Rob liefeld : l'homme qui divise les lecteurs depuis plus de trois decennies

Par Universcomics @Josemaniette
Il suffit que nous postions parfois quelques images ou couvertures réalisées par Rob Liefeld pour nous rendre compte que bien des années après sa période faste et controversée, l'artiste continue de diviser profondément les fans. D'un côté il y a ceux qui sont heureux de voir ces personnages ultra dynamiques, qui fleurent bon les années 90, et ravivent des souvenirs émus des bancs du collège ou de la fac. De l'autre il y a tout ceux qui crient au scandale, invoquant le manque flagrant de fondamentaux chez ce dessinateur aux anatomies impossibles, souvent critiqué car incapable de dessiner des pieds et autre chose que des super-héros bodybuildés, ou qui croulent sous 3 tonnes d'armes à feu. Liefeld n'est certes pas un spécialiste du détail et du rendu plus vrai que nature comme le rappelle Robert Kirkman, quand il s'agit de le défendre. C'est un peu comme si l'artiste, devant la banalité quotidienne du corps humain, s'exclamait : tout ça est ennuyeux, je peux mieux faire! Du coup il se jette tête basse dans son œuvre, et sans se préoccuper le moins du monde du concept de réalisme, variant par moments les détails des costumes d'une case à l'autre, ou en dessinant des armes ou des gadgets totalement farfelus qui ne correspondent à rien dans la réalité. Liefeld dessine en roue libre, selon son inspiration et son plaisir, s'éloigne à chaque vignette du photoréalisme cher à Jim Lee, Alex Ross et leurs épigones. N'oublions pas l'importance historique de l'ami Rob, dans les années 90 le créateur de Deadpool et Cable, puis un des fondateurs du studio Image, bref il fut un acteur incontournable de la scène comics. Pour vous donner un ordre d'idée de l'importance de son travail, en 1992, une vente aux enchères chez Sotheby's rapporta, pour les planches originales du premier numéro de X-Force, la somme de 39000 dollars. Les dessins de Liefeld sont pour beaucoup comme des uppercuts reçus en pleine figure, du dynamisme exagéré pour un plaisir immédiat et synthétique. Liefeld est un de ceux qui ont vaguement récupéré l'héritage de Jack Kirby, et l'ont perverti à la sauce do it yourself, une sorte de version moderne et en bande dessinée de ce que firent les Sex Pistols avec le punk, une grosse dizaine d'années plus tôt. Rob Liefeld ne se revendique d'aucune école des beaux-arts, ni ne prétend être un illustrateur maîtrisant à la perfection les codes et les techniques en vigueur. Il a été propulsé très tôt et vite sur des fill-in aussi bien pour Dc que Marvel, avant de se voir confier un vrai titre balbutiant, New Mutants, qu'il allait révolutionner d'emblée, et transformer ensuite en un succès phénoménal, qui continue aujourd'hui de faire des émules, avec des personnages forts et badass qui se meuvent à la perfection dans l'air du temps où ils naquirent. 
Et puis bien entendu il y a Deadpool, la poule aux oeufs d'or pour Marvel, depuis quelques années. Un personnage qui recueille l'adhésion dès sa création sous forme de melting-pot d'autres héros des comics américains. Deadpool c'est un peu la fusion entre Spider-Man, Deathstroke (dont d'ailleurs il emprunte jusqu'au nom de famille) mais aussi quelque part Wolverine, puisqu'il n'est jamais que l'expérience ratée, qui amena par la suite à la création de l'arme X. Certains ont reproché a Liefeld d'être uniquement le co-créateur du Mercenaire disert, ce à quoi il a toujours répliqué que n'importe qui aurait pu en faire autant, à la place de Fabian Nicieza, le scénariste sur New Mutants  #98, le fameux épisode où apparaît pour la première fois Deadpool. En fait c'est moi qui écrivait ces histoires et tout comme cela arrivait avec d'autres comme Jim Lee par exemple, il y avait un scénariste juste pour m'épauler. Cette déclaration est importante car dans l'art de Rob Liefeld, dans son processus créatif, c'est le dessinateur qui génére l'aventure. Ce n'est pas un hasard si il appartient à la génération Image, qu'il a contribué à créer. Pour lui c'est l'illustrateur qui est le vrai héros de ces 22 23 pages mensuelles. Le scénariste lui se contente d'écrire des dialogues, et d'ajouter un fond purement formel. N'oublions pas par exemple qu'en 1992, à la convention de San Diego, Todd MacFarlane lui-même participait à un panel dont le titre était éloquent : les dessinateurs ont-ils vraiment besoin des scénaristes? Nous avons affaire là à une génération qui est totalement convaincue qu'il est possible de raconter une histoire et de la truffer de multiples détails, rien qu'en la représentant sous forme de splash pages hyper cinétiques qui explosent à la face du lecteur. L'expérience de lecture s'apparente à un combat, les coups pleuvent; et il s'agit de laisser la victime KO debout.

Liefeld connait l'importance de l'image, non seulement dans la bande-dessinée, mais dans la vie de tous les jours. On l'a retrouvé dans un spot publicitaire pour Levi's, réalisé par Spike Lee, et aujourd'hui encore il utilise à la perfection les réseaux sociaux, dès lors qu'il s'agit d'allumer quelques mèches, principalement envers certains de ses collègues qu'il estime bien peu. Une erreur commise durant sa carrière par l'ami Rob? C'est bien lorsqu'il est retourné à Marvel le temps de l'opération Heroes Reborn. Un naufrage artistiqueà la suite duquel il fut également reproché (entre autres) un retard notable quand il s'agissait de rendre les planches, et l'utilisation de mains extérieures pour compléter un grand nombre de vignettes, s'occuper notamment des décors et fonds de cases, qui ont tendance à l'ennuyer profondément, voir le mettre en difficulté professionnellement. A partir de là c'est la rupture définitive avec McFarlane, et le début de la traversée du désert. Après avoir quitté Image il fonda l'étiquette Awesome comics et escompta louer les services d' Alan Moore en tant que scénariste principal, mais ce dernier lâche tout et se reporte sur la Wildstorm de Jim Lee, notamment pour America's best comics. C'est là le comble en fait, car on pourrait penser que Liefeld est cette espèce de mouton noir en raison de son style si particulier, et de son interprétation toute personnelle de ce qu'est l'anatomie humaine, mais en réalité c'est son comportement, sa manière d'intéragir avec les autres artistes, les éditeurs et les collaborateurs, qui l'ont peu à peu poussé à se réfugier dans la marge, dont il est sorti avec bien du mal, et peu souvent. Que reste-t-il aujourd'hui de Rob Liefeld, quelle esthétique? Tout simplement cette énergie et cet enthousiasme incroyable, que souligne à nouveau Robert Kirkman, qui a forcément soulevé le lectorat dans les années 90, et lui en a mis plein les mirettes. Le dessinateur a su être au bon endroit au bon moment, mais il a su également capter les bonnes vibrations, et les retransmettre de la bonne manière. Soit être capable d'agir comme un filtre et de retranscrire l'esprit du temps, de transformer ce qui peut sembler au premier abord une exagération graphique évidente, en un concentré d'émotions violentes, qui transparaissent des visages et des corps maltraités des personnages. C'est ce que l'on appelle le Zeitgeist en terme philosophique et historique.  Liefeld peut plaire ou ne pas plaire, il ne changera jamais, et tout auréolé de ses brèves victoires, et fustigé par de nombreuses critiques acerbes, il restera à jamais comme un nom sur lequel les lecteurs se sont violemment divisés, le faisant ainsi exister à jamais dans le long roman populaire des comic-books modernes. 


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