Un bail que La Fée m'avait conseillé ce roman. Elle l'a de nouveau fait l'été passé, dans des circonstances particulières, pour "quand le moment serait le bon". C'est à la faveur d'une lecture commune avec Scarlett et Nath que je me suis dit, à moitié rassurée seulement, qu'il était peut-être venu...
Bruges est une ville que j'ai toujours aimée. Chacun de mes séjours entre ses canaux et ses bâtisses m'a laissé un excellent souvenir. Même en pleine canicule, après une opération, avec le stress de perdre un élève en cours de route. Elle me laisse toujours une impression de calme, de sérénité. Même quand la foule déborde de partout et que l'impossibilité de trouver la moindre place de parking en une heure nous pousse à nous replier sur Damme. De toute façon, Damme, c'est aussi Bruges. Et y manger une crêpe fait désormais partie de nos rituels. J'ai toujours trouvé que les lumières prenaient une teinte particulière, chaude, le soir derrière ses vitres. Bruges, c'est un certain hôtel près d'une petite place; une certaine statue près d'un musée; une certaine maison près d'un pont, aux fenêtres donnant sur l'eau et derrière lesquelles j'ai toujours imaginé des bibliothèques. C'est un loulou qui fait rire un serveur et des voisins de table. Et même un point de chute pour un concert de Bon Jovi à Ostende (au premier rang) (midinette que j'étais).
Bref, je n'avais guère de doutes quant au fait que ce roman avait beaucoup pour me plaire; même si, soyons clair, Bruges n'occupe pas une grande place dans l'histoire, dont elle constitue plutôt une toile de fond, un décor toujours présent en filigrane. En réalité, je pense que j'avais un peu peur de m'y plonger, et de remuer des souvenirs.
Et des souvenirs, j'en ai vu remonter, au fil des pages et des mots de Charles Bertin. Des tas. Tous mes "vieux" y étaient. L'arrière-grand-père qui m'avait inlassablement répété la devise de Larousse, jusqu'à ce que je la retienne, et dont j'ai cru qu'il allait s'évanouir le jour où j'ai corné une page devant lui (depuis, j'utilise toujours un marque-page, un billet, un emballage de chocolat ou une fourchette s'il le faut, mais plus jamais je n'ai corné une page) (et je vous préviens : je vous ai à l'oeil). Celui qui venait nous voir en vélo le dimanche matin et qui ramenait des pâtisseries à sa femme pour se faire pardonner d'avoir tant traîné (d'autant qu'il repassait chez l'autre arrière-grand-père : il avait donc un sacré retard à se faire pardonner) (sauf qu'attachées à l'arrière du vélo, les carottes à la crème pâtissière arrivaient dans un sale état). Le même, qui avait voulu me filer des San Antonio, "vu qu'elle aime les livres". L'arrière-grand-mère dont l'esprit nous a quittés bien avant le reste. L'autre arrière-grand-mère qui, au contraire de la première, faisait semblant d'oublier. Celle (ma préférée) qui se disputait sans arrêt avec son mari (à cause des San Antonio, notamment) mais qui était perdue dès qu'il s'absentait. Qui avait voulu aller au home, mais qui m'avait retenue après ma première visite, me demandant de la sortir de là. Et puis papy, celui de l'été dernier, qui n'attendait que de voir son premier arrière-petit-fils entrer à l'école primaire et apprendre à lire...
Tout cela m'est revenu au fil des pages et des souvenirs égrenés par Charles, 50 ans après le décès de sa chère petite dame : la promenade en vélo, les lectures partagées et la vieillesse qui approche, inexorablement. Des souvenirs à hauteur de l'enfant qu'il était et qui passait chaque année les deux mois d'été auprès d'elle, comme une récompense après ces semaines studieuses.
Ce livre, c'est un mélange de nostalgie, de tendresse et d'émotion. A la fois un magnifique portrait, un superbe hommage à sa grand-mère et un retour sur les souvenirs d'enfance de ce petit garçon dans lesquels on pourra souvent se reconnaître, malgré la différence d'époque et de génération. Il est court, bien trop court, mais j'en ai savouré, je crois, le moindre mot, comme je l'aurais fait de la toute dernière miette de cette pâte d'amande que l'enfant affectionnait tant. L'écriture de Charles Bertin est un ravissement : légère, poétique, elle fait naître les souvenirs comme si le lecteur s'y trouvait lui-même. J'ai eu l'impression de sentir le parfum des fleurs dans le jardin de la petite dame, le goût des gaufres et du chocolat, le sable qui finit irrémédiablement dans les sandwichs lors d'une journée à la plage. J'aurais voulu de ce roman qu'il dure un peu plus longtemps et, même si je l'ai refermé les larmes aux yeux (euphémisme?), je sais que je le lirai de nouveau, et sans doute souvent. Quel beau cadeau nous a offert ce vieux monsieur en plongeant dans ses souvenirs...
A lire également : l'avis de Nathalie pour qui ce fut presque un coup de coeur et celui de Julie des Petites lectures de Scarlett