L’œil le plus bleu, de Toni Morrison

Avertissement : cet ouvrage, ainsi que son résumé, évoque des scènes de viol, si cela peut être un déclencheur pour vous, je préfère prévenir.

L’histoire

the bluest eyeChaque nuit, Pecola priait pour avoir des yeux bleus. Elle avait onze ans et personne ne l’avait jamais remarquée. Mais elle se disait qu’avec des yeux bleus tout serait différent. Elle serait si jolie que ses parents arrêteraient de se battre, que son père ne boirait plus, que son frère ne ferait plus de fugues. Si seulement elle était belle, si seulement les gens la regardaient.
Quand quelqu’un entra, la regarda enfin, c’était son père et il était ivre. Elle faisait la vaisselle et il la viola sur le sol de la cuisine, partagé entre la haine et la tendresse…

Mon humble avis

C’est une relecture pour moi, j’avais eu l’occasion d’étudier The Bluest Eye à l’université mais je ne me souvenais plus facilement des conclusions qu’on avait pu tirer en cours et pas forcément du livre en lui-même. Il m’avait beaucoup plu pourtant et ça me semblait être la raison parfaite pour le relire.

Comme le résumé l’indique, le livre est assez dur, mais rien n’est encensé ou exagéré pour que le lecteur ressente l’horreur des passages. La plupart de ces derniers sont vus à travers l’expérience des personnages, ce qui permet d’avoir leur point de vu et provoque l’empathie chez le lecteur, sans qu’il n’y ait besoin de rajouter du pathos. L’œil le plus bleu est le premier roman de Toni Morrison et d’après ce que j’ai pu comprendre, il a fallu beaucoup de temps pour qu’il soit acclamé par le lectorat comme il le mérite. Le relire m’a encore une fois persuadée qu’il faut que je m’intéresse aux autres écrits de l’auteure.

À travers les événements du livre et les points de vue de personnages très différents – parfois un peu décousus d’ailleurs – Toni Morrison parvient à faire des remarques très pertinentes sur sa société, comme bien sûr le racisme dont font preuve les blancs à l’égard des Africains-Américains. De façon plus pernicieuse encore, elle rappelle l’existence de colorisme, ce qui implique de faire des différences et des discriminations selon la nuance de couleur de peau, par exemple chez les noirs. Ici, certains personnages noirs à la peau plus claire, refusent d’être associés d’une quelconque façon à ceux dont la peau est beaucoup plus sombre. C’est le point de vue d’un personnage noir, enfant, qui répète les propos et l’enseignement de sa mère, qui montre jusqu’où cela peut aller :

« He hated to see the swings, slides, monkey bars, and seesaws empty and tried to get kids to stick around as long as possible. White kids; his mother did not like him to play with niggers. She had explained to him the difference between colored people and niggers. They were easily identifiable. Colored people were neat and quiet; niggers were dirty and loud. » p. 67

Je préfère paraphraser que traduire : persuadé d’être le maître de l’air de jeu, cet enfant fait de son mieux pour que les autres restent aussi longtemps que possible. Mais seulement les enfants blancs. En effet, sa mère n’aime pas qu’il joue avec les « n*ggers » qui se traduit par « n*gres ». Elle lui a d’ailleurs expliqué la différence entre les personnes de couleur – comme eux – et les « n*gres » : les premiers sont propres et calmes, les derniers sales et bruyants.

Ces apartés auprès d’autres personnages sont toujours liées à la protagoniste principale de l’histoire : Pecola. Elle cherche un échappatoire sans trop savoir où il peut se trouver, comment l’atteindre, et il lui semble qu’obtenir les yeux les plus bleus résoudrait tous ses problèmes. Au fur et à mesure du livre, elle se renferme sur elle-même, dans des hallucinations et la folie, tandis qu’elle ère, seule, dans les rues de la ville. Frieda et Claudia deux jeunes filles avec qui Pecola vit quelques temps, alors que son père est en prison, ont pourtant essayé de l’aider, à leur manière. Mais elles se rendent compte finalement qu’elles n’ont pas fait assez et qu’elles ne comprenaient pas vraiment la situation de Pecola.

« And fantasy it was, for we were not strong, only aggressive; we were not free, merely licensed; we were not compassionate, we were polite; not good, but well behaved. We courted death in order to call ourselves brave, and hid like thieves from life. We substituted good grammar for intellect; we switched habits to simulate maturity; we rearranged lies and called it truth, seeing in the new pattern of an old idea the Revelation and the Word. » p. 163

Un livre qui marque donc, avec une plume magnifique et très touchante de l’auteure, qui parvient à nous faire ressentir l’horreur et l’injustice de la situation.

Note : 4/5

The Bluest Eye de Toni Morrison chez Vintage Books, 1999 (publication originale : 1970), 172 pages.


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