L’anévrisme, un récit de Denis Ramsay…

Juin 2001. Un vendredi, le premier du mois. La veille, j’avais reçu un appel positif pour un travail à la RAMQ. Le processus pour décrocher un emploi dans la fonction publique est un véritable parcours du combattant. J’avais réussi et je commençais lundi. En ce vendredi matin, il était prévu d’aller au Parc Régional avec ma compagne et son fils de cinq ans. Mon amoureuse m’appela vers 9 h, car j’avais promis… La journée paraissait très belle de leur point de vue, mais je ne pouvais honnêtement faire semblant que tout allait bien. Je me sentais très, très mal, horriblement mal. Je n’avais aucune autre priorité.

Un événement était survenu durant la nuit ou en me réveillant ce matin-là, mais je ne me sentais pas bien. Un mur ! Un mal de tête hallucinant. Un 12 sur 10 ! Je n’avais pas bu d’alcool depuis plus de dix ans, mais je me sentais comme un lendemain de cuite au niveau des intestins. Direction : la clinique médicale. Je me sentais mal. Un médecin m’examina et me diagnostiqua une gastro-entérite et me prescrivit un médicament. Mais son médicament soigna uniquement le système digestif. Pour le mal de tête, un détaillant en fines herbes me prescrivit deux gros joints de cannabis. Je me sentis à peine mieux. J’ai passé ma fin de semaine à me traîner de la chambre jusqu’à la cuisine pour les repas. J’ai regardé quelques heures de télé sans intérêt. Je n’arrivais pas à m’intéresser à quoi que ce soit. Lundi matin, nouveau boulot. Je m’y présentai avec un enthousiasme mesuré. J’étais fier et content de m’être trouvé un job payant, mais j’étais très malade. Je fis mon bon élève au cours de la formation, mais dès que la formatrice disait « pause », je m’étendais sur le bureau jusqu’à « On va recommencer maintenant », où je me relevais.

Ambulance

Le jeudi, nous sortions de notre petit local et nous allions sur le plancher, regarder par-dessus l’épaule d’un fonctionnaire confirmé. Des étourdissements attaquaient mon équilibre et je m’appuyais constamment en respirant profondément comme un dormeur. La formatrice s’en aperçut.

— Peut-être, Denis, si tu ne te sens pas bien, tu pourrais aller à l’hôpital.
— C’est ce que je vais faire.

Et je suis parti, mais plutôt que de me rendre directement à l’urgence la plus proche, je me suis rendu chez moi, me faire à souper et prendre ma douche. Une fois bien propre et rassasié, j’ai appelé le 911. Par quatre fois, j’ai dû appeler à la suite de holdups. Ce jeudi du début de juin 2001, mon urgence était bien plus grande.

— 911, bonjour ! Comment puis-je vous aider ?
— J’ai besoin d’une ambulance. Je ne me sens vraiment pas bien.
— Quel est votre problème, monsieur ?
— J’ai un mal de tête hallucinant ! Je me sens très faible. J’espère avoir la force de me rendre à la porte pour l’ouvrir. Ça va très mal !

Il fallait que le préposé au 911 comprenne que je ne demandais pas une ambulance pour un mal de tête ordinaire…

— Je comprends monsieur, je vous envoie une ambulance.
— Merci. Je vais ouvrir la porte.

Et je suis parti la déverrouiller. Toujours une bonne idée de déverrouiller la porte quand tu attends des secours. Le téléphone sonna.

— Oui, allo ?
— Bonjour ! ai-je entendu d’une voix pimpante de vendeuse de n’importe quoi qui ne veut que me harponner.

Et là, elle me demanda : « Vous allez bien ? »

— NON, répondis-je.
J’avais mis dans ce seul mot toute ma douleur, mon attente, mon stress, ma peur.
— Désolée de l’apprendre !
Et elle raccrocha !

Le temps de raccrocher moi-même et on frappa à la porte. Deux employés de Statistique Canada voulaient me questionner pour que je devienne une statistique.

— Désolé, mais je n’ai pas le temps. J’attends l’ambulance.

La face du plus proche individu changea pour devenir un visage décomposé par la douleur, la crainte et la sympathie pour ma personne. Son collègue et lui-même disparurent dans le couloir. Je refermai la porte (sans la barrer) et traînai ma carcasse jusqu’à la porte-fenêtre, pour voir arriver l’ambulance. Délais de trois minutes. L’ambulance arriva et je décidai de descendre d’un pas vif à sa rencontre. « Nul besoin de sortir la civière ; le client arrive à pied. » Direction Hôpital Pierre-Boucher. Première promenade en ambulance. Comme je l’avais remarqué dans les hôpitaux où j’ai travaillé, les ambulances étaient traitées en priorité. Je n’ai jamais changé de civière ; je suis resté sur la civière de l’ambulance. Il y avait aussi un stagiaire, un troisième personnage pour prendre soin de moi. Un radiologiste m’a passé un scan et a détecté une masse suspecte au cerveau.

