Morgane: la légende arthurienne dépoussiérée

Morgane

Morgane (Stéphane Fert – Simon Kansara – Editions Delcourt)

Fille unique du seigneur de Tintagel, Morgane est destinée à devenir reine de Bretagne. Tous les conseillers de son père le croient fou de vouloir confier le trône à une fille, mais celui-ci n’en a cure. Dès son plus jeune âge, il fait en sorte que la petite Morgane apprenne à manier les armes et à rendre justice. Son souhait est de faire de sa fille « la meilleure souveraine que Tintagel ait jamais connue ». Mais c’est sans compter sur Uther Pendragon, son ennemi juré. Aidé par la magie de Merlin, celui-ci parvient par la ruse à tuer le seigneur de Tintagel et à s’emparer de la couronne. Morgane s’enfuit alors dans la forêt, où elle est recueillie par… Merlin. Ce dernier sent en effet que la fille a un potentiel et décide de devenir son maître afin de lui transmettre son savoir. Si Morgane accepte, c’est uniquement parce qu’elle rêve toujours de devenir reine. Autant dire qu’elle est furibonde lorsque quelques années plus tard, son demi-frère Arthur surgit de nulle part, parvient à extraire l’épée Excalibur et est couronné roi de Bretagne. Morgane en est persuadée: c’est un mauvais coup signé Merlin, qui a forcément utilisé sa magie pour faire couronner Arthur à sa place. A partir de ce moment-là, elle bascule définitivement du côté obscur. Laissant libre cours à sa colère, la redoutable Morgane n’aura désormais de cesse de se venger à la fois de son ancien maître Merlin (qui en pince pourtant pour elle), de son demi-frère Arthur et de tous les hommes, dans une sorte de combat féministe avant la lettre. Même la mort ne l’arrête pas. Alors qu’Arthur croit avoir tué Morgane avec son invincible épée Excalibur, elle ressuscite pour revenir plus forte que jamais, sauvée une nouvelle fois par son meilleur ennemi: le sorcier Merlin…

Morgane (extrait)

Autant le dire tout de suite: cette nouvelle adaptation de la légende arthurienne n’a vraiment rien à voir avec « Merlin l’Enchanteur » des studios Disney ou même avec la plupart des autres versions des histoires des chevaliers de la Table ronde. Ici, on est dans du noir, du vrai, pas question de sentiments tièdes ou de magie de pacotille! Dans « Morgane », Stéphane Fert et Simon Kansara réussissent l’exploit de réinventer totalement les personnages d’Arthur, Merlin, Lancelot ou Guenièvre, dont ils n’hésitent pas à faire des êtres soit ridicules soit carrément machiavéliques. Mention spéciale au personnage très réussi de Morgane, à la personnalité ambiguë et sensuelle. Cruelle et sans pitié, elle est prête à tous les coups bas pour accéder au pouvoir. Ce qui ne l’empêche pas de révéler aussi un visage plus humain au fil du récit, notamment avec son fils Mordred. Elle n’hésite pas non plus à prendre la défense de « la princesse mariée au vieux roi, l’amante trompée, la fille abusée, ou encore la paysanne violée dans un fossé » face à des chevaliers de la Table ronde qui, dans cette histoire, ne sont en réalité que des brutes épaisses. Au-delà du scénario, qui parvient à nous surprendre malgré une histoire pourtant déjà archi-connue, la grande réussite de cette BD est surtout liée au traitement graphique signé Stéphane Fert. Faussement naïf, son dessin se révèle particulièrement expressif. Si on ajoute à cela des cadrages étonnants et des couleurs très réussies, on comprend pourquoi « Morgane » est l’un des romans graphiques les plus étonnants et les plus réussis de ce début d’année 2016. Chevaliers de la Table ronde, goûtons voir si le vin est bon? Oui, certainement! Dans ce cas-ci, on peut même parler d’un grand cru.