On vous a déjà parlé de Bitch Planet, la création de Kelly Sue DeConnick et Valentine De Landro lors de ses sorties en V.O., attardons-nous à présent sur le bel objet que nous propose Glénat Comics pour sa sortie dans l'hexagone. Féminisme, violence et réflexions sur notre époque à travers une dystopie ultra efficace, tel est le programme complètement extrême de ce comic book pas comme les autres.
Ah le bel objet ! Ah la belle édition ! Bitch Planet est pourtant un projet engagé, un peu casse gueule et surtout sans pitié. Glénat a donc osé s'en offrir les droits et propose même une bonne petite campagne promo sur les internets pour soutenir cette sortie : concours, grosse présence sur Facebook, titre présent dans le fascicule FCBD, Glénat y croit et ça se sent. Ça tombe bien parce qu'effectivement Bitch Planet est un projet qui vaut le coup qu'on s'y investisse puisque c'est sur la longueur que le truc éclate vraiment. Mais commençons par le commencement.
Bitch Planet, vous le savez peut-être, mais c'est l'histoire d'un vaisseau-planète carcéral où sont enfermées toutes les femmes considérées comme [Non Conforme] à la vie en société sur Terre. Trop grosse, trop forte tête, pas assez féminine, trop violente, jalouse, désagréable... Il suffit de ne pas rendre son mari heureux pour que la sanction tombe.
Dans ce premier volume sont rassemblées les épisodes un à cinq de la version américaine. C'est déjà pas mal et le découpage se justifie surtout par un gros cliffhanger bien violent, adopté également dans l'album américain. Il faut dire que le volume est déjà bien épais puisqu'il est complété par de nombreux bonus, pas toujours présents dans les versions originales déjà très riches (du vrai bonus donc !). Ici, une préface de Kelly Sue DeConnick entame le volume, puis s'enchaînent les chapitres, bien découpés et pas bêtement mis à la suite sans pause (ce que j'exècre). Un autre ensemble est introduit par une interview de DeConnick et Valentine De Landro, quelques portraits de féministes célèbres qui, selon l'équipe, auraient pu terminer sur Bitch Planet, un article " Femmes féministes, féminisme & culture pop" plutôt pas mal et des témoignages divers et variés de femmes, sur leur rapport au féminisme et au patriarcat. Nous concluons le tout avec le classique rassemblement de covers de fin de volume, de très jolies covers d'ailleurs ! Un volume très riche et très complet donc.
Cependant, malgré tout le bien que je vous en ai déjà dit, Bitch Planet n'est pas une série parfaite. Et c'est le scénario qui pèche un peu parfois, par manque de clarté. Tous ces sujets font que, à certains moment, on perd la place du scénario dans tout ça. Car plus que de suivre la vie quotidienne de femmes dans leur prison à la Orange is the New Black, il s'agit d'observer la tentative de rébellion de Kam, à travers la création d'une équipe féminine qui participera à une émission de télé qui propose des matchs d'un sport super violent, sorte de football américain de l'espace d'ordinaire réservé aux hommes. C'est plutôt cool, bien que pas super original non plus, et on sent que la scénariste se donne à fond pour essayer de tout caser, souvent au détriment de sa trame principale. Flashbacks, intrigues politiciennes, magouilles, l'univers est dense et, pour le moment, on ne voit que de très loin les potentielles avancées du scénario.
Quelques mots sur la partie graphique. J'ai vu, ici et là, que cet aspect était critiqué. Parce que trop diversifié, trop peu cohérent, a priori arbitraire. Ça n'est évidemment pas le cas, bien au contraire. Les flashbacks sont volontairement proposés dans un style plus old school, trames décalées et tout le toutim. C'est l'idée, justement (c'est un événement passé, dans un style passé). Les événements sur terre, à la télé ou dans la prison, ne sont pas traités de la même façon par l'illustrateur et cela participe à la richesse de l'oeuvre. Tout est extrêmement pensé et cohérent, tant et si bien que, si on n'y prend pas garde, on peut avoir l'impression que les nombreux changements sont illogiques et arbitraires, selon l'humeur de De Landro. Prenez le temps de comprendre son fonctionnement et à chaque autre style, vous comprendrez le changement de lieu, d'époque, sans que les phylactères ne vous le précisent. Un vrai super pouvoir.
Je me demande ce qu'un homme ressent à la lecture de ce comic book parce qu'il a tant parlé à mes casseroles de meuf, qu'il me semble impossible qu'un homme qui ne ressent pas cette pression constante apprécie à 100% ce titre. Non pas qu'il ne puisse pas comprendre, imaginer, faire preuve d'empathie, mais c'est différent de le sentir et de l'imaginer.
Au final, Bitch Planet fout une patate d'enfer à qui est déjà quelque peu sensible aux affaires féministes. Je ne sais pas si le titre sera cependant capable de sensibiliser les autres, ceux qui pensent que la parité ne sert à rien et qui ne voient pas le problème avec le fait de n'avoir aucune artistes féminines au programme dans les écoles (indice pour ceux du fond : les hommes sont majoritairement au pouvoir, du coup ils se tirent la nouille entre eux et il faut les pousser un peu pour que l'autre moitié de l'humanité se rappelle à leur bon souvenir car, hélas, ça ne leur vient pas naturellement). Le scénario a du potentiel mais il n'est pas encore vraiment exploité dans ce premier volume qui, comme souvent, place le décor et les personnages. Petite info pour la suite : certains sujets encore plus difficiles vont être abordés, tel que le viol et le mariage forcé de petites filles. On est pas là pour déconner, on est là pour dénoncer.
Bitch Planet Tome 1
Glénat Comics * Par Kelly Sur DeConnick & Valentine De Landro * 16€95
C'est si bon un petit shot de Bitch Planet ! Ca donne envie de gueuler, de se rebeller, de se faire tatouer NON CONFORME en gros sur une fesse, voire sur le front. Terminer ce premier volume sur un cliffhanger est super cruel de la part de l'éditeur mais éminemment logique (mais quand même cruel ok). Les retours sont supers positifs et c'est assez rassurant, parce que ça aurait pu être différent, hélas. Bitch Planet donne la rage, la bonne, la patate à mort et l'envie d'être forte, d'aller au bout de ses capacités.