Chronique « Grand Est »
Public conseillé : Adultes / Adolescents
Scénario de Denis Robert, dessin et couleurs de Franck Biancarelli,
Style : Récit intimiste
Paru aux éditions « Dargaud », le 21 mai 2016, 64 pages, 14.90 euros,
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L’Histoire
Moselle, de nos jours, un écrivain en rupture de ban – “mon 3e oeil était parti et il m’observait déguerpir”.
L’homme est inscrit à un stage de récupération de points. Pendant deux jours, le deal est simple : contre un chèque de 280 euros, mater des photos d’accidents de la route et écouter des informations visant à vous culpabiliser. Il est entouré de jeunes paumés, qui touchent à peine le smic, et boivent les deux tiers de leurs salaires pour supporter leur vie de merde…
L’homme vit dans le “Grand Est”, un territoire concentrique de Reims à Strasbourg, de Sedan à Dijon. C’est un pays de No’Man’s land, de fer et de charbon, où l’avenir a longtemps reposé sur son sous-sol…
A la fin de la journée, l’homme récupère chez ses parents Woody, 7 ans, son plus jeune fils, dont il a la garde depuis son divorce. Pour changer de son quotidien, surchargé de cessions “jeux vidéos”, il l’emmène faire une promenade en voiture le lendemain. Commence alors un long road-movie…
Ce que j’en pense
Après “Le circuit Mandelberg”, le duo Denis Robert – Franck Biancarelli revient our nous offrir un album coup de poing.
Denis, journaliste d’investigation et romancier qui a connu un grand succès public avec ses romans/essais sur l’affaire Clearstream revient à ses “préoccupations de base” : la société, le système financier pourri, l’écologie, les lendemains qui déchantent…
Pour amener son discours, il colle aux basques de son double de papier, un journalisme/romancier/réalisateur d’une quarantaine d‘années, en panne d’inspiration, dans un road-movie français et dépressif.
Restant très localisé dans le “Grand Est” de la France, ce territoire qui a connu ses heures de gloires grâce à son sous-sol ferreux, il dresse un portait d’une région en “déshéritance”, comme le symbole de l’avenir de la France. Une région où l’alcoolisme à remplacé l’espoir, le sous-sol irrémédiablement pourri par des dizaines d’années de décharge sauvages, où les seuls qui s’en sortent sont les très jeunes retraités qui ont bénéficiés de plans sociaux de nababs, accordés par des ministres peu scrupuleux pour les faire taire…
La démonstration est proche du documentaire et elle n’est que plus forte. Par sauts de puce successifs, Denis Robert brosse des portraits, parle de situations vérifiables, balance des chiffres. Tout à l’air vrai et crédible.. Difficile de faire la part entre l’autobiographie et la fiction…
J’ai été complètement pris aux tripes par ce road-movie pessimiste, dont le message est on ne peut clair : tout le monde le sait, le voit : Le système s’est emballé. On va dans le mur. Ce n’est plus qu’une question de temps….
Bien sûr, il y a du Kerouac (“sur la route”) et Didier Daeninckx (“Meurtre pour mémoire”) dans le secteur. Les propos sont gauchos, tendances ultra, voire anarchos et il font peur !
La seule note optimiste sur ce tissu de mauvaises nouvelles assénées avec une évidence, c’est la relation que le journaliste entretient avec son fils, 7 ans, qu’il embarque dans son périple. Valeurs, espoirs, passation, tout est perdu, mais il faut préparer les futures générations aux désastres. Quoi de plus fort, de plus vrai que les relations entre un père et son fils ?
Côté dessin, Franck Biancarelli s’est éloigné du travail sur “Le circuit Mandelberg”. Plus proche d’un Storyboard ou d’un cahier de voyage, son trait est nerveux, moins lisse. Ce n’est pas exactement ce que je préfère, mais il s’adapte au discours, au récit nomade et à la grosse pagination (140 pages) de “Grand Est”.
Les couleurs sont des masses franches (bleus, jaunes, rouges) qui teintent émotionnellement le trait, plus qu’elles ne cherchent à en rendre la réalité. Le choix est osé, audacieux…
Pour résumer, vous voulez prendre un bon coup de poing au ventre, vous rappeler quelques évidences que vous refusez de voir ? “Grand Est” est là pour ça ! De quoi se saouler, avant de s’endormir sur un monde qui ressemble à un mort qui marche…