Des chauves-souris, des singes et des hommes, Paule Constant

Par Sara

J'ai entendu parler du dernier roman de Paule Constant lors de son passage dans La Grande Librairie, il y a déjà quelques semaines. Le topo était engageant, puisqu'il y est question des débuts de l'épidémie Ebola, au Congo.


Au Congo, sur les rives du fleuve Ebola, Olympe, sept ans, découvre dans la forêt un bébé chauve-souris. Elle rentre triomphante auprès des siens, jusqu'à ce que de jeunes garçons rentrent à leur tour en ramenant avec eux la dépouille d'un gorille, qu'ils disent avoir traqué et tué. La tribu entière les célèbre, se réjouit, et organise un festin.


Le roman de Paule Constant m'a conquise!

La plume est envoûtante : l'écriture est rythmée, équilibrée, on se prendrait à lire des passages à voix haute tant leur poésie sonne à l'oreille en lisant. A cet égard, le récit évoque par moment le conte, en particulier les chapitres consacrés à l'histoire d'Olympe.

En marge, l'histoire relatée d'Agrippine, Virgile et Thomas permet de donner au récit un autre visage, complémentaire à celui appréhendé à travers l'infortune qui frappe la tribu d'Olympe : c'est la vision des associations humanitaires et étrangères que l'on découvre alors, le jargon médical et scientifique qui vient nommer l'étrange malédiction.

Le récit progresse par alternance, et il est sans concession : dès que le nom du fleuve est connu, le lecteur voit poindre l'inéluctable tragédie, devinant qu'elle va frapper, s'interrogeant seulement sur ceux qui pourraient être épargnés, si tant est qu'il en soit.

Les nombreux personnages aux traits singuliers apportent du cachet au récit, à l'instar du Docteur Désir, figure de second plan atypique et presque cocasse, Olympe bien sûr, à laquelle on s'attache dès les tout premiers mots, petite fille solitaire qui rêverait de briller et d'être aimée, Agrippine, cette femme qui serait presque insaisissable, au parcours cabossé, brillante et distante avec certains de ses congénères.

Des chauves-souris, des singes et des hommes offre donc une excursion à la racine d'une tragédie de notre siècle, au croisement de cultures différentes incarnés par des protagonistes qui vivent sans le savoir les prémisses de la catastrophe. La prose sert merveilleusement ce projet très actuel, livrant un roman qui mêle subtilement la poésie et le macabre.


"Elle était arrivée comme tout le monde par avion. Elle était si habituée aux aéroports tropicaux qu'elle avait été moins surprise que d'autres par la brusque bouffée d'air chaud, comme un reflux qui repousse les passagers à la sortie de l'avion. [...]
Ensuite, comme partout, un taxi démantibulé, du bitume défoncé, des bidonvilles jusque sur la plage, presque dans la mer. Pas un pouce de libre, comme si au fil du temps les pays s'étaient vidés de leurs populations intérieures pour les agglomérer aux abords d'une mégalopole qui ne les digérait plus. Pas un arbre, comme si la vie de la terre, plus nécessaire sur ce continent qu'ailleurs, indissociable de traditions millénaires qui avaient besoin pour survivre de brousse, de forêt et de fleuve, avait été recouverte par un amoncellement de tôles rouillées et de plastique bleu traversé par un arroyo nauséabond, mort étouffé sous les déjections. Un égout à ciel ouvert, comme partout."