Le titre ne me faisait pas bondir d'enthousiasme, et avait tout au contraire pour me rebuter profondément.
Comme je constate chaque jour davantage que c'est néanmoins la situation qui attend peu ou proue la grande majorité de mon entourage (trentenaires cadres dynamiques ou pas, soucieux de s'engager sans attendre dans le schéma traditionnel du couple marié deux enfants installé dans une maison/un appartement de banlieue parce qu'à Paris le prix du mètre carré est scandaleux et qu'il n'y a pas l'ombre d'un parc pour que les marmots se dégourdissent les jambes), j'ai fini par me plonger dans ce qui, sans le moindre doute, me fait le plus peur au monde (après le croco-lion, invention monstrueuse de mon enfance dont je vous épargne les spécificités, pour votre propre bien).
Le synopsis
La condition pavillonnaire est celle de M.A., jeune fille impatiente de quitter le cocon familial qui représente à ses yeux une situation sociale et un pattern qu'elle veut fuir à tout prix, qui s'éprend de François qu'elle épouse et qu'elle suit à Chambéry, auquel elle donne deux enfants, avant de constater l'ennui dans lequel elle a pelotonné sa vie.
Sa rencontre avec Philippe, nouveau DRH dans sa société, la revigore, lui rend l'impression d'exister. Leur liaison est passionnelle, puis verse à son tour dans la routine. La séparation, soudaine, est insoutenable de douleur pour M.A., qui ne s'en relève qu'avec une peine immense.
Quêtant désespérément une source de sens dans sa vie, elle se tourne vers le yoga, et vers d'autres activités encore, pour satisfaire un désir inassouvi sur lequel elle ne met pas de mot.
Elle vieillit paisiblement auprès de son époux, ses enfants, devenus adultes, s'éloignent à leur tour, la rendent grand-mère.
Le roman raconte en somme la vie d'une femme comme il en existe tant.
Mon avis
J'ai trouvé dans La condition pavillonnaire exactement tout ce que je redoutais : la peinture précise et sans concessions des vies ordinaires, des rêves prodigieux, des attentes déçues, des expédients mobilisés pour tromper l'amertume, de la résignation paisible lorsque le corps est las.
L'auteur procède avec une exactitude quasi scientifique à l'analyse de la trajectoire de M.A., qui n'a du reste rien d'inédit, ce qui confère sa puissance au récit : il n'est question ici de rien d'autre que du quotidien des "gens normaux", de ce que l'on peut légitimement attendre de meilleur de l'existence. Mais le roman parle aussi de la soif insatiable nourrie par ceux qui ont tous pour être heureux, et qui, confrontés à ce que la vie leur offre, se trouvent déçus parce que, sans s'expliquer pourquoi, ils attendaient davantage, et sont sincèrement surpris de découvrir "qu'il n'y a rien de plus".
L'adultère dont M.A. se rend coupable est ici décrit de sorte que l'on y voit une tentative désespérée digne d'Emma Bovary de se sentir vivre soudain, après des années d'anesthésie et d'engourdissement dans une existence de femme qui assume avant tout son rôle fonctionnel de mère et d'épouse.
Il se dégage de la lecture quelque chose d'infiniment triste, quand bien même on ne peut ignorer que le sort de M.A. est le sort des bienheureux dans notre monde actuel : tout est à disposition, le confort a rendu indolore la satisfaction des besoins primaires d'être humain, M.A. n'a eu à déplorer aucune insoutenable perte, ni la faim ni le froid ni la maladie rance, elle n'était certes pas issue d'un milieu d'opulence, mais a accédé aux biens de consommation, à la sécurité, à la propriété, sa situation s'est montrée plus douce que celle de ses parents, en somme, "elle a réussi sa vie", d'un certain point de vue.
Pourtant se pose toute la question du bonheur, insaisissable, qui échappe à M.A. comme il échappe à tant, en dépit de l'accumulation de ce qui forme, dans l'imaginaire collectif, les sources communément admises du bonheur : l'amour, la proximité d'une famille aimante et soudée, une bonne santé, quelques possessions, des activités pour s'occuper et s'ouvrir l'esprit.
La condition pavillonnaire présente l'immense mérite de réunir les conditions d'une prise de conscience pour le lecteur qui a sous les yeux la condition de l'homme moderne dans les sociétés développées, où il est de bon ton de courir après une situation sans prendre le temps - parce que le temps, dit-on, est précieux - de s'assurer que c'est bien cette situation que l'on souhaite pour soi, pour son propre accomplissement.
Une lecture utilement dérangeante...
Pour vous si...
- Vous ne vous faites aucune illusion sur ce qui vous attend
Morceaux choisis
"C'est pourquoi tu écrivais "Courage, tu es le meilleur" sur le miroir de la salle de bains, pour qu'il trouve chez toi non seulement de l'amour, mais la ferveur d'une admiratrice ; puisque comme la plupart des hommes, François avait ce besoin enfantin, narcissique et vital de se voir dans les yeux de sa femme en deux fois plus grand qu'il ne l'était."
"Puisque c'était cela, fonder une famille ; devenir reine et esclave à la fois ; avoir constamment le souci des autres, adultes comme enfants, connaître leurs besoins, leurs horaires ; mettre son corps au service du bon fonctionnement de la machine familiale, pieuvre dévorante dans laquelle toute la personne M.A. s'était fait avaler, toute sa personne manipulée par les tentacules de la bête."
Note finale3/5(cool)