bordel qui tourne mal. Puis, l'ingénieur-mage, qui n'a jamais rêvé de sa vie, voit apparaître dans son sommeil le suicide de Labrunie, obscur poète mort quelques années plus tôt...
Ensuite, c'est une série d'agressions étranges, peut-être dues à une ambroisie frelatée que quelque personnage mal intentionné aurait pu mettre en circulation dans Sequana, et enfin, c'est l'enlèvement du Prince Udolphe, fils de l'Empereur Obéron III et de l'Impératrice Titania... C'est peu dire que Sequana est en ébullition et que la fête permanente frissonne de peur...
Et puis, il y a cette rencontre... Celle de Jeanne, une jeune fille que Beauregard a sauvé d'un puits dans lequel elle se trouvait. Jeanne, enfin, peut-être, parce qu'elle a tout oublié de son passé... Beauregard, qui se retrouve en elle, lui qui a également eu des débuts difficiles dans l'existence, la prend alors sous son aile, en tant qu'apprentie...
C'est ce curieux équipage qui va se lancer à la recherche des ravisseurs du Prince, une enquête qu'il va falloir mener dans l'urgence, un ultimatum de quatre jours seulement ayant été fixé... Dans l'intervalle, les membres de l'héritier du trône impérial seront envoyés à ses parents. Oui, il va falloir se montrer perspicace, et promptement, en plus...
Restons-en là de l'intrigue et intéressons-nous à ce livre pas ordinaire, plus roman de fantasy que véritablement un polar, mais avec une profusion de merveilleux et d'événements inattendus, de références diverses et variées et un humour pince-sans-rire tout à fait délicieux. C'est d'une grande richesse et je crois que chaque lecteur pourra y trouver des éléments qui lui plairont.
Il y a bien sûr un personnage fort, c'est Sequana elle-même. Je ne le dis pas au hasard, les dernières pages du roman devraient vous en convaincre définitivement. Sequana, devant son nom, on songe à la mythologie et à la nymphe vivant dans les sources de ce fleuve qui deviendra la Seine... Cette ville féerique, c'est bien un Paris revu et corrigé, revisité par toute la palette qu'offre la fantasy.
Et Hervé Jubert n'a pas choisi d'installer son personnage de Charles Beauregard n'importe quand. Là encore, vous l'aurez compris, sans doute, c'est assez clair : Sequana est un pastiche du Paris du Second Empire. Jubert joue d'ailleurs avec ce cadre historique particulier tout au long de son enquête, multipliant les clins d'oeil culturels, au milieux desquels quelques autres allusions se glissent.
Croyez-moi, rien que cet univers, fantastique, fascinant, bouillonnant, fou mais aussi violent, par moments, Dans ce décor absolument génial, parfaitement rendu et pourtant, sensiblement différent de notre bonne vieille capitale, le temps semble s'écouler à toute vitesse, tant il se passe de choses, tant on visite de lieux, de personnages, de manifestations...
On ne s'ennuie pas une seconde, parce qu'on n'en a pas le temps ! Beauregard est sans cesse en mouvement, obsédé par son enquête, habité par ses doutes et questionnements personnels, mais aussi faisant tout pour tenir sa place dans cette société impériale où l'on doit se montrer pour exister. Les pressions politiques, l'autoritarisme sournois du régime, le mécontentement des créatures... Tout cela rajoute du piquant à la situation.
Et quand je dis qu'il se passe toujours quelque chose, c'est parce que chaque scène, même la plus anodine, finit par révéler un événement bizarre, étrange, loufoque, drôle, et si ce n'est pas le cas, les nombreuses notes de bas de page, souvent de bonne taille, viennent remplir ce rôle, tout en apportant des informations sur l'univers dans lequel évoluent les personnages...
Imperceptiblement d'abord, puis de plus en plus au fil des pages, on se met à penser à Lewis Carroll. Sequana pourrait être la cousine du pays des merveilles d'Alice, avec le même côté foutraque et sans cesse surprenant, cet humour plein de finesse et une certaine poésie ambiante. Mais aussi, mine de rien, une atmosphère assez sombre, car les lumières et le brillant ne sont que le côté visible du décor.
Difficile de vous parler de Charles Beauregard. D'abord, parce qu'on le découvre dans ce livre et qu'il serait plus évident de parler de lui en fonction de son évolution au cours de ses deux enquêtes suivantes. Ensuite, parce qu'il y a peu de prises sur ce personnage pour pouvoir l'aborder... Pas parce qu'il est lisse, comme on pourrait le penser de prime abord.
