Chronique « Un tout petit bout d’elles »
Public conseillé : adultes, adolescents (à partir de 16 ans)
Scénario de Zidrou, dessin de Raphaël Beuchot,
Style : Récit intime
Paru aux éditions « Le Lombard », le 20 mai 2016, 104 pages en noir et blanc, 17.95 euros,
Share
L’Histoire
Congo de nos jours. Yue Kiang est un ouvrier chinois qui travaille à l’abattage des arbres du parc national de la Salonga.
En fin de journée, Yue quitte le logement qu’il partage avec deux ouvriers. Contrairement aux autres, il ne va pas au “Coup de Bambou”, voir les nouvelles filles ukrainiennes qui sont arrivées, mais va retrouver Antoinette, son “amie” congolaise. La plantureuse jeune femme élève son enfant seule, et pour faire face, accepte les cadeaux de Yue. Pourtant, le mélange des cultures n’est pas apprécié par ici. Comme dit son patron, “Quand on mélange du jaune et du noir, ça fait, toujours du noir”…En taxi, il quitte la concession et s’en va à la Machine-qui-fume. Sur place, un autre blanc attend Antoinette. Quand elle arrive enfin, Marie-Léontine, sa fille, se jette dans les bras de Yue…
Ce que j’en pense
Raphaël Beuchot et Zidrou clôturent leur Trilogie Africaine avec panache ! Après “Le montreur d’histoire” et “Tourne disque” (où il était question de différence et de de tolérance), c’est un sujet beaucoup plus contemporain et polémique (l’excision des femmes), auquel Zidrou s’attaque.
Au Congo, de nos jours, deux communautés vivent cote à cote, sans réellement chercher à se comprendre. D’un coté, les travailleurs chinois sont là pour bosser, toucher leurs payes, et se donner du “bon temps” (ce que nature demande), au bordel du coin. De l’autre, les africains et africaines sont là pour “exploiter” comme ils le peuvent ces nouveaux colons (et oui, les belges et les français sont repartis).
Avec son sens aigu de l’humain (lisez donc “L’adoption”, “La Mondaine”, “Les beaux étés” si vous voulez être convaincus), il met au centre du récit un couple “différent”. Yu, un jeune ouvrier chinois et Antoinette, une belle femme noire qui vit seule avec sa fille. Le duo dépasse les rapports d’intérêt (sexe contre petits cadeaux) et apprend à s’intéresser l’un à l’autre et pourquoi pas même à s’aimer…
Au delà d’un message, qui pourrait être niai et idyllique, Zidrou parle d’Afrique (il a l’air de le connaître l’animal) et surtout des africains. Antoinette et sa fille sont touchées, comme beaucoup de femmes africaines par l’excision, cette tradition sauvage et avilissante commandée par le poids de la tradition et perpétrée par leur entourage féminin. La-dedans, Yu joue un petit rôle, mais il est le témoin effrayant et muet de cette sauvagerie, notre conscience de blanc en quelque sorte…
C’est visiblement un sujet de révolte de Zidrou. Avec une grande finesse et un regard toujours bienveillant, Zidrou raconte l’horrible, l’insensé, pour sortir enfin du tabou.
Il faut dire qu’il est temps de réagir ! Comme l’explique le cahier pédagogique en fin d’ouvrage, cette pratique touche 200 millions de femmes dans le monde. Toutes les 4 minutes dans le monde, une fillette subit une mutilation génitale. Environ 2 millions de fillettes risquent de subir une excision…
Au dessin, Raphaël Beuchot, dont j’ai beaucoup aimé le travail dans les deux précédents tomes africains, impose son style semi-réaliste. Son trait sobre, épuré et élégant, exploite de grandes cases, des visages réduits à leur plus simple expression, des couleurs terreuses posés en grands aplats. Il accompagne parfaitement le récit de Zidrou, disparaissant (presque) derrière le propos, l’urgence…