"Tout ce qu'on ne s'est jamais dit" de Celeste Ng : le poids des non-dits


Attention, giga coup de coeur, attention lecture addictive, si vous voulez le lire, préparez-vous à nier votre entourage, et à rester deux jours scotché dans votre fauteuil ;-)
Dévoré en 24H chrono, ce roman publié chez l'excellent Sonatine est moins un thriller qu'un très très bon suspense psychologique. Lydia, 16 ans, est retrouvée morte au fond du lac derrière chez elle. Ado sans histoire (apparente), sa famille n'envisage pas une seconde le suicide, et une enquête est ouverte.
Mais que connaissaient-ils réellement de Lydia ? Jeune fille pendue au téléphone avec ses amies, ou solitaire et rejetée de tous ? Promise à une future carrière de médecin ou en décrochage scolaire ?
Le roman nous plonge dans l'histoire familiale, qui débute avec la rencontre des parents, James et Marylin. L'un est d'origine chinoise, l'autre américaine. L'un prof d'unif, l'autre étudiante en médecine, et prête à tout pour ne pas finir femme au foyer, comme sa mère. Mais le mariage et les enfants ont vite raison des espoirs scientifiques de Marylin, espoirs qu'elle fera reposer entièrement sur les épaules de Lydia, sans se rendre compte du poids qu'elle inflige à sa fille.
Il y a aussi Nath, le grand frère, jaloux de l'attention très accaparante que Lydia inspire à ses parents, et la benjamine Hannah, pas vraiment désirée, souvent oubliée, invisible. C'est pourtant la seule à voir ce qu'il se passe réellement, ce que cache les sourires forcés, à ressentir que quelque chose ne tourne pas rond, et à pressentir le drame.
Le roman est diaboliquement addictif, et, pendant toute la première moitié du livre, la question de l'enquête est totalement mise de côté pour se concentrer sur l'histoire de la famille, et c'est passionnant ! La seule frustration que j'ai eue à ce moment de ma lecture, c'est la sensation de ne pas connaître du tout Lydia, et du coup de ne pas être vraiment touchée par sa disparition. 
La deuxième moitié du livre nous fait enfin entendre sa voix, et elle est bouleversante. Mal dans sa peau, solitaire à l'extrême, noyée sous le poids des espoirs de réussite de sa mère qui projette sur elle ses rêves de médecine, accablée sous les devoirs en plus, et à la fois jalousée par les autres enfants de la famille car c'est indubitablement la préférée, la place de Lydia était-elle enviable ?La plus libre n'est-elle pas finalement celle qu'on délaisse, la petite Hannah invisible ?
Alors, meurtre, suicide ou accident, comment Lydia, qui ne savait pas nager, s'est-elle retrouvée sur une barque a milieu de la nuit, puis au fond du lac ?
Le dénouement arrivera trop vite, j'aurais voulu encore et encore rester auprès de ces personnages dévastés, le père qui ne se remet pas du racisme qu'il a subit, la mère éteinte et frustrée, le frère jaloux, la petite soeur négligée. 
Et Lydia, peut-être la plus malheureuse encore, qui finira au fond de l'eau, noyée par tout ce qu'on ne s'est jamais dit dans la famille.

"Tout ce qu'on ne s'est jamais dit", Celeste Ng, Sonatine, 2016