Hôpital-Charles-Lemoyne

Deuxième promenade en ambulance. Transporté à Charles-Lemoyne, un peu plus vite que la première fois. Ils ne se rendaient plus sur un appel pour « mal de tête ». Ils avaient un premier résultat à défaut d’un diagnostic final. La situation était réellement grave. Le deuxième hôpital affina l’analyse et m’annonça que j’avais une rupture d’anévrisme au cerveau. Un jeune médecin m’aborda ainsi :

— Là, t’as : une chance sur trois de mourir tout d’un coup, une chance sur trois de tomber dans un coma profond et d’en ressortir avec des séquelles et une chance sur trois de t’en sortir intact.

— Je vais prendre la troisième ! ai-je répondu.

Comme si j’avais le moindre contrôle. Cette troisième possibilité devint le plan A. Il n’y eut jamais de plan B…

Le jeune médecin de l’urgence m’annonça une autre nouvelle tout aussi surprenante.

— Votre femme et votre mère sont arrivées.

Ma compagne s’était présentée comme ma femme. Avait-elle des projets pour moi ?
Ma mère, de son côté, avait deux anévrismes, un au cerveau et un au ventre, mais aucun ne s’était brisé. Un anévrisme est une faiblesse dans la paroi d’une artère. C’est comme une « balloune » dans une chambre à air de vélo. Ceux de ma mère résistaient, mais le mien avait explosé, badigeonnant de sang la matière grise à proximité.

— J’ai la même chose que toi au cerveau, mais le mien a pété.

Et pour arranger le tout, ma compagne avait eu très peur de perdre sa mère, deux ans auparavant, d’une rupture d’anévrisme, justement.

— Nous allons vous transférer à Notre-Dame. C’est là que nos profs opèrent. C’est les meilleurs.

Comme il y avait déjà trois personnes, à part moi, dans l’ambulance, il ne restait plus de place que pour une seule personne, en l’occurrence, ma mère. Celle qui s’était donné le titre de « ma femme » devait prendre le taxi et nous rejoindre. Troisième promenade en ambulance, toujours sur la même civière ! J’arrivai à l’Hôpital Notre-Dame. Je fus ausculté par un médecin de l’urgence. Il discuta avec les ambulanciers et lut le dossier laissé par ses prédécesseurs. Le patient avait besoin d’un neurologue et probablement, éventuellement, d’un neurochirurgien. Le patient, tout d’un coup, eut besoin de sommeil et je m’endormis. Je me réveillai pendant qu’un ange m’examinait. Pendant une seconde, j’ai réellement cru avoir trépassé et être en un lieu idyllique. L’ange qui me regardait était une jolie interne en neurologie, la Dre Édith Marcoux. Mais quand je remarquai le toit de la pièce où j’étais, un faux plafond d’édifice public, j’ai dû me rendre à l’évidence que j’étais encore vivant.

Je fus hospitalisé puis opéré par le Dr Jean-Louis Caron. Ma blonde avait beaucoup insisté auprès de mon neurochirurgien pour savoir quelles étaient mes chances de survie. Après qu’elle eut promis de ne pas me le révéler, il convint que j’avais une bonne chance sur cinq.

— Il a une chance sur cinq de mourir ?
— Non. De survivre…

Ma blonde ne voulait pas devenir veuve, alors, elle me quitta la veille de mon opération. Pas le temps pour une peine d’amour.

alain gagnon, Chat Qui Louche, francophonie, littérature, maykan, québecL’opération eut lieu et fut un succès. Le Dr Caron préleva deux centimètres de veine sur la tempe ; il m’ouvrit le crâne, avec adresse et délicatesse, à l’aide d’une petite perceuse et d’une minuscule scie. Une fois le cerveau exposé, le sang qui s’était échappé de l’artère fut épongé et le génie du système nerveux, le magicien des vaisseaux sanguins, combla le vide laissé par l’artère éventrée grâce à ma veine frontale. Je voguai pendant deux semaines sur le fait d’avoir accepté la mort tout en ayant la conviction profonde, la certitude, que j’allais vivre.

Quand j’avais seize ans, je disais que j’allais mourir décapité à quarante et un ans. L’âge correspondait, la région du corps également, mais je m’étais trompé. Assis sur mon balcon, de retour chez moi, j’ai eu l’absolue prescience que j’étais exactement au milieu de ma vie. 41 X 2 = 82.
Je suis encore vivant !

Notice biographique 

chat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonieL’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)