Une allure folle démarre par la visite d’une maison construite dans les années 20 dans la ville de Bruxelles : celle qu’occupèrent autrefois Annie et Mathilde, la mère et la grand-mère de la narratrice, qui n’est autre que l’auteur elle-même. Sur les pas de l’actuel propriétaire, Isabelle Spaak suit les parfums et les murmures de sa famille laissés dans chaque pièce. On comprend qu’il s’agit d’une enquête sur les traces d’un passé douloureux.
Pour s’aider dans ses recherches, la jeune femme dispose de nombreuses photos qu’elle scrute à la loupe, de lettres qu’elle a rassemblées et dont elle nous livre parfois les extraits tels quels. Au fur et à mesure, à travers son regard, Mathilde et Annie renaissent d’outre-tombe. Elle déroule pour elle mais aussi pour nous, lecteurs, le fil de leur histoire compliquée. Peu à peu, elle découvre étonnée leurs véritables personnalités sous la poussière de leur drôle de réputation….
Mathilde est « une femme dénuée de beauté » mais qui a ensorcelé beaucoup d’hommes. Elle sait s’entourer des bonnes personnes pour se faire entretenir. Le 14 novembre 1921, elle accouche seule d’une petite fille qu’elle appelle Annie. Le père, quant à lui, se trouve en ce moment même en Italie auprès de son épouse. Toute sa vie durant, Armando Farina, très riche homme d’affaire, se tiendra à distance prudente des deux femmes. Il financera pourtant, sans presque rechigner, toutes leurs frasques, leurs lubies, leurs nombreux voyages et leur maison de Bruxelles.
La mère et la fille ont une allure folle. Elles aiment la fête, les beaux vêtements. Elles sont animées d’une immense joie de vivre mais vivent toutes les deux sur les braises d’un mensonge. En effet, Mathilde et Annie portent toutes deux le nom de Farina sans qu’il n’y ait jamais eu ni mariage pour l’une, ni reconnaissance pour l’autre. Et cela avec la bénédiction du principal intéressé lui-même. Lorsque, sur une dénonciation anonyme, Annie apprendra la vérité, son monde s’effondrera.
Isabelle Spaak se souvient qu’Annie n’avait jamais assez de mots durs pour dénoncer le genre de vie que sa mère lui avait imposé. Selon elle, Mathilde aurait eu de nombreux amants et aurait mené une vie de débauche. Annie aurait ainsi grandi sans attentions ni amour.
Et pourtant l’auteur, en parcourant les lettres de jeunesse de sa mère, découvre une tout autre vérité. Elle découvre une tout autre personne que la mère qu’elle a connue, cette mère « que la maternité barbait ». La correspondance dévoile une jeune fille très proche de sa mère et de son père lointain .Isabelle Spaak adore cette fille fantasque et pétillante, aimant la vie plus que tout. C’était aussi une jeune fille courageuse qui sauva des enfants juifs pendant l’occupation allemande, héroïsme pour lequel l’Etat Israélien la distinguera post-mortem.
Et c’est cette distinction décernée si longtemps après la mort d’Annie qui pousse aujourd’hui Isabelle Spaak à enquêter sur sa mère. Cette mère « qu’elle chassait quand elle se faufilait par effraction dans son esprit ».
Pourquoi le rejet de cette mère jusqu’à cette découverte inattendue ? Pour le comprendre, il faut avoir lu son précédent roman, « Ça ne se fait pas » qui raconte un drame familial. Son drame familial. L’assassinat, le 18 juillet 1981, de son père par sa mère et le suicide immédiat de celle-ci par électrocution dans une baignoire lorsque l’auteur avait 20 ans.
Une allure folle est l’histoire d’une réconciliation familiale : celle d’une femme blessée qui a tout fait pour rejeter le souvenir de sa mère et qui ouvre enfin les yeux lorsqu’elle apprend que celle-ci a été une héroïne avant d’avoir été une meurtrière et une mère fatiguée. D’où ce besoin vital de la retrouver enfin.
Il y a une sorte de mélancolie puissante qui se dégage de ces pages et qui nous envahit. Pourtant, l’auteur n’en fait jamais trop. Elle privilégie les faits plus que l’affect. Mais au fur et à mesure qu’elle redécouvre sa mère dans les lettres, elle cicatrice ses blessures et se confie un peu plus. L’émotion jaillit de la description de Mathilde et d’Annie, deux femmes extraordinaires, deux femmes mortes depuis longtemps, mais dont l’énergie, la passion, le courage traverse les pages et le temps.
J’ai adoré ce livre. Je l’ai lu il y a quelque temps déjà, et il me hante encore, c’est le mot. J’aime ces livres qui vous poussent dans vos retranchements et qui vous obligent à vous poser les bonnes questions sur votre propre vie. Par exemple : Que sait-on réellement de nos parents en dehors de ce qu’ils ont bien voulu nous raconter ? Quels secrets, quels mystères cachent-ils, peut-être par honte, peut-être par pudeur ? Comment poser les bonnes questions pour en savoir plus ?
Vous l’aurez bien compris, une allure folle est un livre qui ne laisse pas indifférent.
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