Au contraire, ce personnage au nom à rallonge s'avère être surtout mystérieux, ce qu'on comprend au fur et à mesure que se déroule cette première enquête. Alors que les événements se précipite, que les indices s'accumulent et que l'urgence grandit, on découvre son côté tourmenté, sa personnalité introvertie et sombre, mais aussi des secrets qui le hantent, en particulier quant à ses origines.
Qui est vraiment Charles Hercule Bellisaire Beauregard ? Je ne saurais vous le dire, même si je le souhaitais, car à la fin de ce premier volet, on n'en sait pas beaucoup plus. On ne doute pas de son courage, de sa passion compulsive pour les créatures féeriques qui le pousse à les rassembler dans l'hôtel portant son nom, mais c'est tout.
C'est tout, pour le moment, car on ne peut s'empêcher de penser que ces questions qu'on se pose sur lui sont sans doute aussi un des enjeux de cette trilogie. Au coeur de cet empire contesté et contestable qui se met à dos le petit peuple de Sequana, c'est peut-être avant tout le sort de l'ingénieur-mage qui se joue dans une étrange quête initiatique...
"Magies secrètes" est un livre qu'on peut évidemment lire tel quel, premier degré, brut de décoffrage, en ne se posant aucune question et en profitant de l'univers qu'il propose et de la folie douce qui y règne. Mais, à mes yeux, ce serait vraiment dommage. Comme souvent avec ce genre de romans, il est impossible de capter toutes les références et les allusions, tant elles sont nombreuses.
Certaines, pourtant, sont aussi au coeur de l'intrigue et méritent que le lecteur fasse l'effort de les chercher. Parce que, sans repérer certaines de ces références (on peut évoquer le cas de Labrunie, par exemple, déjà cité, mais je ne peux pas aller plus loin sans en dire trop sur le dénouement), je crois qu'on perd beaucoup de la saveur de ce magnifique exercice littéraire.
La créativité d'Hervé Jubert est impressionnante, elle fait feu de tout bois et l'on imagine que la collaboration avec Xavier Mauméjean, éditeur originel du roman au Pré aux Clercs, a forcément été fructueuse, tant ces deux-là on des univers qui se font écho. Bien sûr, on a en main une trame de roman noir, mais on s'amuse follement tant aux facéties des personnages que de leur auteur, qu'on imagine s'éclatant à mettre en action tout ce petit monde.
Que ce genre de lecture fait du bien ! Non seulement, c'est riche, c'est original, brillant, épatant, mais en plus, c'est loin d'être sans fond, tout au contraire. On apprend des choses, on joue avec d'autres que l'on connaît parfois déjà, on s'amuse de cette narration prolifique et pleine de fantaisie... Vraiment, on sort de ce livre avec l'envie d'attaquer la suite et un sourire jusqu'aux oreilles !
Il faut dire que le livre s'achève en apothéose avec un guide touristique de Sequana, façon Pariscope qui m'a bien fait rire, tant Hervé Jubert a su capté les codes et les tics de ce type de publication. J'attends désormais l'édition Sequana du "Marmouset Futé", pour quelques autres adresses incontournables et pas trop chères...
A noter, pour finir, que "Magies secrètes" a reçu son Grand Prix de l'Imaginaire dans la catégorie jeunesse. Après lecture, j'ai été un peu surpris de ce choix. Non qu'il ne faille pas conseiller cette trilogie à de jeunes lecteurs, bien au contraire, mais parce que certaines références importantes m'ont semblé s'adresser plutôt à un public ayant un peu plus de bouteille (aïe, mes rhumatismes)...
La collection dans laquelle est paru ce roman à l'origine était clairement étiqueté "Young Adult", comme on dit, même si les textes qui y sont parus s'émancipaient vite des codes du genre, comme on a pu le voir avec "Coeurs de rouille", de Justine Niogret, par exemple, mais aussi avec ces "Magies secrètes". Bref, ne vous arrêtez pas à l'étiquette jeunesse, c'est de la très, très belle ouvrage qu'on a là.
Et il est fort probable que je revienne à Sequana passer quelques jours de vacances et de lecture dans cet univers pas banal durant l'été qui arrive (ou qui va bien finir par arriver, croisons les doigts). Non seulement pour goûter deux nouvelles fois au plaisir rare que cette première lecture m'a procuré, mais aussi pour mieux cerner Charles Hercule Bellisaire Beauregard, ingénieur-mage au service du Ministère des Affaires Etranges...